BLOGUE. Comme moi, vous avez probablement le sentiment d’être toujours à la course. Le temps file à toute vitesse, si bien qu’en fin de journée vous n’avez pas fait le dixième de ce que vous vouliez accomplir durant la journée… Savez-vous pourquoi? Non, ce n’est pas parce que vous voulez en faire trop. C’est plutôt votre cerveau qui vous joue des tours!
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Les chercheurs en neuroscience Misha Ahrens et Maneesh Sahani, tous deux de l’University College London, sont partis d’une interrogation judicieuse : avons-nous, oui ou non, une véritable horloge interne? «On parle souvent de cette fameuse horloge, mais personne n’a déterminé où elle se trouvait dans le cerveau. Il se pourrait qu’en fait une telle zone n'existe pas, que notre perception du temps se distribue sur l’ensemble de notre cerveau et utilise toutes les informations disponibles», ont-ils expliqué au magazine Current Biology.
Pour vérifier leur hypothèse, MM. Ahrens et Sahani ont procédé à trois expériences sur 20 personnes. Dans l’une d’elles, ils ont demandé à un groupe de participants de regarder un vidéo dans lequel survenait une image stimulante de manière aléatoire, un peu comme dans la vie de tous les jours où des stimuli se produisent au hasard dans notre environnement. Et ils ont demandé à l’autre groupe de participants de regarder le même vidéo, mais avec cette fois-ci des images stimulantes revenant de manière régulière. Puis, ils ont demandé à chacun d’évaluer le temps qu’avait duré le vidéo. Résultat : ceux qui ont regardé le vidéo avec une image stimulante apparaissant suivant un rythme régulier ont mieux estimé la durée du vidéo que les autres.
Qu’est-ce que ça signifie ? «Notre perception du temps est affectée par les stimuli extérieurs, elle est donc très variable, car elle dépend en grande partie de ce qui se passe autour de nous», indiquent-ils dans leur étude.
Par conséquent, il est possible de perturber la notion du temps que nous avons, vous et moi, ce qui ne colle pas avec l’idée que nous avons tous une horloge interne rigide, qui nous donne l’heure juste en permanence. «Il suffit d’un élément perturbateur pour dérégler, même infimement, notre notion du temps qui passe», soulignent-ils.
Une histoire éclairante me vient en tête, à ce propos… Un garçon de 8 ans a eu l’idée saugrenue, un jour, de s’amuser à grimper en haut d’une maison en construction, celle qu’il allait habiter quand elle serait terminée. Il a chuté. Une chute vertigineuse, où il a failli laisser la vie, et où il a broyé l’os de son nez (depuis, il porte une prothèse qu’il peut tordre à volonté, pour rire). Cette chute, qui n’a duré qu’une poignée de secondes, est encore gravée dans son esprit dans les moindres détails. Oui, les moindres : le silence dans lequel s’est produit le drame, les tas de briques au sol, la couleur des poutres de bois, le son du choc de sa tête sur le sol, etc.
Ainsi, son cerveau a enregistré en un éclair une quantité phénoménale de détails. Une prouesse qui dépasse nos capacités normales de mémorisation. «Quand on frôle la mort, on a l’impression que le monde se met à tourner au ralenti. Ma chute, j’ai eu la sensation qu’elle durait une éternité», raconte aujourd’hui David Eagleman.
David Eagleman? Oui, il s’agit bel et bien de ce prodige de la neuroscience, qui a été tellement marqué par son expérience extrême qu’il a décidé de consacrer sa vie à en savoir davantage sur le cerveau. L’un de ses derniers sujets d’étude concernait justement la notion de temps qui passe, plus précisément l’impression de ralenti lorsqu’on croit mourir. Il a utilisé pour cela une attraction de foire foraine relativement dangereuse, le Scad Diving. Celle-ci consiste en une grue immense en haut de laquelle est attachée une personne, dos au sol ; sous elle, 35 mètres de vide, et un tout petit filet ; on la détache, et c’est parti pour une chute ébouriffante!
En réalité, la chute dure très exactement 3 secondes. C’est tout, me direz-vous. Mais, quelles 3 secondes! Quand on touche le filet, on a une vitesse de quelque 80 km/h. Pas un n’a les bras et les jambes qui tremblent de longues minutes durant après avoir vécu ça. David Eagleman, pour son étude, a demandé à ces amateurs de sensations fortes de lui dire, juste après avoir été descendus du filet, le temps qu’avait duré leur chute. Or, la réponse est presque toujours la même : environ 4 secondes. Tous ont ainsi fait la même erreur, ils ont ajouté 1 seconde au temps qui s’était réellement écoulé.
«En fait, quand on tombe, on ne voit pas vraiment le monde au ralenti. Ce n’est pas comparable à une caméra. C’est bien plus intéressant que ça. Normalement, notre mémoire fonctionne comme une passoire : elle retient l’essentiel et laisse filer l’accessoire. Mais là, la mémoire n’a plus le temps de filtrer, elle emmagasine absolument tout ce que le cerveau a capté», explique le neuroscientifique du Baylor College of Medicine.
La sensation de ralenti ne serait donc que la manière du cerveau de réorganiser ces innombrables informations. «C’est pourquoi lorsqu’on se rappelle ces moments, on croit toucher à l’éternité», dit M. Eagleman. Voilà qui corrobore les résultats de l’étude de MM. Ahrens et Sahani, non?
Quelles implications pour votre quotidien au bureau? J’en vois plusieurs, dont la principale, à mon avis, est que le moindre imprévu peut être suffisant pour perturber notre notion du temps, et donc pour nous mettre en retard à notre insu. Cela peut être la distraction des courriels qui pleuvent sur notre écran d’ordinateur à longueur de journée, celle des collègues qui débarquent à l’improviste pour nous poser mille et une questions, etc. Le mieux est alors d’établir une routine, et surtout de s’y tenir. Par exemple, ne consultez vous curriels qu’à certains moments de la journée, toujours les mêmes, si possible. Et résistez à l’envie pressante d’y jeter un coup d’œil n’importe quand, sous le falacieux prétexte que vous attendez une réponse importante.
Quant à ceux qui souffrent du phénomène du multitâches (le cellulaire rivé à l’oreille, le coin de l’œil collé l’ordi, etc.), il est clair que votre cerveau, survolté, traite en continu de gros paquets d’informations, et ce au détriment de votre perception du temps. Un peu comme quelqu’un qui est perpétuellement en chute libre. D’où vos retards chroniques, qui énervent tant vos collègues et vos clients…
Un conseil pour devenir plus ponctuel : faites-en un peu moins, prenez le temps de bien faire ce que vous devez accomplir, et vous verrez que le temps va aller plus lentement. Ce qui vous donnera l’occasion de vous rappeler que vous avez un rendez-vous…
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