BLOGUE. Quand une équipe réussit un bon coup, on en attribue tout le mérite au groupe dans son entier, et parfois on souligne discrètement le talent de son leader. Idem, quand elle échoue lamentablement, on blâme l’ensemble de ses membres, et tout particulièrement leur leader : pensons au hockey, l’entraîneur-chef fait souvent office de fusible; comme on dit, «c’est la dure loi du sport»…
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Mais voilà, est-on injuste en faisant payer le prix fort au leader? Ou lorsqu’il décroche, lui et pas les autres, une promotion en guise de récompense pour la performance enregistrée par son équipe? Impossible à savoir, me direz-vous. Eh bien, détrompez-vous, il est tout à fait possible de le savoir. Mieux, il est possible d’anticiper la performance d’un leader, et par suite de savoir à l’avance ceux qui vont se planter (ce qui peut permettre de les virer avant même l’échec…)!
Vous avez du mal à me croire, je le devine d’ici. C’est pourquoi je vais essayer de vous convaincre, en partageant avec vous ma dernière trouvaille, une étude passionnante intitulée The performance of football club managers : skill or luck? Celle-ci est signée par trois passionnés de soccer, Adrian Bell, codirecteur de l’ICMA Centre de la Henley School of Business (Grande-Bretagne), Chris Brooks, professeur de finance de l’ICMA Centre, et Tom Markham, doctorant de l’ICMA Centre. Elle montre clairement que la chance n’a rien à voir dans tout cela, bien au contraire…
Pour commencer, il faut expliquer que le soccer, en Grande-Bretagne, est une religion. Ni plus ni moins. Les matchs sont suivis non pas par des partisans, mais par des fidèles : dans les discussions quotidiennes, les Britanniques ont la réputation de davantage parler du soccer que de la météo… C’est donc dire à quel point l’étude dont il est ici question est appelée à faire jaser de l’autre côté de l’Atlantique.
Les trois chercheurs sont partis d’un constat très simple : les entraîneurs, a priori, ne restaient pas longtemps en poste dans la Premier League. Vérification faite, la «durée de vie» de ceux-ci a été en moyenne de 2,19 années, entre 1992 et 2005. Et au début de la saison 2009/10, seulement quatre entraîneurs étaient à la tête de la même équipe depuis plus de trois ans : Rafael Benitez (4 ans et demi), David Moyes (7), Arsène Wenger (12) et Alex Ferguson (22). De surcroît, ils ont noté que la tendance était la même dans les sports de haut niveau aux Etats-Unis, la «durée de vie» moyenne des entraîneurs étant de 2,44 années aux NBA, NFL, NHL et MLB.
La question sautait aux yeux : les propriétaires des équipes de soccer viraient-ils trop vite les entraîneurs? Pour le savoir, les trois chercheurs se sont plongés dans une tonne de documents sur la Premier League, que ce soit ceux de la League Managers Association (LMA), de Soccerbase, de journaux (The Guardian, The Independent,…), ou encore de l’Annual Reviews of Football Finance concoctée par Deloitte. Et ce, avec une idée fixe en tête : établir un modèle de calcul permettant d’anticiper le résultat de chaque match des saisons allant de 2004/05 à 2008/2009, si bien qu’on pourrait voir si une équipe a alors fait mieux ou moins bien que ce qu’elle aurait dû faire; puis, trouver le moyen d’extraire de ce modèle l’une des variables, soit l’impact du seul entraîneur sur le résultat obtenu.
«Not an easy task…», ont reconnu d’emblée MM. Bell, Brooks et Markham dans leur étude, mais sans pour autant baisser les bras. Au contraire, ils n’ont pas été effrayé par le fait qu’on pourrait énoncer une multitude de variables pouvant influencer l’issue d’un match de soccer, à commencer par le hasard – pourquoi pas? –, et se sont creusés les méninges pour identifier les plus pertinentes. En fin de compte, ils en ont retenu une dizaine, dont la masse salariale de l’équipe, le montant total des derniers transfers de joueurs, le nombre de blessés, etc.
Cette méthode leur a permis de découvrir un chiffre clé : 1,37 point. De quoi s’agit-il? Du nombre moyen de points que rapporte en moyenne un match à une équipe, sachant qu’une victoire permet de gagner 3 points, un match nul, 1 point, et une défaite, 0 point.
Premier constat : 42 des 60 entraîneurs ayant officié durant ces cinq saisons n’ont pas vu leur équipe obtenir la moyenne. Les meilleurs ont été Guus Hiddink (2,61 points), José Mourinho (2,33), Avram Grant (2,31) et Alex Ferguson (2,24). Et les moins bons, Kevin Ball (0,45), Billy Davies (0,46) et Mick McCarty (0,51).
On s’en doute bien, ces résultats bruts sont insuffisants pour sceller le sort des entraîneurs. Ils faut maintenant peaufiner les calculs, et comparer la performance réalisée par l’équipe par rapport à celle attendue.
