BLOGUE. Trop souvent, la créativité en entreprise se résume à des réunions de brainstorming épisodiques, plus ou moins bien animées, et plus ou moins efficaces. On a en tête qu’il faut éviter d’y tuer des idées, d’y rester le plus ouvert d’esprit possible, dans l’espoir qu’il en ressortira la trouvaille géniale qui révolutionnera le marché dans lequel on évolue. En fait, on se met le doigt dans l’œil…
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Pourquoi? Parce qu’il n’y a pas de créativité possible sans méthode. Oui, une méthode rigoureuse, digne de celle de Descartes. Je l’ai saisi hier, lors de la conférence donnée à l’Association des MBA du Québec par Jean-François Bouchard, cofondateur et président de Sid Lee, une agence montréalaise dont le slogan est justement «Commerce + Créativité». Celui-ci a dévoilé la recette secrète de Sid Lee pour innover en permanence, et donc être en mesure de décrocher des contrats de communication auprès de multinationales comme Adidas (voir ci-dessous sa toute dernière pub, signée par Sid Lee!), Dell et le Cirque du Soleil. Une recette qui tient en 10 règles :
1. Faire le casting des meilleurs talents. Le terme de «casting» est important, car il n’a rien à voir avec celui d’«embauche». «Embaucher, c’est combler une case dans un organigramme. En revanche, procéder à un casting, c’est tenter de donner une place à un talent qu’on rencontre, c’est s’offrir la possibilité d’adapter l’organisation au nouveau talent qui arrive dans le groupe», explique M. Bouchard. C’est ainsi que Sid Lee a effectué, le 25 novembre dernier, un casting en direct sur le Web, où les candidats ont pu démontrer leurs talents dans l’un des cinq bureaux de Sid Lee dans le monde (Amsterdam, Paris, Toronto, etc.) et discuter avec les cofondateurs de l’agence, depuis le bureau de Montréal, le tout via Facebook.
2. Ouvrir son esprit. Il s’agit d’un exercice à faire en permanence, à chaque instant où l’on travaille. Pas seulement un effort à faire lors des réunions. Cela est devenu si vrai chez Sid Lee que chacun y considère aujourd’hui que «le statu-quo est plus risqué que le changement». «Nous sommes peut-être tombés dans le travers inverse, nous avons tellement peur du statu-quo que nous cherchons tout le temps à nous mettre en position inconfortable», raconte-t-il en souriant.
3. Stimuler la multidisciplinarité. La créativité consiste à détruire les ilôts des disciplines, afin que se produisent des chocs d’idées. «La pire erreur, c’est de confier la créativité à un groupe et un seul, comme de laisser la R&D à la bande d’ingénieurs de l’entreprise», dit M. Bouchard. D’où le mélange systématique des professions dans les équipes mises en place chez Sid Lee : «C’est comme ça que nous sommes devenus la première agence de pub à nous lancer dans l’architecture! En combinant des architectes avec des créatifs, nous avons découvert qu’il était possible d’innover en alliant le branding au design intérieur», illustre-t-il, en citant les exemples des locaux de la SAQ Signature ou ceux des boutiques Vidéotron.
4. Jouer en équipe. «Van Gogh, le génie qui révolutionne la peinture dans son coin et finit par se trancher une oreille, au bord de la folie, c’est fini. Ça n’existe plus aujourd’hui. Rien de bon ne peut se faire maintenant sans le travail d’équipe», soutient-il.
