BLOGUE. J'ai eu le privilège de rencontrer aujourd'hui Jacques Attali. Oui, l'un des plus grands penseurs de notre temps, celui-là même qui a écrit, entre autres, Sept leçons de vie : survivre aux crises (Fayard, 2010) et Une brève histoire de l'avenir (Fayard, 2009). Celui-là qui a aussi conseillé le président français François Mitterrand, avant de présider la Banque européenne pour la reconstruction et le développement (Berd). Il a, en effet, profité de sa venue à Montréal - à la suite d'une invitation conjointe de la Chambre de commerce française au Canada (CCFC) et du Centre financier international de Montréal (CFI) - pour communiquer aux quelque 550 personnes assistant à sa conférence une splendide leçon d'optimisme.
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«De nos jours, tout est en place pour assister à une formidable croissance économique mondiale durant les trente prochaines années. Et je fais partie de ceux qui sont résolument optimistes pour l'avenir», a-t-il lancé d'emblée.
De fait, la population mondiale va continuer de croître au cours des prochaines décennies, augmentant du même coup le nombre de consommateurs potentiels, d'après M. Attali. La population de l'Afrique, par exemple, va passer de 1 à 2 milliards d'ici 40 ans. Ou encore, celle de la Turquie va dépasser celle de la Russie. Idem, celle de la France dépassera celle de l'Allemagne.
Autre facteur favorable à la croissance économique mondiale : la mobilité des êtres humains. Aujourd'hui, quelque 200 millions de personnes sont considérées comme mobiles sur la planète. Ce chiffre devrait passer à 1,5 milliard dans les trente prochaines années.
Les facteurs sont innombrables : les progrès techniques et technologiques, dont nous ne voyons maintenant «que les balbutiements» ; l'argent, qui va couler à flots plus que jamais ; la liberté individuelle, qui va continuer à s'étendre sur la planète, «et bientôt en Asie, et même en Chine, comme le laisse entrapercevoir ce qui se passe actuellement en Birmanie» ; etc.
Le hic? Tous ces changements ne vont pas se produire sans turbulences. Pourquoi? «Essentiellement parce que les puissances actuelles, déjà nostalgiques du pouvoir qui est en train de leur glisser des mains, font tout pour ralentir l'échéance», a estimé le penseur français.
Ainsi, l'Empire américain ressemble beaucoup à l'Empire romain d'antan, au moment où celui-ci était en train de chuter. Il pense toujours qu'il est en train de triompher, constatant que tout le monde veut être Américain aujourd'hui, ou à tout le moins Occidental. Mais il se met le doigt dans l'œil, car il refuse de voir que le pouvoir réel lui échappe peu à peu : «Au temps des Romains, le centre de gravité du monde correspondait géographiquement à la Méditerranée. Puis, au fil des siècles, il a glissé vers le Nord de l'Europe. Puis, vers les États-Unis. Et maintenant, vers le Pacifique», a-t-il indiqué.
Deux scénarios sont dès lors envisageables pour les prochaines décennies, selon M. Attali :
> Le chaos planétaire. «La globalisation pourrait mener à la somalisation du monde, c'est-à-dire à la généralisation de ce à quoi on assiste en Somalie : une zone économique dépourvue d'État de droit et de gouvernement», a-t-il dit, en soulignant que l'on pourrait alors assister à des guerres ouvertes entre nations «civilisées» et États «voyous». Et d'ajouter : «Ce scénario est vraisemblablement celui qui se produira».
> Le repli sur soi. «Face au danger, on a souvent le réflexe de se replier sur soi pour se protéger. Et on se coupe ainsi des autres, laissant les plus faibles à leur sort», a-t-il poursuivi, mais sans croire que cela puisse arriver à l'échelle de la planète.
L'optimisme, dans tout ça? «L'être humain n'a jamais longtemps sombré dans l'égoïsme. Il a, en général, tendance à pratiquer l'altruisme intéressé, soit à coopérer avec les autres parce qu'il sait que cela est tout à son avantage personnel», a-t-il dit, indiquant par-là une troisième voie envisageable.
D'ailleurs, dans un post de son blogue du magazine L'Express datant du 17 janvier dernier, Jacques Attali avait déjà affiché la couleur. Le titre de ce post disait tout : «Positivez!»
«Trop de mauvaises nouvelles nous assaillent. Depuis des années. Trop de catastrophes et de menaces économiques, sociales, financières, écologiques. Avec leurs conséquences humaines, fracassant des entreprises et des vies, menaçant chacun de nous d’un irréversible déclassement. Face à ces menaces, le monde semble trop vaste, [notre pays], trop petit. Le marché semble trop puissant, la démocratie, trop fragile. Les tentations sont alors grandes d’abandonner, de renoncer, de baisser les bras, de fuir.
«C’est ainsi que s’amorcent toujours les grandes faillites individuelles et collectives. C’est ainsi que, sans en avoir conscience, les plus belles civilisations commencent à disparaître. C’est ainsi que les prophéties les plus noires se réalisent. Il faut, pour l’éviter, prendre toutes ces mauvaises nouvelles comme autant de défis. Et, pour y parvenir, nous devons retrouver l’élan vital, le désir d’affronter les coups du sort et de les vaincre. Et ressentir qu’au-delà du danger la vie et la France en valent la peine. Ce sentiment doit se nourrir d’une nostalgie et d’une espérance, de courage et de respect de soi-même. Alors, seulement, on trouvera la force de ne pas se résigner, de ne pas fuir. On réussira à considérer l’adversité comme une bonne nouvelle parce qu’elle forcera à se dépasser.
«Chacun de nous a été ou sera confronté, à un moment de sa vie, à ce genre de situation. Elle est presque toujours réversible. Et, lorsqu’elle ne l’est pas, c’est seulement parce que la fin arrive. Or, pour une nation, il n’y a pas nécessairement de fin. Un pays peut être immortel, s’il s’en donne les moyens, s’il sait donner du sens, une raison d’être, à ses habitants, pour qu’ils y restent, qu’ils y créent, qu’ils y bousculent les pouvoirs, y aient des enfants, y inventent un avenir.»
Pas mal, n'est-ce pas? Inspirant, pour qui traverse une crise…
En passant, une pensée foudroyante de l'écrivain britannique Gilbert Keith Chesterton tirée de l'un de ses Textes : «L'humanité ne produit des optimistes que lorsqu'elle a cessé de produire des heureux»…
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