J'ai aujourd'hui une question pour vous. Une question dérangeante. Très dérangeante. La voici : «À votre avis, combien de fois par jour vos collègues vous mentent-ils en pleine face?». Prenez le temps d'y réfléchir, de vous souvenir de la journée d'hier, des interactions que vous avez eues avec eux, de ce qu'ils vous ont dit, de ce qui vous a paru brièvement curieux, que vous n'avez pas vraiment relevé mais qui, au fond, était un mensonge. Oui, prenez le temps d'y penser.
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau
Ça y est? Parfait. Je vais maintenant vous donner la réponse, qui s'appuie sur une étude : une personne normale (comprendre : quelqu'un qui n'est pas un menteur compulsif, et il y en a, malheureusement…) prononce, en moyenne, un mensonge toutes les 3 à 5 discussions. Ce qui signifie que si vous avez eu hier entre 3 et 5 discussions avec des collègues, il y a eu au moins une fois où l'un d'eux vous a menti en pleine face. Saisissant, n'est-ce pas?
Bon. Vous allez me dire qu'il y a des mensonges qui ne prêtent pas à conséquence. Des "petits mensonges", comme de dire le contraire de ce qu'on pense pour faire plaisir à autrui. Un exemple simple : une collègue s'est visiblement fait faire une permanente et vous lui dîtes combien ça lui va bien, alors que vous pensez tout le contraire. Soit, néanmoins cela peut vite mal tourner : imaginez que quelqu'un ne dise pas le fond de sa pensée lors d'une réunion à propos du nouveau projet présenté par le boss… Vous voyez?
D'où l'intérêt, je pense, de regarder comment se génèrent et se propagent les mensonges au sein d'une équipe. Ce qu'a justement fait Dan Ariely, professeur de psychologie et d'économie comportementale à l'Université Duke à Durham (États-Unis) et auteur du bestseller C'est (vraiment?) moi qui décide (Flammarion, 2008), avec trois autres chercheurs – Heather Mann, Ximena Garcia-Rada et Daniel Houser –, dans le cadre d'une étude intitulée Everybody else is doing it: Exploring social transmission of lying behavior. Voici comment ils s'y sont pris…
Il a été demandé à 3 374 volontaires de bien vouloir répondre à un questionnaire, lequel portait sur le comportement qu'ils adopteraient dans 16 scénarios distincts de la vie quotidienne. Il s'agissait d'évaluer leur propension à mentir, plus précisément à recourir à différentes sortes de mensonge :
– Mensonge pernicieux. Il survient lorsqu'on ment délibérément dans l'intention de nuire. Ex.: Dire à un policier qu'on a fait un excès de vitesse parce qu'on devait de toute urgence se rendre quelque part.
– Mensonge officieux. Il survient lorsqu'on ment par omission dans l'intention de nuire. Ex.: Faire exprès de ne pas dire, en entretien d'embauche, que l'on ne maîtrise pas du tout l'une des compétences nécessaires pour le poste qui est ouvert.
– Mensonge gracieux. Il survient lorsqu'on ment délibérément dans l'intention de faire plaisir à autrui. Ex.: Dire à une amie que sa fête a été réussie, alors qu'on sait que les invités ne l'ont pas appréciée.
– Mensonge pieux. Il survient lorsqu'on ment par omission dans l'intention de ne pas gâcher le plaisir d'autrui. Ex.: Faire exprès de ne pas dire à un ami que, contrairement à ce qu'il croit, il joue mal au hockey.
À noter que les quatre chercheurs n'ont pas retenu n'importe quels participants. Ils ont tenu à ce que chacun ait un lien particulier avec l'un des autres : soit il s'agissait d'un proche (parent, ami, etc.) que l'on voit quotidiennement, soit il s'agissait d'un collègue que l'on côtoie tous les jours. Pourquoi avoir décidé cela? Pour voir s'il y avait, ou pas, des similarités dans le mensonge entre personnes qui se connaissaient bien.
Qu'est-ce que cette expérience a permis de mettre au jour? Une chose carrément fascinante :
> Plus on est en présence de personnes qui ont tendance à mentir, plus on a nous-même tendance à mentir. Et cela est particulièrement vrai pour l'une des sortes de mensonges, à savoir le mensonge pernicieux, qui est de toute évidence le plus malsain de tous. Autrement dit, on se met à mentir parce qu'on sent qu'on évolue dans un milieu propice aux mensonges. Et inversement (et ce point est crucial!).
L'air de rien, cette découverte va peut-être vous amener à porter un regard différent sur votre équipe ou votre entreprise… Imaginons que vous soyez en train de discuter avec un collègue, et que vous notiez que celui-ci vient de dire un "petit mensonge". En temps normal, vous n'auriez pas relevé. Mais à présent, ce n'est plus pareil : vous venez de saisir que ce "petit mensonge" est, en réalité, le signal d'un malaise bien plus grand que vous n'imaginiez, oui, le signal qu'il y a vraisemblablement une culture du mensonge au sein des vôtres. Et vous en déduisez, en toute logique, que vous y contribuez probablement vous-même, à votre insu…
Que retenir de tout cela? Et que faire pour remédier à ce phénomène? C'est on ne peut plus simple, à mon avis :
> Qui entend terrasser le mensonge au travail doit commencer par donner lui-même l'exemple. À votre insu, vous mentez vous-même à vos collègues, des "petits mensonges", croyez-vous, mais des mensonges tout de même. Des mensonges par omission, pour faire plaisir, la plupart du temps, j'imagine. Comme tout le monde. Eh bien, osez changer. Arrêtez vos "petits mensonges", et trouvez des astuces pour dire ce que vous avez à dire d'important, sans pour autant blesser qui que ce soit. Ça vous paraîtra difficile, mais vous verrez quye vous y arriverez. Et vous noetrez alors combien la dynamique dans votre équipe va en être bouleversée, pour le mieux.
En passant, le dramaturge et poète français Marie-Joseph Chénier a dit dans son Discours sur la calomnie : «Mentir est le talent de ceux qui n'en ont pas».
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Et mon livre : Le Cheval et l'Âne au bureau