BLOGUE. Qu’est-ce qu’un designer peut avoir en commun avec un leader? Beaucoup plus de choses qu’on ne le croit a priori! C’est ce que j’ai appris en lisant le tout nouvel ouvrage d’un homme que j’admire, John Maeda, intitulé Redesigning Leadership…
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John Maeda? Pour ceux qui ne le connaissent pas, il s’agit d’un designer de renommée mondiale spécialisé dans le design interactif. Ses œuvres combinent arts plastiques, design et technologie, le tout de manière interactive. Son travail peut être caractérisé comme de l’abstraction géométrique. Il est visible sur le Web ainsi que de manière permanente dans de grands musées américains (Smithsonian Institution’s Cooper-Hewitt National Design Museum, San Francisco Museum of Modern Art, etc.). John Maeda est aussi connu pour ses réflexions sur l’importance du design dans notre existence : il a ainsi signé un livre lumineux d’intelligence, De la simplicité (Payot, 2007), dans lequel il nous fait part de ses conseils pour nous simplifier - et donc embellir - la vie.
Son lien avec le leadership? Eh bien, en 2007, il a été nommé président de la Rhode Island School of Design (RSID), un des principaux instituts artistiques des Etats-Unis. Comme il le raconte dans Redesigning Leadership, il ne s’attendait pas du tout à cette nomination, c’est un chasseur de têtes qui l’a appelé après avoir assisté à une de ses présentations aux séries de conférences TED et qui lui a présenté l’offre. Tout simplement.
Pourquoi a-t-il accepté, lui qui adore travailler en solitaire devant son ordinateur pour concevoir des formes géométriques complexes? Pourquoi se lancer, du jour au lendemain, dans la gestion d’une organisation qui compte près de 500 employés, plus de 2 000 étudiants et un budget annuel de quelque 300 millions de dollars? Sa réponse est originale, comme toujours : «Ue ni wa ue ga aru», ce qui correspond à un vieux dicton japonais qu’on peut traduire grosso modo par « Plus haut, il y a toujours quelque chose plus haut». «L’idée n’est pas de signifier qu’il y a dans la vie des buts inatteignables, mais plutôt qu’il est dans la nature humaine de vouloir constamment s’améliorer», explique-t-il.
John Maeda a donc voulou relever un défi incroyable. Il a voulu apporter aux autres ses connaissances et les aider à aller plus loin, à progresser. Et ce, même si cela l’oblige à jouer un rôle inédit pour lui. «Les artistiques aiment l’inconfort, c’est là qu’ils se sentent le plus à l’aise, je n’avais donc aucune crainte particulière à avoir. De toutes façons, qu’avais-je à craindre? De me planter? Et alors?», ajoute-t-il.
D’emblée, il s’est mis à innover en matière de leadership, sans même s’en rendre compte. 2007 est l’année où il a véritablement découvert Twitter, et il s’est pris de passion pour ce média social. Comme les étudiants sont des personnes généralement jeunes et branchées, il s’est dit que le meilleur moyen pour enter en contact avec eux et établir un dialogue constructif, c’était de continuer à tweeter, en s’adressant à eux en particulier. Et il est vite devenu le «président Twitter»…
Bonne idée? Pas du tout! Et cela lui a pris du temps avant de le comprendre. L’une des raisons, c’est que 140 caractères, ça ne suffit pas pour établir une bonne communication. John Maeda tweetait toutes les pensées qui lui venaient, souvent à saveur philosophique, pensées qui laissaient bien entendu une trop grande marge à l’interprétation. C’est d’ailleurs pour pallier ce problème qu’il a rédiger son dernier ouvrage : ce dernier est, en effet, composé de certains de ses tweets, auxquels il donne quelques explications, souvent par l’entremise d’une petite anecdote personnelle.
Je vais prendre un exemple, rien que pour vous donner le goût de lire le livre… Le passage dont je vais parler aurait pu être titré «Des bienfaits des virus». John Maeda raconte que lorsqu’il avait la vingtaine, il travaillait à Tokyo pour une petite fondation dans laquelle se trouvait un homme qui déplaisait à tout le monde. Un jour, il a demandé au directeur de la fondation pourquoi il ne renvoyait pas ce bonhomme. Celui-ci l’a regardé comme s’il était le dernier des crétins et lui a répondu, comme s’il s’agissait d’une évidence : «Parce que nous avons besoin de lui. Une organisation, c’est comme un corps humain, elle a besoin de virus pour survivre et même pour se renforcer». L’idée était de lutter contre le conformisme : les idées de ce bonhomme dérangeaient les autres, eh bien, tant mieux!
Allez, rien que pour le plaisir, je vais également partager avec vous quelques tweets qui permettent au designer de développer ses idées sur le leadership… Doing right matters more than being right… Being prepared isn’t a matter of how much you practice. It’s about knowing that even if you fail, you won’t give up… Staring at a missing piece in your life makes you miss the real peace that you truly have… Being heard lessens being hurt… Difference drives deliciousness… Etc.
Twitter était aussi une mauvais eidée dans ce cas, car les étudiants ne s’en servent pas pour communiquer entre eux. Cela, le «président Twitter» l’a compris lorsqu’il a instauré le Mardi Anonyme, où n’importe qui pouvait s’adresser à lui via le média social sans présenter son identité : quelques messages bien sentis lui ont fait comprendre qu’il se fourvoyait complètement en communiquant de manière virtuelle, que rien ne vaut le contact humain.
Message reçu. Il a alors changé de méthode : il a fixé des rendez-vous individuels, pris des cafés avec qui le voulait bien, fait du jogging avec des étudiants tard le soir, offert des pizzas gratuites à tous ceux qui venaient à ses présentations (un argument choc pour décider un étudiant à faire quelque chose que le tente moyennement, d’après lui!), ou encore servi des plats à la cafeteria. Et il a continué ses tweets, étant trop accro pour arrêter.
Résultat? John Maeda a ainsi surmonter des crises impressionnantes. Par exemple, il est arrivé en poste juste au moment où a éclaté aux États-Unis la crise des subprimes, qui s’est traduite par une fonte drastique du financement des universités. Dans le cas de la RSID, les fonds ont chuté d’un coup de 30%. Il s’est alors mis faire des présentations à des personnes susceptibles d’appuyer financièrement l’institution, ce qui a permis de remonter la pente. Idem, en mars dernier, il a voulu mettre en place un nouveau plan stratégique de développement pour la RSID, qui apportait des changements majeurs à la vénérable institution, mais le vote de confiance a été un revers monumental pour lui : 142 voix contre, 32 pour. Sa réaction? Très humble : «Je ne vais pas quitter mon job. L’important, maintenant, c’est de sortir tous ensemble de l’impasse où nous nous trouvons», a-t-il alors confié à des médias américains.
Et le voilà reparti au front, dans l’optique de mieux faire passer son message auprès de tout un chacun. Une pensée en tête : «Clarity dissolves resistance». D’où tire-t-il un tel optimisme? C’est qu’il se considère avant tout comme un artiste, et que les artistes, selon lui, ont toutes les qualités qu’auront besoin les leaders de demain. Un artiste, ça a des intuitions, ça progresse à coups d’essai-erreur, ça met les mains dans la matière, ça n’a pas peur de se tromper, ça recherche la critique constructive et son travail aboutit à une vision inspirante pour autrui. Pas mal, non?
L'écrivain français Guy de Maupassant disait dans Pierre et Jean : «Les grands artistes sont ceux qui imposent à l’humanité leur illusion particulière»…
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