Un sourire, et la vie est tout de suite plus belle. L'ennui, c'est que les sourires se font rares au travail. Vous ne trouvez pas?
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La question saute aux yeux : comment se fait-il que les membres de votre équipe ne sourient pas plus que ça? Comment se fait-il, même, qu'ils ne sautent pas de joie, de temps à autre? Hein? D'après vous?
Je pense avoir trouvé une réponse fort intéressante à cette interrogation existentielle dans une étude intitulée Unhappy cities. Celle-ci est le fruit du travail de deux professeurs d'économie : Edward Glaeser, de Harvard (États-Unis), assisté de son étudiant Oren Ziv; et Joshua Gottlieb, de l'Université de Colombie-Britannique à Vancouver (Canada). Elle montre que l'explication est on ne peut plus simple…
Ainsi, les trois chercheurs se sont intéressé aux villes américaines les plus malheureuses. C'est-à-dire celles où les gens se disent peu, ou pas, heureux de vivre. Leur objectif était de découvrir pourquoi les gens ne désertaient pas carrément ces endroits-là, et mieux, pourquoi ces villes continuaient malgré tout d'attirer de nouveaux arrivants.
Ils ont commencé par dresser la liste des villes les plus malheureuses des États-Unis, à partir des sondages sur le bien-être menés sur une base régulière par l'organisme étatique Behavioral Risk Factor Surveillance System (BRFSS). Un palmarès pertinent puisque les disparités sont grandes : par exemple, seulement 36% des habitants de Gary (Indiana) se disent «réellement satisfaits» de vivre là, alors que la moyenne aux États-Unis est de 45,7%.
Puis, ils ont regardé s'il y avait une corrélation entre le peu de satisfaction de vivre dans une ville et l'éventuel déclin socioéconomique de celle-ci. Ce qui leur a permis de faire deux belles trouvailles :
> Social. Le peu de satisfaction de vivre dans une ville n'est pas corrélé à différents indicateurs classiques de la pénibilité de vivre en milieu urbain, comme le taux de criminalité, le climat et les inégalités sociales. Ce qui signifie que ce n'est pas, par exemple, parce qu'il y a davantage de crimes violents dans une ville que les gens vont automatiquement se sentir moins heureux d'y vivre.
> Économique. Le peu de satisfaction de vivre dans une ville est corrélé au déclin économique de celle-ci. Et ce, tant pour les nouveaux que pour les anciens résidents. Ce qui signifie que lorsqu'une ville ou un quartier de celle-ci subit un choc économique, c'est l'ensemble des résidents qui en ressentent un coup au moral. Et non l'inverse, comme on le croit trop souvent, à savoir que c'est parce que les gens seraient malheureux dans la vie que leur ville ou leur quartier se met à péricliter.
Les trois chercheurs ont tenu à en savoir davantage sur le processus qui mène les résidents d'une ville à perdre le moral. Cela les a amenés à découvrir ceci :
> Attributs négatifs durables. Ce qui sape vraiment le moral des résidents d'une ville, ce sont les attributs négatifs de celle-ci qui existent depuis belle lurette. Il s'agit là d'un point fondamental. Le vrai problème, c'est la faculté de ces attributs négatifs – quels qu'ils soient – de perdurer, c'est-à-dire de durer dans le temps en dépit de ce qui est fait, ici et là, pour les atténuer, voire les annihiler. C'est donc avant tout une problématique structurelle.
Autrement dit, les sempiternels dysfonctionnements propres à une ville ou à un de ses quartiers font en sorte que les résidents ressentent de moins en moins de plaisir à vivre là. Ce qui amène à l'interrogation suivante : «Mais pourquoi, diable, restent-ils là?»
