BLOGUE. À en croire nombre de gourous du management, c’est une épidémie. Tous, vous comme moi, nous avons tendance à remettre au lendemain ce que nous avons d’important à faire. Par peur de l’échec, par timidité, par goût du jeu, etc. Et du coup, chacun y va de son petit traitement : instaurer des étapes dans son travail, commencer par ce qui nous tente le plus, acheter un chronomètre et travailler par périodes de 20 minutes, s’auto-appliquer la loi de Pareto, bla bla bla…
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Si vous cherchez une méthode efficace, ou plutôt prouvée pour utiliser le bon terme, alors je vous recommande vivement de vous plonger dans le récit d’une expérience menée récemment sur le terrain par quatre chercheurs d’Ideas42, un organisme de recherche qui combine la psychologie à l’économie issu de Harvard, à savoir Ximena Cadena, Alexandra Cristea, Antoinette Schoar et Héber Delgado-Medrano. Leur étude s’intitule sobrement Fighting procrastination in the workplace : an experiment, étude dans laquelle on peut décler des conseils pratiques lumineux, à mon avis.
Ainsi, l’équipe d’Ideas42 a remarqué que la quasi-totalité des études sur la procrastination se basaient sur des expériences menées en laboratoire ou sur des étudiants, et jamais sur le terrain. Curieux, car le phénomène concerne surtout la vie au travail. D’où leur envie d’aller voir comment cela se passait dans une entreprise concernée par le problème, et d’y mener une petite expérience, histoire de vérifier si une solution parmi d'autres pouvait permettre d’atténuer les symptômes.
Ils ont choisi la Bancamia, une banque colombienne spécialisée dans les crédits pour les petites et les micro-entreprises. Celle-ci compte une soixantaine de succursales en Colombie, chacune d’elles comptant en moyenne 6 directeurs de compte. Elle accorde chaque année l’équivalent de 160 millions de dollars américains en prêts, et dénombre quelque 180 000 clients. Son problème? La procrastination des directeurs de compte.
De fait, les directeurs de compte de la Bancamia avaient la fâcheuse tendance de boucler leurs dossiers dans la dernière quinzaine du mois, si bien qu’en début de mois, aucune entrée d’argent n’était enregistrée, ou presque. A priori, aucune explication logique n’expliquait ce comportement, si ce n’était que leur dead-line est fixé au dernier jour du mois, si bien qu’ils rushaient à la dernière minute pour décrocher des bonus. Cette mauvaise habitude avait de lourdes conséquences : 53% des directeurs de compte reconnaissaient avoir du mal à planifier leur travail et 70% d’entre eux, souffrir du stress, en particulier à l’approche des fins de mois; de son côté, la haute direction était inquiète de la variabilité de la productivité de ses employés clés et avait conscience que cela risquait de se traduire, un jour ou l’autre, par un taux de burn-out élevé.
Les quatre chercheurs d’Ideas42 ont alors eu le feu vert pour agir à leur guise. Ils ont lancé le programme Madrugador (qui signifie «matinal» en espagnol), lequel consistait à inciter les directeurs de compte à boucler leurs dossiers en début de mois plutôt qu’à la toute fin. Les incitatifs correspondaient à des récompenses attribuées à chaque dossier, sous forme de billets de cinéma et autres coupons de restaurant, dont la valeur unitaire ne pouvait pas dépasser 2% du montant du prêt alloué.
À cela s’ajoutait une autre mesure : les cadres supérieurs des directeurs de compte ont eu pour mission de soutenir concrètement ceux-ci dans leur effort pour combattre la procrastination. Par exemple, on leur a demandé d’organiser chaque semaine des réunions individuelles avec les directeurs de compte pour faire le point sur leurs dossiers et pour voir comment corriger le tir, le cas échéant.
Résultat? Des améliorations spectaculaires! Les directeurs de compte ont réussi en très peu de temps à boucler 30% plus de dossiers durant la première quinzaine du mois qu’auparavant. Et cela sans affecter le rendement de la seconde quinzaine. Ça signifie qu’ils ont mené à bien 30% de dossiers en plus, de nouveaux dossiers concernant de nouveaux clients. Bingo pour la productivité! Et puisque le rythme de travail est devenu plus régulier, le niveau de stress s’est mis à diminuer.
Pour vérifier que ces progrès provenaient bel et bien du programme Madrugador, les chercheurs ont brutalement arrêté de l’appliquer, sans vraiment prévenir qui que ce soit. Et là, que s’est-il passé? Je vous le donne dans le mille : les directeurs de compte se sont remis à procrastiner, comme avant!
Que peut-on déduire de cette expérience palpitante? Que tout succès repose sur la motivation. On aura beau dire, on aura beau faire, si ses employés ne sont pas motivés par le travail qu’on leur propose, rien de bon ne se produira. Absolument rien.
Et à quoi tient la motivation? À un billet de cinéma? À un coupon de restaurant? Bien sûr que non. L’important, c’est la méthode pratique qui est instaurée au sein de chaque équipe. Dans le cas présent, le leader s’est mis subitement à parler avec les membres de son équipe, à les rencontrer individuellement, à réfléchir avec eux sur la meilleure solution pour travailler mieux, à leur faire sentir qu’ils comptent à ses yeux. La mission est devenue plus claire pour chacun. Et les buts à atteindre moins impressionnants, et donc plus aisés à réaliser, parce qu’évalués chaque semaine, et non chaque mois.
Oui, les leaders ont un grand rôle à jouer dans le succès de leur équipe. Et s’ils n’en font pas assez, eh bien, cela peut se traduire par de la procrastination, et tous les maux qui vont avec. Le combat contre cette maladie ne doit pas être livré par le malade lui-même, mais par le duo composé du médecin – à savoir vous, le leader – et du patient. L’astuce suggérée par le programme Madrugador est par conséquent très simple : si vous voulez que ceux qui ont du mal à se mettre au travail dans votre équipe changent de comportement, coachez-les davantage. C’est tout. Qu’en pensez-vous?
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