BLOGUE. Avez-vous remarqué à quel point des décisions a priori faciles à prendre peuvent nous demander d’efforts? Un exemple : quand vous devez choisir un tube de pâte à dentifrice, combien de temps pouvez-vous passer dans le rayon du supermarché avant de faire un choix, si jamais vous ne trouvez pas celui que vous prenez d’habitude? Et au bureau, quand il vous faut choisir entre consulter vos courriels ou écouter les nouveaux messages de votre boîte vocale?
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Rassurez-vous, ces hésitations répétées sont normales. Votre cerveau n’est pas en train de dégénérer, non, il souffre d’un phénomène courant mais pénible, la «paralysie métacognitive». La quoi? La paralysie métacognitive, un terme de psychologie qui désigne les moments où nos réflexions figent parce que nos pensées fusent de toutes parts à toute vitesse.
J’ai découvert cela dans une étude passionnante signée par deux chercheurs : Aner Sela, de la Warrington School of Business de l’University of Florida, et Jonah Berger, de la Wharton School of Business de l’University of Pennsylvania. Ceux-ci ont mis au jour un phénomène intrigant qu’ils ont dénommé «sable mouvant décisionnel». «Nous lui avons donné ce nom parce qu’il piège les gens en leur faisant croire qu’ils sont en terrain stable (la décision à prendre n’est pas d’une grande importance), et aussi parce qu’une fois pris dans le piège, les gens ont le réflexe de se débattre, ce qui aggrave la situation», écrivent-ils dans leur étude.
Voici comment MM. Sela et Berger s’y sont pris pour découvrir ce phénomène… Ils ont mené trois expériences ingénieuses pour vérifier leurs deux points, à savoir que l’on pouvait facilement s’embourber dans des choix pourtant simples à faire et que l’on faisait empirer le processus de réflexion à mesure qu’on y passait de plus en plus de temps. La deuxième expérience est révélatrice…
Ainsi, ils ont demandé à 264 personnes de faire un choix parmi différentes options de vol aérien. Aux participants du premier groupe, ils ont dit que le bon choix n’était pas évident à trouver, et à ceux de l’autre, le contraire, à savoir qu'il était facile à trouver. Sans surprise, ceux pour qui le bon choix était supposé être compliqué à dénicher ont réagi en prenant tout le temps nécessaire pour y arriver ; et les autres ont vite tranché. Ce point est très intéressant : parce qu’ils croyaient que la tâche était ardue, les participants du premier groupe lui ont attribué de l’importance, et ont mis en branle toutes leurs facultés intellectuelles pour sortir gagnants de l’opération ; et inversement.
«Quand les gens savent qu’une décision n’est pas facile à prendre, ils lui accordent davantage d’importance qu’elle n’en mérite en réalité et ils sont disposés à y consacrer du temps et des efforts pour trancher au mieux. Et plus ils passent de temps à réfléchir, plus l’importance de l’objet de leur réflexion s’accroît. C’est un peu comme un cercle vicieux», notent les deux chercheurs.
Pourquoi réagissons-nous de la sorte? Parce que la paralysie métacognitive nous pousse, malgré nous, à chercher le plus d’informations possible pour prendre une décision. Quand nous avons un choix à faire, et en particulier un choix qui n’est pas crucial (par exemple, courriels ou messages téléphoniques?), notre cerveau se met aussitôt en quête de toutes les informations accessibles. Mais cela a pour effet de nous embrouiller davantage l’esprit, car nous traitons alors des flux de données non pertinentes (par exemple, «Ah oui, il faut que j’envoie un courriel à ma nièce pour sa fête» ou «J’ai encore oublié de rappeler la collègue du marketing»). Les deux chercheurs l’on d’ailleurs vérifié dans une expérience supplémentaire, et sont arrivés à la conclusion que «le fait de considérer davantage d’informations accroît directement notre temps de réflexion, ce qui augmente le niveau de complexité de la décision à prendre, renforce l’importance que l’on accorde à celle-ci, et nous enfonce encore plus dans le sable mouvant», soulignent-ils. Et nous figeons...
Le hic dans tout ça? Comme ce phénomène vient d’être découvert, personne n’a encore réfléchi sur le moyen d’y remédier… Mais bon, d'être averti d'un danger peut nous permettre de ne pas tomber trop facilement dedans, non? Commencez donc par vous demander si la décision à prendre est vraiment importante, ou pas. Si objectivement elle l’est, n’ayez aucun scrupule à prendre le temps nécessaire pour faire le bon choix. Sinon, ne perdez pas trop de temps à ça, tranchez vite, et passez au dossier suivant. Qu’en pensez-vous?
Une image, pour finir… Vous connaissez le philosophe français Jean Buridan, qui vécut au XIIIe siècle? On lui doit le dilemme de l’âne de Buridan : un jour, l’animal s’est vu offrir en même temps son picotin d’avoine et son seau d’eau ; il voulait autant l’un que l’autre ; il a fini par mourir de faim et de soif, ne sachant pas par quoi commencer.
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