BLOGUE. Vous avez sûrement dû déjà remarquer que votre boss ne semble pas toujours être à l’écoute de ce que vous lui dîtes. Un jour, vous lui avez glissé une idée géniale à l’oreille, mais celle-ci ne s’est visiblement jamais rendue jusqu’à son cerveau. Un autre encore, vous lui avez présenté un dossier durant un quart d’heure, mais tout du long, il semblait ailleurs, sporadiquement préoccupé par son BlackBerry. Pas vrai?
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S’agit-il d’une impression? D’une réalité? le problème vient-il de vous, de votre manque de confiance chronique dès que vous devez vous mettre en avant? D'autre chose encore? Eh bien, la réponse est très crue : rares sont les bosses qui écoutent les autres.
À ceux qui commencent à sourciller, je me permets de leur indiquer que je peux affirmer cela parce qu’une étude passionnante sur le sujet est récemment parue dans la revue Organizational Behavior and Human Decision Processes. Intitulée The detrimental effects of power on confidence, advice taking, and accuracy, elle est signée par quatre professeurs de management, à savoir Kelly See et Elizabeth Morrison, toutes deux de la Stern School of Business, Naomi Rothman, de la Lehigh University, et Jack Soll, de la Fuqua School of Business. Elle dévoile ce qui fait que les bosses ne sont bien souvent pas attentifs à ce que les autres peuvent leur communiquer…
Ainsi, les chercheurs ont procédé à quatre expériences distinctes ; la première est la plus importante, de mon point de vue, et je vais vous la détailler un peu. Ils ont porté leur attention sur 208 salariés qui avaient eu leur diplôme à une même université américaine et qui avaient déjà au moins quatre années d’expérience professionnelle, dans des secteurs très variés (comptabilité, ingénierie, marketing, finances, etc.). Ils leur ont demandé de répondre à plusieurs questionnaires visant à auto-évaluer le pouvoir qu’ils ont au sein de leur enreprise, en tenant compte de différents critères (ont-ils le pouvoir d’embaucher? Ont-ils une influence directe sur d’autres équipes que la leur? Etc.). Ceux-ci ont aussi dû évaluer le niveau de confiance qu’ils avaient en eux-mêmes.
Parallèlement, des personnes qui travaillaient quotidiennement avec ces 208 participants ont été consultés, et il leur a été demandé à peu près les mêmes choses : évaluer le niveau de pouvoir de leur collègue, son niveau d’écoute des suggestions des autres, sa faculté à revenir sur une de ses décisions s’il comprend qu’il n’a pas forcément pris la meilleure, etc. Bref, les quatre chercheurs ont effectué à évaluation à 360 degrés très poussée sur chacun des 208 participants.
Résultat? On ne peut plus instructif :
> Ceux qui ont du pouvoir comme ceux qui estiment qu’il en ont sont considérés par leurs collègues comme des leaders qui écoutent guère les conseils des autres;
> Ceux qui ont du pouvoir pensent que leur jugement est toujours bon;
> Les femmes ont moins confiance en leur jugement que les hommes.
> Les collègues des femmes qui ont du pouvoir pensent que celles-ci sont plus à l’écoute d’autrui que leurs homologues masculins.
Les deuxième et troisième expériences ont confirmé ces trouvailles. Quant à la quatrième expérience, elle a permis de découvrir que, de surcroît, ceux qui ont beaucoup de pouvoir prennent en général de moins bonnes décisions que ceux qui ont ont beaucoup moins. Tout bonnement parce que, faute d’avoir consulté les autres, ils n’avaient pas les bons éléments permettant de prendre la décision optimale…
«Le phénomène est finalement très simple. Le fait d’avoir du pouvoir nous rend plus sûrs de nous-mêmes, ce qui n’est pas en soi une mauvaise chose, car être un leader nécessite d’avoir une grande confiance en soi. Le problème, c’est qu’il y a un côté obscur à la confiance en soi : on risque de devenir über-confiant et d’être de moins en moins ouvert aux autres», souligne Elizabeth Morrison, l’une des quatre chercheurs.
Les implications de cette grande découverte sont nombreuses. L’étude en souligne une seule : «Toute entreprise devrait veiller à ce que ceux qui ont le pouvoir de prendre des décisions importantes soient obligés, dès le début du processus de réflexion, de demander l’avis de leurs subalternes, puis de justifier pourquoi ils ont retenu telle ou telle idée, et pas les autres», y est-il suggéré.
«Si vous croyez avoir d’emblée la bonne solution au problème, ayez alors la sagesse de prendre le temps d’écouter l’opinion des autres sur le problème en question et de vous dire qu’ils ont une approche qui est peut-être meilleure que la vôtre», souligne Mme Morrison.
Le penseur grec Plutarque, contemporain de Jésus-Christ, disait d’ailleurs : «Le commencement du bien vivre, c’est de bien écouter»…
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