BLOGUE. Cela m'arrive de temps en temps, et sûrement à vous aussi : en dépit de ma bonne volonté, je fais mal les choses. Au lieu de ramasser un papier à terre, je le laisse là, en me disant que quelqu'un d'autre le fera. Au lieu de soigneusement rédiger un courriel, je le bâcle, en me disant que de toutes façons il sera survolé et vite jeté à la poubelle. Au lieu de m'opposer au consensus, je tais mon idée originale, qui pourtant me semblait intéressante à débattre. Etc.
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Pourquoi agissons-nous parfois ainsi? Oui, pourquoi faisons-nous mal les choses que nous devrions bien faire? Je crois avoir trouvé des éléments de réponses intéressants – 52 exactement – dans un livre intitulé Why good people sometimes do bad things: 52 reflections on ethics at work, signé par Muel Kaptein, professeur d'éthique des affaires à l'École de management de Rotterdam (Pays-Bas) – que je vous offre tout à fait gratuitement dans le PDF joint à cet article.
Ce merveilleux ouvrage décrit 52 cas de figure que l'on peut rencontrer, un jour ou l'autre, dans sa carrière : le phénomène du "petit boss", qui harcèle son entourage pour masquer sa propre incompétence ; la pression du temps, qui nous pousse à mal agir ; le mauvais exemple impuni, qui incite les autres à en faire tout autant ; etc. Chacune de ces histoires, qui peuvent se lire indépendamment les unes des autres, est passionnante. J'en ai choisi une pour vous, un peu au hasard, What you see is not what you say: group pressure and conformity…
L'auteur y raconte l'expérience menée dans les années 1950 par Solomon Asch, qui voulait démontrer que les êtres humains avaient la faculté d'avoir leur propre opinion sur un sujet, sans avoir besoin pour cela de l'opinion des autres. Il a mené pour cela une expérience originale, qui est depuis devenue un classique des sciences humaines.
Sept personnes étaient assises dans une salle et devaient regarder deux cartons. Sur l'un, une droite était dessinée. Sur l'autre, trois droites de longueurs différentes. Chacun devait alors indiquer à voix haute laquelle des droites de la seconde carte était de la même longueur que celle de la première carte.
Facile, n'est-ce pas? En fait, un seul des participants – celui placé à la sixième position – était le vrai cobaye. Tous les autres étaient des assistants de M. Asch, qui devaient mentir en disant, par exemple, que la troisième droite était la bonne, alors que la bonne réponse était, sans équivoque, la deuxième droite. L'objectif : voir si le cobaye se laissait influencer, ou pas, par les autres.
Au début de chaque expérience, tout se déroulait normalement. Les assistants donnaient la bonne réponse, tout allait bien. Mais à partir du 12e test, ils commençaient à mentir. Quelle fut la réaction du cobaye, à votre avis? M. Asch s’attendaient à ce qu'il ne se démonte pas et continue de donner la bonne réponse, puisque celle-ci était simple et incontestable. Et pourtant, à sa plus grande surprise, dans les 12 tests qui ont suivi :
> 75% des cobayes ont donné au moins une mauvaise réponse;
> 50% ont menti, comme les autres, la moitié du temps;
> 5% ont menti tout le temps.
Intrigué, le chercheur a bombardé de questions les cobayes à la sortie de l'expérience, pour leur demander ce qui les avait pris. Ceux qui ont menti au moins la moitié du temps ont admis qu'ils avaient identifié la bonne réponse à chaque fois, mais que les réponses unanimes des autres les avaient déstabilisées : «Si tout le monde voit les choses de la même façon, c'est que ça doit être la bonne façon de les voir», a-t-il eu en guise d'explication.
Ainsi, les cobayes ne voulaient pas se distinguer du groupe. Ils ne souhaitaient pas avoir une vue divergente et exprimer celle-ci à voix haute, même si en leur fort intérieur ils savaient qu'ils agissaient mal, c'est-à-dire contre leur conviction profonde.
Idem, nombre de cobayes ont indiqué qu'ils se sentaient sous pression, face à l'uniformité des réponses des autres. Et que cette pression était si forte qu'ils ne lui ont pas résisté.
M. Asch a répété l'expérience des centaines de fois. Il a constaté que 20 à 40% des gens préfèrent suivre l'opinion générale plutôt que de s'y opposer. Comme des moutons qui suivent bêtement le troupeau, sans trop réfléchir où cela peut bien les mener, d'après M. Kaptein.
«Si l'on applique ces résultats au milieu du travail, on voit vite les ravages que cela peut occasionner, dit-il. Car en entreprise, il importe d'être intégré au groupe, d'être valorisé par les autres, et donc de faire preuve d'une certaine conformité. On travaille tous les jours en étroite collaboration avec ses collègues, et des résultats communs dépendra l'évolution de votre carrière. Bref, la pression sociale y est énorme. En conséquence, rien ne vous incite a priori à exprimer votre individualité, pour ne pas dire votre personnalité.»
L'ennui, c'est que le grand nombre n'a pas toujours raison. Si chacun se met donc à suivre le mouvement général, l'ensemble du groupe risque fort d'aller droit dans le mur.
Autre problème : l'innovation. Les idées neuves viennent, par nature, de ceux qui dévient de la pensée commune. Elle proviennent d'un individu, pas d'un groupe de personnes, dont le réflexe, bien souvent, est de "tuer" tout ce qui dérange, tout ce qui déroge à ses règles.
«C'est pourquoi il est vital, pour une équipe ou une entreprise, d'instaurer une véritable culture propice à l'émission et l'analyse d'idées divergentes. Il est primordial de laisser voix à la diversité, et non à l'uniformité. Car une seule voix distincte peut faire toute la différence», poursuit-il.
Le professeur de l'École de management de Rotterdam suggère un truc pour combattre l'uniformité en entreprise. «Quand une décision doit être prise, demandez à chacun de voter anonymement, en inscrivant son choix sur un bout de papier», dit-il. Cette suggestion n'est pas vraiment de lui, mais de M. Asch. C'est que ce dernier a fait l'expérience de demander au cobaye d'indiquer de la sorte sa réponse, alors que les autres, eux, la donnait à voix haute. Résultat? Le taux de conformité a chuté d'un coup, en moyenne à 12,5%.
En conclusion, n'hésitez pas à vous démarquer des autres, car c'est en cela que vous leur serez le plus utile (sans pour autant devenir le casse-pied de service, bien entendu…). C'est surtout en cela que vous ressentirez moins de pression au travail, et donc que vous vous sentirez mieux dans votre quotidien professionnel.
Maintenant, je vous invite à vite télécharger le PDF ci-joint et à vous plonger dedans. Car il regorge d'idées intéressantes pour qui entend mieux vivre au bureau, jour après jour. Ma suggestion : lisez 1 des 52 réflexions de Muel Kaptein au début de chaque semaine, et tentez de l'appliquer dans les jours qui suivent. Dans pile un an, je suis sûr que votre vie au bureau en aura été transformée.
En passant, le second duc de Lévis a dit dans ses Maximes, préceptes et réflexions sur différents sujets de morale et de politique : «L'homme s'ennuie du bien, cherche le mieux, trouve le mal, et s'y soumet, par crainte du pire».
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