BLOGUE. Ça ne rate jamais, il y a toujours dans un groupe une personne qui traîne de la patte. Celle-ci ne fait pas autant d’efforts que les autres, elle se fait discrète ou au contraire râle ouvertement. Et le risque, c’est que son attitude décourage certains, dès que les difficultés vont survenir. Pas vrai?
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Que faire? Consacrer beaucoup d’énergie à remotiver cette âme en peine? S’en séparer au plus vite? Bien entendu, il n’y a pas de réponse tranchée à cette interrogation, car il convient d’agir au cas par cas. Mais, il peut être intéressant de se demander si une punition bien sentie ne serait pas la bienvenue. Un peu comme à l’école. Qu’en pensez-vous?
Eh bien, si c’est une éventualité qui vous intéresse a priori, mais que vous n,avez jamais vraiment osé étudier franchement, j’ai une bonne nouvelle : je sais s’il s’agit là d’une bonne idée, ou pas. Oui, je le sais depuis hier, quand j’ai mis la main sur une étude très intéressante, intitulée Group size, coordination, and the effectiveness of the punishment mechanism in the VCM : An experimental investigation. Cette étude est signée par Bin Xu, professeur de sciences sociales, et Liangcong Fan, professeur d’économie, tous deux de la Zhejiang University (Hangzhou), ainsi que par Bram Cadsby, professeur d’économie à l’University of Guelph, en Ontario, et Fei Song, professeure de management de la Ted Rogers School of Management (Toronto). Elle met en évidence le fait que les punitions distribuées dans une équipe peuvent être efficaces, mais à certaines conditions…
Les quatre chercheurs ont tout d’abord regardé les principales études existant déjà sur le sujet, et noté, entre autres, qu’Ernst Fehr et Simon Gächter ont montré dans différentes expériences menées au début du millénaire que les punitions avaient un impact certain dans des groupes composés de quatre personnes. Grosso modo, si l’un des quatre est puni, par quelqu’un d’extérieur ou par ses équipiers, celui-ci changeait aussitôt d’attitude pour tâcher de regagner sa place au sein du groupe. C’est que nous sommes, vous comme moi, des animaux sociaux, et par conséquent rien ne nous terrorise plus que d’être véritablement isolé des autres…
Des études ultérieures ont permis de vérifier la découverte de Fehr et Gächter, en soulignant à quel point nous sommes sensibles à la pression sociale. En 2007, Jeffrey Carpenter a mené des expériences similaires, cette fois-ci sur des groupes de 10 personnes. Résultat? Les punitions ont tendance à être moins fréquentes que dans les groupes de quatre personnes, et ce, vraisemblablement parce qu’on considère a priori qu’elles sont moins efficaces que d’autres méthodes de remotivation.
Et qu’en est-il des groupes plus nombreux? Faut-il abolir toute forme de punition, celles-ci semblant être moins pertinentes à mesure que la taille du groupe grandit? Les quatre chercheurs se sont posé ces questions et s’y sont aussitôt attaqué, convaincus – à raison – que la réponse serait on ne peut plus intéressante pour qui se pique de management et de leadership. Ils ont donc demandé à 560 étudiants de la Zhejiang University, l’une des plus prestigieuses de Chine, de participer à une expérience inspirée de celles de Fehr et Gächter.
Le principe était simple… Chaque participant était intégré au hasard dans un groupe, de 4 ou de 40 personnes, et se voyait remis un certain nombre de jetons. Chacun se devait de contribuer à une bonne cause fictive, en dépensant des jetons lui appartenant. Et quand tous avaient payé, ils découvraient celui qui avait le moins contribué à l’effort commun et avaient dès lors le droit de le punir. Dès lors, chaque membre du groupe pouvait punir le «mouton noir» de la façon suivante : pour chaque jeton dépensé en punition, le puni perdait 3 jetons. Le but du «jeu» était d’avoir le plus de jetons en mains à l’issue de 10 parties (ceux-ci étaient alors convertis en monnaie sonnante et trébuchante).
Les enseignements de cette expérience sont, à mon avis, on ne peut plus précieux. En voici les principaux :
> Une punition individuelle est toujours marquante pour celui qui en est victime.
> Pour être efficace, la punition doit être proportionnelle à la taille du groupe. C’est-à-dire que plus le groupe est nombreux, plus la sanction doit être sévère, sans quoi, elle n’impressionne pas vraiment. Ni la victime ni les autres.
> Les membres d’un groupe se souviennent toujours de qui a été puni et de sa sanction.
Autrement dit, toute punition laisse des traces. Il convient dès lors d’y recourir avec prudence, car on risque facilement de rater son coup : si la sanction est trop sévère, cela va blesser la victime et effrayer les autres; si elle est trop faible, elle aura l’effet inverse de ce qui est recherché; si encore elle n’est pas appliquée de manière constante, elle va créer de vives tensions au sein de groupe («Lui s’est fait punir, mais pas elle? Pourquoi?», peuvent être amenés à penser certains…); etc.
Cela étant, toute punition n’a pas que des effets négatifs. Loin de là. Pourvu qu’elle soit adaptée aux circonstances…
En passant, le philosophe français Albert Camus a dit : «Il n’est pas de punition plus terrible que le travail inutile et sans espoir»…
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