Comment faire cela? Grâce à une technique de calcul éprouvée, qui s’appelle le bootstrap. Le quoi? Le bootstrap est grosso modo une technique de calcul statistique qui permet de vérifier si un résultat brut est valable ou pas. Le principe est simple… Imaginez que vous disposez d’un logiciel de dessin, l’ordinateur exécutant l’objet que vous souhaitez en fonction des caractéristqiues que vous lui donnez. Par exemple, le dessin d’un arbre. Vous entrez comme données la hauteur du tronc, celles des branches, celles des feuilles, celles des racines, bref, tout ce que vous voulez. Et imaginez maintenant que les données que vous rentrez ainsi sont variables : la hauteur du tronc peut fluctuer entre différents chiffres, etc. Dès lors, si l’on applique le bootstrap, on va demander, par exemple, à l’ordinateur, de faire 10 000 fois de suite le dessin à partir des variables que vous lui avez données. Que pensez-vous qu’il va se produire? Au 10 000e dessin, le résultat final ressemblera-t-il encore à un arbre, ou plutôt à une chose arbroïde, avec un tronc mille fois trop petit par rapport à la dimension des feuilles?
Vous venez de comprendre – du moins, je l’espère… –, le principe du bootstrap. À force de dupliquer le résultat brut trouvé, il devient possible de voir s’il se «déforme» ou pas, et donc de savoir s’il est valable ou pas. C’est exactement ainsi qu’ont procédé nos trois chercheurs, pour chaque variable correspondant à l’impact direct de l’entraîneur sur le résultat obtenu par l’équipe, ce qui leur a permis d’affiner leurs premiers constats. Par exemple, ils ont noté que Bobby Robson était l’entraîneur qui sous-performait le plus (0,50 point au lieu de l’attendu 1,35, soit un écart de points de 0,85), suivi de Les Reed (0,57 au lieu de 1,1). Du coup, Mick McCarthy n’était plus le dernier du palmarès (0,36 au lieu de 0,88). Inversement, Alex Ferguson et Guus Hiddink arrivaient en tête, avec un écart de points de +0,72, suivis d’Arsène Wenger, José Mourinho et Rafa Benitez, dont les écarts de points avoisinaient les +0,56.
Forts de ces découvertes, les trois chercheurs affirment que les entraîneurs ont un impact «majeur et direct» sur la performance de l’équipe. Ceux-ci permettent indubitablement aux joueurs de se surpasser, ou au contraire de s’effondrer.
Ce n’est pas tout! MM. Bell, Brooks et Markham sont allés plus loin, en regardant s’il était possible de prévoir la performance à venir de l’entraîneur, et par suite de son équipe. Et ils sont arrivés à la conclusion que «oui», cela était tout à fait possible.
Pour cela, il suffit d’appliquer leur modèle de calcul à partir du moment où au moins 10 matchs ont déjà été joués. Un exemple lumineux : Arsène Wenger, l’entraîneur français d’Arsenal, affiche une performance de 95% supérieure à la moyenne des autres entraîneurs au bout de 10 matchs, et de 99% supérieure au bout de 15 matchs.
Par conséquent, il est bel et bien envisageable d’anticiper la performance d’un entraîneur! Oui, on peut dire, grâce à ce savant modèle de calcul, si un entraîneur est voué à l’échec. Et donc s’il convient de le virer au plus vite, avant même qu’il se soit planté.
Les trois chercheurs se sont ainsi amusés à refaire l’histoire, en prouvant, chiffres à l’appui, que trois entraîneurs auraient mérité d’être renvoyés sans attendre, soit Steve Wigley (Southampton, 2004/05), Mick McCarthy (Sunderland, 2005/06) et Aidy Boothroyd (Watford, 2006/07). Idem, ils indiquent quels entraîneurs ont été virés trop tôt, alors qu’ils étaient voués à connaître le succès : Glenn Roeder (Newcastle United, 2006/07), Chris Coleman (Fulham, 2006/07), Martin Jol (Tottenham Hotspur, 2007/08), Avram Grant (Chelsea, 2007/08) et Sven-Göran Eriksson (Manchester City, 2007/08).
Impressionnant, n’est-ce pas? Pour l’anecdote, ils précisent que leur modèle de calcul est parfaitement applicable à d’autres domaines. On pourrait se demander ce que ça donnerait si on faisait l’exercice sur la Ligue nationale de hockey, et en particulier, sur Jacques Martin, l’entraîneur-chef des Canadiens… Qu’en pensez-vous?
Quant à ceux qui se piquent de management et de leadership, l'interrogation est de savoir si l'on peut appliquer tout cela à l'univers de l'entreprise. Quand on a un nouveau boss, peut-on prédire s'il va mener l'équipe au succès ou droit à l'échec? Même chose quand c'est vous, le nouveau boss…
La réponse? Elle vous appartient. Libre à vous de concocter une liste de variables pertinentes, et d'appliquer le modèle de calcul des chercheurs britanniques. Ou de demander à un expert en statistique de le faire pour vous.
Cela étant, on peut retenir une chose de cette étude : le leader compte. Qu’il soit bon ou mauvais, il a une influence indéniable sur la performance de son équipe. Une influence «majeure et directe», pour le meilleur et pour le pire.
En passant, Winston Churchill aimait à dire : «Le succès, c’est d’aller d’échec en échec sans perdre son enthousiasme»…