BLOGUE. Que ferez-vous dans un an sur le plan professionnel? Aurez-vous grimpé d'un échelon dans la hiérarchie? Aurez-vous la responsabilité d'un gros dossier? Aurez-vous été viré comme un malpropre? Et dans cinq ans? Et dans dix ans?
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Difficile à dire, pensez-vous sûrement. Car il y a tellement d'inconnues dans l'équation qu'elle est probablement insoluble. Mais voilà, en êtes-vous si sûr que ça? Je veux dire, sont-ce ces inconnues qui rendent la chose complexe, ou bien tout autre chose?
J'ai mis la main sur une étude passionnante à ce sujet, intitulée Naiveté, projection bias, and habit formation in gym attendance. Celle-ci est le fruit du travail de Dan Acland, professeur de politique publique à Berkeley (États-Unis), et de Matthew Levy, professeur d'économie à la London School of Economics (Grande-Bretagne). Elle indique que notre difficulté à nous projeter dans l'avenir découle en grande partie de… nous-mêmes!
Il a été demandé à 120 étudiants de Berkeley de participer à une expérience on ne peut plus simple, à savoir de se rendre régulièrement au gym. Une condition préalable : n'avoir jamais fréquenté de gym de façon assidue auparavant.
Lors d'une première réunion, tous les participants se sont vus offrir 25 dollars pour effectuer dans la semaine un premier entraînement d'une demi-heure au gym de l'université. Lors de la réunion suivante, on leur a demandé de remplir un questionnaire dans lequel ils devaient essentiellement indiquer ce que serait, d'après eux, leur assiduité au gym dans les quatre semaines à venir. Et ce, alors qu'ils avaient été repartis en deux groupes de manière aléatoire :
> Pour la moitié d'entre eux, une offre supplémentaire a été faite : on leur donnerait 100 dollars de plus, s'ils faisaient non pas un mais deux entraînements par semaine durant un mois.
> Pour l'autre moitié, aucune offre n'a été faite. Ils bénéficiaient juste du fait que leur inscription était payée, et donc que cela ne leur coûtait plus un sou d'y aller quand bon leur semblait.
Enfin, les participants ont été réunis une dernière fois, passé les quatre semaines d'expérience, pour faire, une fois de plus, des pronostics sur leur assiduité future au gym.
Comment ont réagi les participants?
> Tous les participants sont allés au gym la première fois.
> Ceux qui pouvaient toucher une prime de 100 dollars y sont allés en moyenne 1,5 fois par semaine durant le mois de l'expérience.
> Ceux qui ne pouvaient toucher aucune prime n'y sont allés en moyenne que 0,25 fois par semaine durant le mois de l'expérience.
> Passé le mois d'expérience, tous les participants ont fréquenté le gym à peu près de la même manière durant les 30 semaines qui ont suivi, soit une moyenne approximative de 0,3 fois par semaine.
Autrement dit, la prime de 100 dollars a été un fort incitatif à fréquenter le gym, mais une fois celle-ci touchée, ou pas, elle n'a pas fait en sorte que ses bénéficiaires sont allés plus souvent au gym que les autres. L'impact a été bénéfique à court terme, mais pas à moyen et long terme.
Cela étant, l'important n'est pas là. Il réside dans les prévisions faites par les participants à leur sujet…
> Durant l'expérience, seulement un tiers des participants ont réellement fait une habitude d'aller au gym, alors qu'au départ ils avaient été 90% à déclarer qu'ils en feraient une habitude.
> Passé l'expérience, les pronostics ont nettement plus collés à la réalité, sans être pour autant parfaits.
C'est bien simple, les participants se sont révélés überoptimistes à leur égard, c'est-à-dire qu'ils avaient une image d'eux et de leurs résolutions qui ne correspondaient pas du tout à la réalité. Oui, ils avaient une image distordue – embellie, si vous préférez – d'eux-mêmes. Ce qui les a poussé à faire de mauvais pronostics sur ce qu'ils se voyaient faire dans un avenir rapproché.
Maintenant, d'où provient une telle distorsion? MM. Acland et Levy ont tenu à le découvrir, et ont mis au point pour cela un modèle de calcul économétrique visant à déterminer ce qui pouvait influencer la résolution d'une personne dans une telle situation. Ce modèle tenait compte de nombreuses variables définies à partir des questionnaires remplis par les participants : démographie (sexe, couleur de peau,…); économie (revenu personnel, temps de transport jusqu'au gym,…); personnalité (tendance à la procrastination, spontanéité,…); etc.
Une fois concocté, le modèle a été inséré dans un ordinateur, histoire de simuler différents cas de figure, et de la sorte mettre en évidence les éventuelles variables capables d'influencer le jugement d'un participant à son égard. Cela a permis de faire une belle trouvaille…
> Naïveté. Les participants se sont montrés überoptimistes pour une raison principale : ils ont projeté dans l'avenir l'image qu'ils avaient d'eux au moment présent, or cette image était tronquée. En effet, tous les participants venaient de faire une séance d'entraînement d'une demi-heure quand on leur a demandé s'ils en feraient autant, voire plus, dans les prochaines semaines, et ils ont considéré en grande majorité que cela était tout à fait à leur portée. Cette image a gommé d'autres éléments, qui ont en fait primé : l'effort que ça demande de s'organiser pour aller au gym, le temps que ça prend quand il faut en même temps étudier, etc. Bref, ils ont été victimes de ce que les deux chercheurs appellent «notre immense naïveté à notre sujet».
Voilà. Tout est dit. Ce qui nous empêche de nous projeter dans le futur, c'est avant tout «notre immense naïveté à notre sujet». Rien d'autre.
D'où mon conseil du jour :
> Quiconque entend se projeter dans le futur avec justesse doit occulter sa propre personne pour se concentrer sur le but à atteindre et les moyens à mettre en branle pour y parvenir.
En passant, l'humoriste français Pierre Dac aimait à dire : «Les prévisions sont difficiles, surtout lorsqu'elles concernent l'avenir».
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