BLOGUE. Quand vous entendez parler de conciliation travail-vie de famille, qu'entendez-vous au juste? Pensez-vous qu'il s'agit d'un moyen pour certains employés de tirer au flanc, en travaillant moins pour leur employeur, et ce, avec son consentement? Ou bien d'une occasion en or pour l'employeur d'avoir davantage d'employés à temps partiel et moins d'employés à temps plein? Ou encore, tout autre chose, comme la traduction d'un aveu secret de tout un chacun, à savoir que l'on est en général moins heureux au travail avec ses collègues qu'à la maison avec les siens, si bien qu'on ne souhaite qu'une chose : passer le moins de temps possible au bureau et le plus de temps possible chez soi?
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Un chiffre semble appuyer la dernière hypothèse : 60%. C'est le pourcentage d'Allemands qui se disaient prêts en 2009 à voir leur rémunération baisser si en échange on réduisait leurs heures de travail. Bref, 3 Allemands sur 5 rêvent d'en faire moins au travail, et bénéficier du même coup de plus de temps à eux. À croire que le travail rend malheureux…
Mais voilà, cette impression est-elle fondée? C'est ce qu'ont voulu savoir deux professeures de management, Alwine Mohnen, de l'École de management de l'Université technique de Munich (Allemagne), et Sarah Holly, de l'École de commerce de l'Université RWTH d'Aix-la-Chapelle (Allemagne). Le fruit de leurs recherches à ce sujet est présenté dans leur étude intitulée Impact of working hours on work-life balance, et montre, entre autres, que l'impact des heures supplémentaires n'est pas forcément celui que l'on croit a priori…
Ainsi, Mmes Mohnen et Holly les deux chercheuses ont regardé de près l'une des bases de données les plus riches d'Allemagne, le GSOEP (The German Socio-Economic Panel), qui fourmille d'informations pointues sur quelque 20 000 foyers du pays. Elles se sont intéressées à toutes les personnes de 16 à 65 ans qui étaient salariées, hormis celles à leur compte et les fonctionnaires. Et elles ont glané différentes informations les concernant, entre 1999 et 2009.
Quelles informations? Eh bien, celles en lien avec le nombre d'heures travaillées, le nombre d'heures de travail désiré, les conditions de travail (temps de trajet entre la maison et le bureau, etc.), le nombre d'heures de loisir, le nombre d'heures passées en famille, le niveau de satisfaction au travail ainsi que le niveau de satisfaction dans la vie en-dehors du travail. Les deux chercheuses ont dès lors pu établir une liste de variables susceptibles d'influencer le niveau de satisfaction des gens au travail comme dans la vie de famille. Une liste comprenant notamment l'âge de la personne, le sexe, la profession, le statut professionnel, le niveau de leadership, les heures supplémentaires, le degré de flexibilité des horaires de travail, etc.
Puis, elles ont relevé les informations les plus pertinentes sur le plan statistique. Résultats? Très instructifs, comme vous allez vous en rendre compte :
> Les Allemands à temps plein travaillent en moyenne 43,4 heures par semaine, mais aimeraient ne travailler que pendant 38,3 heures. Ces deux chiffres ont respectivement progressé de 2,3% et de 1,9% en l'espace de 10 années.
> Les Allemands à temps partiel travaillent en moyenne 24,6 heures par semaine et voudraient travailler un peu plus, soit 25,4 heures.
> Ceux à temps plein effectuent en moyenne 2,8 heures de travail supplémentaires par semaine. Ce chiffre n'a guère varié en 10 ans. Les heures supplémentaires concernent 77% des Allemands à temps plein.
> Ceux à temps partiel font en moyenne 1,5 heure de travail supplémentaire, soit 25% de plus qu'il y a 10 ans. Les heures supplémentaires concernent 70% des Allemands à temps partiel.
> Aujourd'hui, un peu plus d'1 Allemand sur 2 souhaiterait travailler moins d'heures, quitte à être moins payé ; 1 sur 4 se dit satisfait de son horaire de travail et voudrait que cela se poursuive tel quel encore longtemps ; et 15% aimeraient pouvoir travailler davantage.
Et le bonheur, dans tout ça? Voici ce qu'il en est :
> Les plus satisfaits de leur vie en général sont ceux qui sont contents de leur horaire de travail actuel, c'est-à-dire ceux dont les heures de travail effectuées et celles désirées sont voisines, voire identiques.
> Fait particulier à signaler concernant les plus satisfaits : faire des heures supplémentaires leur convient très bien, pourvu, bien entendu, qu'il y ait une "juste" compensation, la préférée étant de loin le gain de congés supplémentaires en échange, et non une prime.
> Les moins satisfaits de leur vie en général sont : d'une part, ceux qui voudraient travailler moins ; d'autre part, ceux qui voudraient travailler davantage.
«Autrement dit, travailler de longues heures durant la semaine et y ajouter des heures supplémentaires ne nuit en rien au bonheur des gens, tant au travail qu'à la maison. Cela rend même heureux. Mais à une condition, c'est que le travail effectué soit perçu comme épanouissant», soulignent Mmes Mohnen et Holly dans leur étude. Et d'ajouter : «En revanche, ceux qui expriment la volonté de passer moins de temps au travail semblent envoyer le message que quelque chose ne tourne pas rond, que ce soit au travail ou dans la vie de famille, voire les deux».
«Notre étude montre qu'un nombre significatif d'employés qui demandent à pouvoir travailler davantage depuis la maison plutôt qu'au bureau veulent, en fait, travailler moins d'heures en tout. Ils se disent que personne ne pourra alors les surveiller de près. Mieux vaut donc y réfléchir à deux fois avant d'accorder cela, car, en fait, cette demande trahit un malaise au travail, et ce n'est peut-être pas la bonne solution de juste passer moins de temps au bureau», disent-elles aussi, tout en s'étonnant de «l'actuelle mode managériale allemande des horaires flexibles et du temps partiel».
Intéressant, n'est-ce pas? Qu'en pensez-vous? Votre vision de la conciliation travail-vie de famille a-t-elle maintenant un peu évolué? Je suis curieux d'avoir votre opinion à ce sujet.
En passant, l'auteure spécialisée dans l'éducation Edith Hamilton aimait à dire : «Ce n'est pas le travail difficile qui est monotone, c'est le travail superficiel».
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