BLOGUE. Les jeux vidéo ont mauvaise presse : ils développent des instincts barbares, ils ne poussent pas à réfléchir, ils coupent les joueurs des autres, voire de la réalité, etc. Du coup, nous avons tous une vision stéréotypée des amateurs de ces jeux : un étudiant attardé rivé à l’écran d’ordinateur de sa chambre, en passe de devenir obèse à force de dévorer des pointes de pizza surgelées. Bien entendu, cette vision est aujourd’hui obsolète. L’univers des jeux vidéo est, en réalité, devenu si passionnant qu’on peut en tirer une foule d’enseignements en matière de management!
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Un livre me l’a fait découvrir : Reality is broken : Why games make us better and how they can change the world, de Jane McGonigal (Penguin Press, 2011). L’auteure est elle-même conceptrice de jeux vidéo ainsi que directrice, recherches sur les jeux vidéo, de l’Institute for the Future. Elle soutient dans son ouvrage que la vie réelle est souvent «déprimante, triviale et insatisfaisante», alors que la réalité virtuelle nous offre l’inverse : quand on joue, on se sent «motivé, optimiste, ambitieux, déterminé, résilient et coopératif». Par conséquent, nous devrions nous inspirer de l’univers des jeux vidéo pour transformer notre quotidien, en particulier au travail.
Prenons l’exemple de World of Warcraft, un jeu multijoueurs en ligne, qui consiste à faire évoluer son personnage de fantasy au fil des missions, lesquelles ne peuvent être remplies que si l’on s’associe à d’autres joueurs. Il a déjà séduit quelque 11 millions de joueurs sur la planète. Ses liens avec la vie au bureau sont nombreux : il faut former une équipe, atteindre un objectif, faire mieux que les concurrents, planifier sa carrière, chercher à devenir un leader incontesté, etc. Les tâches sont à foison, elles sont ardues, elles demandent de l’engagement des uns et des autres, et pourtant, les joueurs sont «heureux et productifs», souligne Mme McGonigal.
Comment expliquer ce mystère? «Les jeux vidéo déclenchent des émotions positives et renforcent nos liens sociaux, si bien qu’ils nous procurent du bonheur», affirme-t-elle. Son propos s’appuie sur plusieurs études qui montrent, entre autres, que le simple fait de jouer à un jeu vidéo de courte durée durant sa journée de travail procure la motivation, l’énergie et l’optimisme nécessaires pour se remettre au boulot. D’ailleurs, 62% des cadres américains s’adonnent aux jeux en ligne au bureau, et cela leur donne le sentiment d’être par la suite encore plus productifs, ajoute-t-elle.
Mieux, les jeux vidéos transformeraient le cerveau des joueurs. «La différence entre le cerveau d’un introverti et celui d’un extraverti, c’est que celui du premier utilise moins de dopamine que celui du second quand il est avec d’autres personnes. Et on a remarqué que lorsqu’un introverti joue en ligne à un jeu multijoueurs, il se met à utiliser davantage de dopamine», indique-t-elle.
Les jeux vidéo, par conséquent, permettent d’influencer les joueurs, et ce dans le bon sens, si on le souhaite. Ils peuvent notamment les motiver à faire toutes sortes de choses, ce que nombre de gestionnaires et autres dirigeants d’entreprise ont bien du mal à faire avec leur équipe, ou bien avec leur clientèle, non?
D’ores et déjà, des entreprises ont commencé à mettre en pratique cet enseignement. Nike encourage ses clients à rester en forme, en utilisant des méthodes de communications inspirées de l’univers des jeux vidéo. Ou encore, le quotidien britannique The Guardian demande régulièrement l’aide de ses lecteurs pour éplucher les tonnes de documents confidentiels mis en ligne par WikiLeaks.
En matière de management, l’idée est donc de procéder à une gamification du travail, à savoir à une transposition des mécanismes des jeux vidéo dans le quotidien du bureau, afin de rendre celui-ci plus attrayant, selon moi. On peut prendre une tâche ordinaire, comme l’organisation d’une réunion, et y ajouter une touche ludique : faire gagner des cadeaux, aborder le sujet principal comme une mission à remplir, demander aux participants d'incarner un personnage, etc. Cette situation peut alors paraître déstabilisante pour certains, mais elle pourra auusi permettre à d’autres de se mettre soudain à participer, au lieu de subir le moment présent et de chercher à naviguer discrètement sur leur BlackBerry…
La gamification ne revient pas à chercher à rendre le quotidien plus simple, mais au contraire à le faire devenir plus excitant. Nous avons tous besoin de relever des défis, d’aller au maximum de nos possibilités, de mener à bien des missions difficiles. Et nous savons bien que c’est en groupe que nous y arriverons, jamais tout seuls dans notre coin. Or, les jeux vidéos poussent des groupes innombrables d’individus à unir leurs forces et leurs talents pour surmonter des obstacles impressionnants et atteindre des sommets extraordinaires. Et c’est justement ce que devrait être l’approche de tout leader digne de ce nom. Pas vrai?
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