BLOGUE. L’Histoire est ingrate. Elle ne retient que si peu des grands hommes. Ainsi, que restera-t-il de Barack Obama? Qu’il a été le premier Noir à devenir président des États-Unis, certes. Et puis? Là, comme moi, vous vous grattez la tête, en vous disant qu'il risque de connaître le même sort que Carter, en qui le monde entier avait fondé les espoirs les plus fous, en pure perte. Et pourtant, j'ai trouvé. Oui, j'ai trouvé qu'il mériterait de ne jamais être oublié, ne serait-ce que pour une phrase, une phrase d'un discours prononcé la semaine dernière, et qui malheureusement est passée inaperçue sur le moment.
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Cette phrase est la suivante : «Le vrai leadership consiste à créer les conditions nécessaires pour que les autres grandissent avec vous». Il l'a prononcée dans son allocution aux Américains pour leur expliquer pourquoi les Etats-Unis avaient engagé, avec leurs alliés, une action militaire contre la Libye de Mouammar Khadafi. Ce discours était très attendu, car cela faisait déjà une dizaine de jours que les opérations avaient été entamées, sans explication officielle de la part du président.
Pourquoi cette phrase a-t-elle retenu mon attention? Parce qu'elle est une merveilleuse défintion du leadership. Et surtout parce qu'elle donne une nouvelle dimension au leadership!
Je m'explique. Dans le cas présent, les autres sont les alliés des Etats-Unis - «des nations comme le Royaume-Uni, la France, le Canada, le Danemark, la Norvège, l’Italie, l’Espagne, la Grèce et la Turquie, ainsi que des partenaires arabes comme le Qatar et les Émirats arabes unis». Tous ont accepté de «partager les coûts et la responsabilité des opérations», et ce «au nom des principes de justice et de dignité humaine». «Le leadership américain ne consiste plus aujourd’hui à intervenir seul là où cela est nécessaire et à supporter sur ses seules épaules le malheur des autres. (…) Il vise à travailler de concert avec nos alliés et nos partenaires», a-t-il précisé.
Cette vision du leadership américain prend le contre-pied de celle qui était en vigueur jusqu’alors aux Etats-Unis. Depuis l’effondrement du Mur de Berlin en 1989, les Américains étaient devenus de facto la seule super-puissance mondiale, si bien qu’ils s’étaient lancés dans des conflits militaires de leur propre chef, à chaque fois pour assurer leur suprématie, sans vraiment en aviser quiconque. Pensons à la Guerre du Golfe (1991), à la Somalie (1993), à l’Afghanistan (2001), à l’Irak encore (2003), etc. Là, pour la première fois, les Etats-Unis ne vont pas les premiers au front, ils agissent avec les autres, sur le même pied d'égalité que tout le monde, sans prendre les choses en mains. Barack Obama a mis en application une nouvelle manière de diriger les opérations, qui repose totalement sur la collaboration.
Pour certains, il s'agit d'un aveu de faiblesse, sachant que depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, les Etats-Unis n’ont jamais remporté le moindre conflit armé (défaite au Vietnam, retraite en Afghanistan, bourbier en Irak, etc.)? Ou plutôt, pour d'autres, d'une prudence extrême, caractéristique de la manière de Barack Obama de régler ses dossiers? Pour d'autres encore, d'une bourde monumentale? Les opinions sont partagées chez nos voisins du Sud.
Un exemple frappant : Alan Webber, éditeur du magazine Fast Company et auteur de Rules of Thumb : 52 Truths for Winning at Business Without Losing Yourself, s’est offusqué sur son blogue des «sornettes» du président américain. «Il manipule les Américains comme le faisait Henry Kissinger avec Richard Nixon, quand il lui disait : «Monsieur le président, voici la première option, qui franchement n’est pas très bonne; voici la deuxième option, qui est aussi mauvaise que la première; maintenant, si vous le souhaitez, il y a une troisième option, qui est sans nul doute la meilleure, mais bien entendu, Monsieur le président, c’est à vous de choisir». (…) En faisant croire qu’il s’agit d’une banale opération militaire menée avec des amis, il laisse croire aux Américains que tout va bien et que tout ira bien, que c’est business as usual. Ça revient à dissimuler le fait qu’il a décrété, tout seul, sans en discuter avec ses concitoyens, que les Etats-Unis étaient devenus sur la scène internationale un pays comme les autres.»
Autre erreur, semble-t-il, de Barack Obama : le timing. Le président a tenu son discours exactement neuf jours après le largage des premières bombes sur la Libye. Neuf longues journées qui ont laissé la place à toutes sortes de spéculations : «Cela était-il voulu pour signifier que l’intervention américaine n’était que chirurgicale, comme le disaient alors ses partisans? Ou bien, cela indiquait-il son manque de leadership dans ce dossier, comme l’affirmaient ses détracteurs? Le fait est que toute erreur de timing est préjudiciable quand on est un leader», dit, de son côté, Carol Kinsey Gomanis, coach de dirigeants d’entreprise et auteure de The Silent Language of Leaders (à paraître ce mois-ci chez Jossey-Bass).
Alors? Barack Obama s’est-il pris les pieds dans le tapis? Pas du tout, d'après Katherine Tyler Scott, associée du cabinet-conseil Ki ThoughtBridge et auteure de Transforming Leadership : The Episcopal Church of the 21st Century. Le président a concocté dans ce discours historique «un nouveau paradigme du leadership», écrit-elle dans la page On Leadership du site Web du Washington Post. Et c’est juste cela qu’il faut retenir.
«Son nouveau type de leadership tient compte du fait que la scène internationale est devenue incroyablement complexe et qu’un pays seul ne peut plus parvenir à trouver la meilleure solution aux problèmes. La croyance selon laquelle une super-puissance se doit d’agir de manière unilatérale est aujourd’hui périmée. Comme dans n’importe quelle organisation, à l’Otan comme en entreprise, c’est à plusieurs qu’on peut avoir du succès. Pas autrement», ajoute-t-elle, en soulignant à quel point la définition du «vrai leadership» d’Obama est remarquable.
Maintenant, ne s’agit-là que de belles paroles? Les Etats-Unis de Barack Obama sont-ils véritablement déterminés à poursuivre cette guerre jusqu’à la destitution de Mouammar Khadafi? Sont-ils prêts à mettre en œuvre les moyens nécessaires pour ne pas s’enliser dans le désert libyen? Il est bien entendu trop tôt pour le dire. Toutefois, des signes semblent indiquer que le président américain attache beaucoup d’importance à ce dossier : des agents de la CIA ont été parachutés sur place pour soutenir les rebelles et tenter de localiser le dictateur libyen, et des journalistes étrangers se sont dits surpris de voir les rebelles, armés de pétoires au début des hostilités, équipés du jour au lendemain d’armes flambant neuves et de quantité de munitions…
Nous sommes donc bel et bien en train d’assister à une révolution managériale à la tête des Etats-Unis, à mon avis. Une révolution qui aura – on peut rêver – des répercussions encore inimaginables. Qui sait, jusque dans la façon de diriger une multinationale, une petite entreprise, ou une équipe… La vôtre? Et pourquoi pas?
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