BLOGUE. Qu’est-ce qui symbolise le mieux le Québec, selon vous? Le fleur-de-lysé? Le sirop d’érable? La croix du Mont-Royal? Céline Dion? Pas du tout! Ce sont les patenteux! Oui, tous ces Québécois qui font preuve de débrouillardise, voire de génie, avec des moyens de fortune. Et le plus incroyable, c’est que personne, ou presque, ne l’a encore réalisé et… exploité.
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Cette idée m’est venue en parcourant d’un œil distrait une étude a priori rebutante, sur la comparaison entre les inventions effectuées par les entreprises spécialisées dans la rénovation immobilière et celles découlant du travail des bricoleurs du dimanche, en Grande-Bretagne. Le mot «innovation» dans le titre de l’étude avait attiré mon attention, mais ce qui m’a fait écarquiller les yeux, c’était l’identité des auteurs : Eric von Hippel, professeur du MIT Sloan School of Management (Etats-Unis), Jeroen de Jong, professeur de la Rotterdam School of Management (Pays-Bas), et Stephen Flowers, professeur du Centre for Research in Innovation Management de l’University of Brighton (Grande-Bretagne). Trois sommités de l’innovation réunies pour une même étude, il y avait sûrement de quoi vibrer.
De fait, il s’agit là d’une étude majeure, pour qui prend le temps de la décortiquer. On y découvre que, ces trois dernières années, quelque 2,9 millions de Britanniques (6,2% des consommateurs du pays) ont globalement consacré 2,3 fois plus de temps que les entreprises de la rénovation pour mettre au point leurs propres outils ou pour améliorer ceux qu’ils avaient acheté. Et toutes ces inventions ne servent, finalement, à pas grand-chose, puisqu’elles restent sur les établis de leurs inventeurs respectifs.
Ces données renversent complètement la croyance que nous avons tous selon laquelle c’est l’entreprise qui doit se charger de la R&D (poussée en cela par la concurrence) pour pouvoir vendre des produits novateurs à la clientèle. Et ce, d’autant plus qu’elle a les moyens pour le faire (le talent de ses employés, les fonds nécessaires, etc.). En réalité, les consommateurs sont, dans le cas présent, nettement plus inventifs que les entreprises!
S’agit-il d’une exception? Il semble que non. En y regardant bien, on peut dire que le succès de Facebook et autres Wikipedia résulte de ce phénomène : tout le travail est confié aux utilisateurs, et ça marche. En remontant plus loin, on peut aussi songer à l’histoire du skateboard : auparavant, les enfants faisaient du patin à roues, jusqu’au jour où certains d’entre eux, plus imaginatifs que les autres, ont eu l’idée de fracasser leurs patins pour n’en garder que les roues, et ont fixé celles-ci à une planche en bois ; les entreprises ont mis du temps à saisir qu’un nouveau sport venait de naître et à se mettre à en tirer profit.
«Ce qui est en train de changer, aujourd’hui, c’est qu’il est devenu très facile pour les consommateurs d’innover, grâce au Web et aux médias sociaux, a expliqué M. von Hippel à Innovation Management. Auparavant, seules les entreprises pouvaient faire la publicité de leurs trouvailles, ce qui n’est plus vrai maintenant. Toute invention de quiconque peut désormais être connue et récupérée par tous sur la planète. Nous sommes entrés dans l’ère de la collaboration à tout-va, et les entreprises se doivent de bien le comprendre, si elles ne veulent pas disparaître.»
Des multinationales commencent d’ores et déjà à saisir la balle au bond. Un exemple frappant : Procter & Gamble, qui s’est donné comme objectif que la moitié de ses inventions proviennent d’idées venues des consommateurs, d’ici une poignée d’années. L’idée est ainsi d’être davantage à l’écoute de la clientèle.
Mais cela ne suffira pas, à mon avis. Il est impératif d'aller au-delà du simple crowdsourcing. Car l’étude de MM. von Hippel, de Jong et Flowers met en évidence que «les utilisateurs sont les vrais innovateurs», et donc qu’il faut revoir de fond en comble la manière de faire des affaires. Prenons un exemple, une fois de plus : le marketing. «Le marketing se doit de changer, a expliqué le professeur du MIT. Il est considéré actuellement comme un message adressé aux consommateurs, message que l’on modifiera au besoin si l’on note qu’il n’a pas été entendu comme on l’espérait. Mais demain, il va plutôt falloir, pour être efficace, dénicher les inventeurs qui se trouvent dans votre clientèle, voir ce qu’ils font, et travailler avec eux pour faire connaître leurs inventions auxquelles vous aurez réussi à vous associer.»
Révolutionnaire, non?
Alors, quand les Rona et autres Home Depot vont-ils tirer profit de la grande spécialité du Québec, les patenteux? Et quand, vous-mêmes, vous pencherez-vous véritablement sur ce que font – et non pas sur ce que veulent ! – vos clients les plus imaginatifs? Peut-être y trouveriez-vous là la solution à nombre de vos problèmes…
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