BLOGUE. La plupart du temps, le perfectionnisme est perçu comme un défaut. Les perfectionnistes s’attardent sur les détails insignifiants, ils empêchent les projets d’avancer pour une broutille, ils ont la trouille face à l’inconnu, ils détestent l’innovation, bla bla bla. Cette perception – même si elle est très répandue – est erronée. Franchement erronée.
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En effet, il y a en réalité deux sortes de perfectionnisme. L’un est bon, et l’autre mauvais. Je l’ai appris grâce aux travaux de Bob Hill, professeur en psychologie, de l’Appalachian State University, sur le sujet. Le bon, c’est celui qu’il appelle le «perfectionnisme adapté», qui grosso modo correspond au souci d’agir en fonction de valeurs qui nous sont propres. Et le mauvais, c’est le «perfectionnisme inadapté», qui nous pousse à agir en fonction de critères externes (le regard des autres, la peur de décevoir, etc.).
Ainsi, dans une récente étude parue dans la revue Personality and Individual Differences, M. Hill et deux collègues décrivent une expérience qu’ils ont mené à cet égard. Ils ont procédé à un sondage poussé auprès de 216 étudiants en psychologie afin d’évaluer leurs tendances au perfectionnisme, ainsi que leur niveau de bien-être et de satisfaction dans la vie.
Le résultat? Il est double. D’une part, les «perfectionnistes adaptés» se distinguaient par leurs fortes notes dans quatre domaines : la recherche de l’excellence, le sens de l’organisation, le goût pour la planification et les attentes élevées à l’égard des autres. D’autre part, les «perfectionnistes inadaptés», eux, avaient de bons scores pour : la peur de se tromper, le besoin d’approbation, la tendance à ruminer ses échecs passés et la pression parentale. «Nous avons mis en évidence que le perfectionnisme adapté va de paire avec une grande estime de soi, et inversement pour celui qui est inadapté», souligne M. Hill.
En conséquence, le mauvais perfectionnisme est paralysant pour celui qui en souffre, et peut être pertubateur pour ses collègues. En revanche, le bon perfectionnisme est stimulant, pour soi comme pour les autres.
Mais, vous le savez bien, rien n’est jamais blanc ou noir. Dans ses travaux, M. Hill a découvert que les perfectionnistes ne sont jamais complètement adaptés ou inadaptés, mais un mélange des deux. Par exemple, un étudiant perfectionniste peut avoir un score élevé dans la recherche de l’excellence et dans le goût pour la planification, mais aussi dans le besoin d’approbation et la crainte du jugement parental. «L’important est alors de prendre conscience de ses forces et de ses faiblesses, et le plus possible, d’en tenir compte. Par exemple, en rejetant d’emblée les doutes toxiques, du genre «Zut! Je suis sûr que quelqu’un va le remarquer si je fais une erreur»», avance le professeur en psychologie.
Un cas lumineux du fait que perfectionnisme et créativité peuvent se marier à merveille, c’est celui de… Pixar! Leur méthode de travail est toujours la même depuis le début : «d’erreur en erreur, jusqu’au succès», résume Ed Catmull, l’un des cofondateurs du studio d’animation américain, sourire en coin.
Ainsi, Pixar ne démarre pas un projet de film avec un script, comme les autres. Non, des idées sont regroupées dans un storyboard, et associées les unes aux autres le plus habilement possible. Il y a des idées de personnages, d’actions, de blagues,… Et de fil en aiguille, à mesure que les uns et les autres apportent leur contribution, le storyboard s’améliore. Pour A Bug’s Life, Pixar a fait très exactement 27 565 storyboards avant la version «finale», pour Finding Nemo, 43 536, pour Ratatouille, 69 562, et pour Wall-E, 98 173. Impressionnant, non?
Il s’agit là d’un processus rigoureux et méthodique, qui peut occasionner des changements majeurs en cours de route. Par exemple, Toy Story 2 a vu son scénario réécrit de A à Z moins d’un an avant sa sortie en salles, parce qu’il avait été jugé que l’histoire «clochait». Il faut savoir que le dead-line – soit la sortie en salles – est non négociable, même d’une journée, ce qui est une énorme contrainte, mais une contrainte qui porte fruit, chez Pixar…
On le voit bien, difficile de faire plus perfectionniste que ça. Et pourtant, ça n’empêche pas Pixar de briller par sa créativité. Certains vont même jusqu’à dire qu’ils ont redonné un nouveau souffle aux films d’animation. «Ma stratégie créative est très simple, dans le fond : fonce droit à l’erreur, le plus vite possible. Pourquoi? Parce qu’il faut commencer par se tromper pour pouvoir trouver une vraie idée neuve. Donc, plus vite j’aurais fait le tour des erreurs, plus vite je trouverais l’idée géniale», dit Andrew Stanton, le réalisateur des films Finding Nemo et Wall-E.
La question se pose : est-il possible d’appliquer la méthode Pixar à votre propre travail, et livrer de la sorte un produit ou un service remarquable? Oui, bien sûr, mais attention à ne pas vous en rendre malade. Le perfectionnisme peut avoir du bon, mais à condition de ne pas mettre en péril votre ego : quand vous commettez une erreur - et cela est inévitable lorsqu’on entend exceller -, ne vous attardez pas au fait qu’elle vient de vous; oubliez-la aussitôt, et passez à l’idée suivante.
Comme le dit Ernst Jünger dans Sur les falaises de marbre : «Une erreur ne devient une faute que lorsqu’on ne veut pas en démordre». Qu’en pensez-vous?
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