BLOGUE. Vous comme moi, il nous arrive de céder à la facilité et de faire des choix en fonction des autres. Nous achetons en ligne des morceaux de musique que nous recommandent des amis. Nous lisons un livre qui figure en tête des palmarès de vente. Nous nous rallions à la majorité quand une décision concertée doit être prise au sein de l’équipe de travail. Etc. Pas vrai?
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Nous le faisons d’autant plus aisément que nous avons le sentiment de nous décharger de la responsabilité que comporte toute décision. Si notre équipe a fait un mauvais choix, ce n’est pas de notre faute à nous, mais surtout de celle des autres, n’est-ce pas? Si le livre acheté nous tombe des mains, c’est parce que les autres ont mauvais goût. Etc. Mais voilà, la conséquence est qu’il nous faut dès lors vivre avec les erreurs de la collectivité. Que cela nous plaise ou non. Refuser de décider, c’est renoncer à être soi.
Peut-être croyez-vous que ce phénomène ne se produit que pour des décisions mineures. Ou encore qu’il ne concerne pas ceux qui passent leur temps à prendre des décisions, comme les leaders d’équipe ou les dirigeants d’entreprise. Bref, que ça ne vise que le commun des mortels. Eh bien, détrompez-vous. L’instinct grégaire est incrusté en chacun de nous, qui que nous soyons.
Je le sais depuis que j’ai découvert une étude passionnante sur le sujet, intitulée Does the consensus prevail? et signée par Sylvain Marsat, professeur de finance à l’Université d’Auvergne (France). Celui-ci s’est demandé si des experts comme des courtiers se comportaient, ou non, comme des moutons au moment de vendre ou acheter des titres boursiers. Et la réponse est on ne peut plus troublante…
Ainsi, M. Marsat a présenté plusieurs questionnaires à 158 courtiers oeuvrant dans deux institutions financières françaises différentes, X et Y, histoire de voir dans quelle mesure ceux-ci étaient sensibles à l’opinion d’autrui. Les questionnaires suivaient trois étapes, que l’on peut grosso modo résumer comme suit :
> Les courtiers devaient dire s’ils achetaient ou vendaient des actions d’une entreprise fictive, dont on leur donnait quelques données succintes (présentation générale de ses activités, chiffres-clés du secteur où elle évolue, ses ventes, ses profits, etc.). Ils devaient aussi indiquer le degré de confiance qu’ils avaient dans leur choix.
> On donnait maintenant une autre information aux courtiers : le consensus des analystes, c’est-à-dire l’indication de ce qu’avaient décidé de faire la plupart des courtiers réputés sur le marché de la finance. Chacun devait alors indiquer s’il changeait ou pas d’opinion, de même que le degré de confiance qu’il avait dans son choix présent.
> Enfin, on soulignait aux courtiers le fait que si leur opinion divergeait du consensus, leur réputation en pâtirait grandement auprès de la haute-direction de leur firme en cas d’erreur de leur part. Et il leur était redemandé une dernière fois s’ils changeaient ou non d’opinion, tout comme le degré de confiance en leur choix.
Pour bien comprendre les résultats de cette expérience, il faut souligner que les courtiers avaient été, à leur insu, divisés en deux groupes distincts. Tous ceux qui travaillaient dans la firme X aviant eu des données préliminaires sur l’entreprise à évaluer poussant logiquement à acheter les actions de celle-ci. Inversement, ceux de la firme Y avaient eu d’autres données de départ, qui, elles, poussaient à vendre ses titres boursiers.
Alors, que pensez-vous qu’il s’est passé? Dans un premier temps, la logique a été respectée : les courtiers de X ont majoritairement décidé d’acheter, et ceux de Y, de vendre. Puis, à la découverte du consensus des analystes, des changements d’opinion se sont produits : 25 des 88 courtiers qui avaient une opinion initiale différente de celle du consensus se sont ralliés au consensus. Et à la dernière étape, 21 autres se sont finalement ralliés au consensus. En tout, plus de la moitié (46 des 88) courtiers «divergents» du départ ont préféré adopter un comportement grégaire. Oui, 1 sur 2 a choisi de faire comme les autres!
M. Marsat a eu l’intelligence de recueillir des commentaires des courtiers concernés, dans l’espoir de comprendre un peu mieux les motivations de leur décision. L’un d’eux a dit, par exemple : «Je suis quelqu’un de rationnel, c’est pourquoi j’ai suivi l’opinion des analystes». Mais cela n’expliquait pas grand chose. Le chercheur a donc creusé les données concernant le degré de confiance en eux des uns et des autres et il a découvert un point très intéressant : ceux qui dès le départ une grande confiance en eux n’ont pas été sensibles au consensus ni au risque de voir leur réputation prendre un méchant coup en cas d’erreur; inversement, ceux qui avaient peu confiance en eux y ont été particulièrement sensibles.
Mieux, le chercheur était en mesure de voir ce qui a le plus influencé ceux qui doutaient d’eux. L’opinion des autres? Leur réputation? La réponse est : l’atteinte à leur réputation. «Les courtiers qui n’étaient pas trop sûrs d’eux au départ ont suivi le groupe pour deux raisons principales : éviter de prendre une mauvaise décision; éviter d’assumer seuls les conséquences d’une décision erronée», précise M. Marsat dans son étude.
C’est bien simple, pour vous comme pour moi, plus les risques sont grands de voir notre réputation endommagée par l’une de nos décisions, plus nous avons tendance à agir comme des moutons.
Un proverbe tibétain dit : «Il vaut mieux avoir vécu vingt-cinq jours comme un tigre qu’un millénaire comme un mouton»…
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