5. Collaborer & Donner. Il fut un temps où l’on isolait l’équipe chargée des innovations, de peur que ses idées ne fuient à l’externe. Procéder de la sorte est devenu ridicule aujourd’hui, comme le montre le fait que nombre de multinationales qui figurent dans le Fortune 500 font de plus en plus appel à des ressources externes pour dénicher des idées géniales. Cela passe notamment par les médias sociaux, les internautes étant, par exemple, invités à faire des suggestions pour améliorer un produit ou pour en créer un qui répondrait à des besoins spécifiques. Du côté de Sid Lee, cela va se traduire dans trois mois par une opération originale, le «Sid Lee Boot Camp». Huit jeunes talentueux vont être invités à un camp créatif, enfermés pendant 240 heures d’affilée dans un entrepôt industriel désaffecté, où seront dressées des tentes et installés tout le matériel nécessaire pour faire germer leurs idées. Leur mission consistera à réinventer une marque, celle de Fatboy, un manufacturier des Pays-Bas (coussins, sacs, jeans, etc.), et l’ensemble de ses communications. «Nous allons donner la chance de briller à des jeunes, et savons que nous en retirons beaucoup nous-mêmes», dit-il, en indiquant que Sid Lee a déjà recueilli 200 CV de candidats.
6. Éliminer les frontières. Les talents peuvent provenir de n’importe où, il est donc absurde de mettre des barrières aux étrangers : chez Sid Lee, on y parle plus de 20 langues différentes et les employés sont issus d’une trentaine de pays. «Le Cirque du Soleil nous a beaucoup impressionné sur ce plan, ce qui nous a permis de lever facilement les barrières que nous avions auparavant», confie M. Bouchard.
7. S’ancrer dans un foyer de créativité. Ce n’est pas parce qu’on est multiculturel que l’on doit perdre sa propre identité. «Sid Lee n’existerait pas si nous n’étions pas nés et restés à Montréal. Il y brûle une petite flamme de créativité magnifique, à nulle autre pareille, qui commence d’ailleurs à se faire remarquer à l’étranger et qu’il faut à tout prix aider à grandir», clame-t-il à la tribune en arborant fièrement un T-shirt «Montréal».
8. Un lieu de vie, et non de travail. Le design des bureaux sont d’une grande importance pour que règne une culture de la créativité dans une entreprise. Chez Sid Lee, chaque bureau a sa propre identité (celui de Paris n’a rien à voir avec celui d’Amsterdam, etc.). La clé : faciliter au maximum les échanges entre les employés.
9. Expérimenter et se planter. «Nous, nous avons une longue liste d’erreurs, et nous en sommes fiers», dit-il. Car celle-ci est la preuve que personne n’a peur d’oser se montrer créatif. D’ailleurs, Sid Lee a instauré une tradition, les «Moron Awards» : «Chaque fin d’année, on organise un party où l’on décerne des trophées à ceux qui ont fait les pires conneries. On ne souligne pas les bons coups, mais les mauvais!», raconte le président de l’agence.
10. S’amuser. La créativité ne carbure vraiment que dans un contexte ludique. Partant de ce postulat, Si Lee s’est bâti sur une culture de la fête, à l’image du «Sid Lee Day», une journée où chacun est obligé de venir au bureau, mais a l’interdiction absolue de travailler! «Il est vital de ventiler», souligne M. Bouchard, en dévoilant des images de partys déjantés.
Bien entendu, la méthode Sid Lee n’est pas applicable telle quelle à toutes les entreprises. Tout le monde n’a pas une équipe chargée de trouver sans cesse des idées brillantes, une équipe composée de jeunes talents aux égos parfois démesurés et à l’énergie débordante. Néanmoins, il y a sûrement ici de quoi piocher des concepts susceptibles de réveiller la créativité latente de vos employés. «S’il n’y en avait qu’une à appliquer, ce serait la première, car tout part de là : le casting des meilleurs talents», indique le président de l’agence.
De surcroît, cette méthode ne peut porter fruit qu’à certaines conditions. Il convient, en effet, d’encadrer la créativité, sans quoi elle ne débouchera sur rien de concret. «La créativité doit exprimer une stratégie d’affaires, sinon elle n’est qu’une perte de temps. Elle doit aussi être limitée aux finances disponibles. Et elle doit viser une mise en marché. Pour donner une image, je vois la créativité comme un bébé, qui a besoin de parents pour grandir et qui, un jour, n'a plus besoin d'eux pour se développer tout seul», dit-il.
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