BLOGUE. Les mauvais comportements des employés, comme le vol, est un fléau. Un exemple criant : les vols commis par les employés au détriment de leur employeur se chiffrent à quelque 200 milliards de dollars par an aux États-Unis! La question saute aux yeux : pourquoi les employés agissent-ils ainsi? Pour arrondir leurs fins de mois? Par méchanceté? Pour se venger de leur boss intraitable? Un peu de tout ça à la fois?
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Impossible à dire, me direz-vous. Eh bien si, il est possible de le dire. Grâce à une étude intitulée Cleaning house: The impact of information technology monitoring on employee theft and productivity. Celle-ci est signée par : Lamar Pierce, professeur de stratégie à l'École de commerce Olin (États-Unis); Daniel Snow, professeur de management à l'École Marriott de l'Université Brigham-Young (États-Unis); et Andrew McAfee, chercheur à l'École de management Sloan du MIT (États-Unis).
Les trois chercheurs ont voulu savoir ce qui motivait les employés à voler aussi massivement leur employeur. Pour ce faire, ils ont utilisé une base de données exceptionnelle, celle de la firme NCR, qui a conçu le logiciel Restaurant Guard capable de déceler en temps réel la moindre fraude commise par un serveur ou un manager ainsi que d'alerter vite fait la haute-direction.
Comment cela fonctionne-t-il? Tout bonnement à l'aide de la caisse enregistreuse. Le logiciel fonctionne à partir d'un algorithme qui identifie la moindre opération douteuse, et ce grâce à d'infimes indices. Prenons un exemple : un client se décide, finalement, à prendre un dessert, alors qu'il a déjà payé sa facture; il passe sa commande au serveur; le serveur enregistre la commande dans le système informatique; le serveur sert le client; le serveur présente la facture au client; celui-ci paye en liquide; le serveur met discrètement l'argent dans sa poche; et le serveur enregistre dans le système informatique l'information selon laquelle le client a annulé sa commande. Et le tour est joué! Malheureusement pour ce serveur qui se croyait – comme tant d'autres – plus malin que tout le monde, le logiciel de NCR sait repérer ce genre de tour de passe-passe, tout comme de nombreux autres.
Les trois chercheurs se sont intéressé à un échantillon de données concernant cinq chaînes totalisant 392 restaurants établis dans 38 États américains. Et ce, sur une durée allant de mars 2010 à février 2012. Cela représentait le suivi individualisé de 30 114 employés (serveurs ou managers) qui travaillaient en moyenne 22 heures par semaine. Avec toutes ces données – revenus, pourboires, commandes reçues, rapidité d'exécution, messages d'alerte envoyés à la haute-direction, etc. –, il y avait moyen de noter l'impact de l'arrivée du logiciel sur l'attitude de chaque employé au travail, tant les mauvais comportements (vols, nonchalance, etc.) que les bons (productivité, etc.). Le constat est impressionnant :
> Baisse des vols. L'implantation du logiciel a entraîné dans le premier trimestre une diminution des vols commis par les employés d'en moyenne 22%, soit 24 dollars par semaine par employé. Cette baisse va en croissant : elle est en moyenne de 7 dollars pour le premier mois et de 48 dollars pour le troisième.
> Hausse des ventes. L'implantation du logiciel a permis à chaque restaurant d'enregistrer une augmentation de leurs ventes d'en moyenne 7%, soit 2 975 dollars par semaine. Cela se fait surtout sentir pour la vente de boissons (la première source de vols commis par les employés), avec une progression d'en moyenne 10,5%, soit 927 dollars par semaine – un point crucial lorsqu'on sait que les restaurants tirent en général la moitié de leurs profits de la vente de boissons.
> Hausse des pourboires. L'implantation du logiciel a permis à chaque serveur d'empocher davantage de pourboires, qui étaient en général supérieurs d'en moyenne 0,3% par rapport à avant.
À l'échelle individuelle, le constat est tout aussi intéressant :
> Une heureuse compensation. Quand un employé réalise qu'il lui est moins facile de voler son employeur, il compense ses "pertes" par une plus grande productivité et par un meilleur service à la clientèle. Il enregistre en effet davantage de commandes, des commandes mêmes plus élevées qu'à l'habitude. Et ses pourboires sont, eux aussi, plus élevés. C'est bon pour lui, c'est bon pour son employeur, c'est bon également pour le client. Bref, tout le monde en ressort gagnant.
Maintenant, une interrogation demeure : pourquoi ces employés avaient-ils quitté le droit chemin? Et même, pourquoi n'y sont-ils revenus qu'en partie (en dépit des risques croissants de se faire pincer, nombre d'employés continuent d'arnaquer leur employeur…)?
La bonne nouvelle, c'est que les données analysées par MM. Pierce, Snow et McAfee permettent de le savoir. Si, si…
> Impavidité. Les employés qui sont les plus voleurs ne sont pas virés par leur manager, mais préfèrent partir d'eux-mêmes de cet environnement de travail devenu trop surveillé à leur goût. Cela se produit en général dans les semaines qui suivent l'implantation du logiciel de NCR. Qu'est-ce que ça indique? Que les managers ne savent pas comment réagir face au phénomène du vol commis par les membres de leur équipe, d'après les trois chercheurs. Et manquent donc de leadership.
> Pusillanimité. Une fois informés des agissements des uns et des autres, les managers ont le réflexe d'attribuer plus d'heures de travail aux employés qui affichent une belle attitude. Un changement conséquent : les "bons" employés travaillent ainsi en moyenne 2 heures et demie de plus qu'auparavant par semaine. Quant aux voleurs, eh bien, ils leur attribuent les mêmes horaires que d'habitude. C'est-à-dire qu'il n'y a aucune sanction pour eux à ce sujet. Une autre signe de défaillance des managers, selon les trois chercheurs.
Que retenir de tout cela? Une chose très simple :
> Les employés se mettent à quitter le droit chemin en raison de l'attitude des managers. En effet, quand on a des horaires de travail difficiles, quand on est sous pression à plusieurs reprises dans la journée, quand on gagne un petit salaire, et surtout quand on sait que son boss ne sanctionnera pas vraiment une "petite" fraude, alors le dicton se vérifie : «L'occasion fait le larron». Et ce, à plus forte raison si le voleur a un grief contre son employeur (une soirée de congé lui a été refusée, etc.).
Bref :
> Si vous souhaitez voir changer le comportement des membres de votre équipe, commencez par changer le vôtre.
En passant, le sociologue français Edgar Morin a déjà dit : «Le pourcentage de voleurs est le même dans toutes les communautés, même chez les gendarmes».
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