MM. Glaeser, Gottlieb et Ziv ont creusé leurs données, et trouvé la réponse, évidente : parce qu'ils n'ont plus le choix. Prenons le cas des nouveaux résidents… Ils arrivent, puis découvrent peu à peu les "vices cachés" de leur nouveau quartier, voire de leur nouvelle ville. Des vices suffisants pour leur gâcher la vie. Ils découvrent également, petit à petit, que l'économie de leur nouvelle ville ou de leur nouveau quartier n'est pas si florissante que ça, qu'elle est même sur une pente glissante. Ce qui achève de leur saper le moral. Le hic? C'est que leur pouvoir économique va, lui aussi, de moins en moins bien, si bien qu'il leur devient impossible d'aller ailleurs, là où le soleil est plus radieux. Bref, ils sont aspirés dans un cercle vicieux, dans lequel sont également emportés les résidents de longue date.
Ce n'est pas tout. Les trois chercheurs ont mis au jour un autre élément déterminant. Si les gens restent dans un endroit déplaisant et n'en bougent pas avant qu'il ne soit trop tard pour le faire, c'est parce qu'ils tombent dans un piège sournois. Lequel? C'est fort simple : ils pensent alors faire… une bonne opération financière!
Une petite explication s'impose… Dans les années 1940, il y avait déjà aux États-Unis des gens malheureux en ville et il y avait aussi des villes sur le déclin d'un point de vue économique, comme l'on constaté les trois chercheurs. Et les gens y demeuraient malgré tout pour une raison principale : résider là leur permettait de toucher un plus gros salaire. Dans les années 2000, la situation n'est pas tout à fait identique. Les gens restent à la même place pour une raison principale : non pas parce qu'ils touchent dès lors de plus gros salaires (au contraire, leur salaire va plutôt en diminuant), mais parce que les loyers y sont moindres qu'ailleurs. Et, séduits par cet "avantage financier", ils restent là, jusqu'au moment où il ne leur est plus possible d'aller ailleurs, et deviennent plus malheureux que jamais.
Que retenir de tout cela? Ça me paraît clair : on peut aisément transposer les enseignements de cette étude à l'échelle d'une équipe de travail. Si les membres d'une équipe ne se sentent pas si heureux que ça d'œuvrer ensemble, jour après jour, cela peut fort probablement s'expliquer par une raison liée à la structure de l'équipe, par des attributs négatifs durables de celle-ci.
Quels attributs négatifs durables, au juste? Pour le savoir, il vous appartient de les mettre au jour vous-mêmes. Cela peut se faire comme suit… Vous pouvez réfléchir de votre côté, puis partager le fruit de vos réflexions avec des personnes concernées en qui vous avez entière confiance, puis élargir la réflexion à l'ensemble de l'équipe.
Attention, toutefois : ce faisant, veillez absolument à ne blesser personne! Le problème fondamental qu'il convient de régler ne découle pas d'une personne, mais d'un défaut structurel de l'équipe, et il est malheureusement aisé – mais trompeur – de faire le raccourci entre la personne et la fonction et les responsabilités qu'elle a. Si d'aventure ce travail vous faisait réaliser, par exemple, que l'attribut négatif durable qui freine la joie de vivre de votre équipe tenait à la lourdeur administrative de l'entreprise, il serait erroné d'en conclure que le problème, c'est la responsable de la comptabilité, qui serait jugée tatillonne ; il conviendrait de ne pas faire un tel raccourci, et d'envisager le problème plus en profondeur que ça, d'avoir le cran de s'attaquer au défaut structurel de l'organisation.
D'où le conseil suivant :
> Ne croyez surtout pas que si les membres de votre équipe restent en place, c'est parce qu'ils s'y sentent bien. Au contraire, il se peut fort bien qu'ils s'y sentent piégés, dans l'impossibilité d'aller voir ailleurs. Par conséquent, qui entend rendre les membres de son équipe plus heureux se doit d'identifier les attributs négatifs durables de celle-ci, puis de les supprimer une bonne fois pour toutes. Car c'est un excellent moyen d'améliorer le plaisir de chacun à œuvrer avec les autres, jour après jour.
En passant, l'écrivain français Honoré de Balzac a dit dans César Biroteau : «En se résignant, le malheureux consomme son malheur».
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