BLOGUE. C'est un sujet tabou. On la rencontre parfois, certains vivent avec, et c'est un enfer quotidien pour eux. La honte. La honte d'avoir trébuché une fois devant tout le monde, la honte de ne pas avoir été à la hauteur. Il arrive que l'on ne s'en relève jamais. La faute à qui? À soi, pense toujours la victime. Rien qu'à soi. Mais il peut s'agir là d'une erreur : et si la faute provenait plutôt d'une mauvaise gestion d'équipe...
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J'ai mis la main sur une étude captivante sur ce sujet, et appris une foule de choses sur cette émotion si dévastatrice ainsi que sur la meilleure manière d'en user en management. Elle est signée par Philip Stiles, un chercheur de la Judge Business School de l'University of Cambridge, en Grande-Bretagne. Celui-ci a compilé tout ce qui s'est écrit récemment sur les différentes façons de motiver les membres d'une équipe, mais en ne regardant qu'une couleur du prisme, celle de la honte.
M. Stiles explique qu'il y a deux manières d'appréhender la honte. La première – la plus courante – consiste à considérer que la personne honteuse se sent en faute, et du coup a tendance à vouloir s'extraire du regard des autres. La seconde revient à voir le côté positif de cette émotion a priori négative! En effet, le leader d'une équipe peut s'en servir pour donner le goût aux employés hésitants ou récalcitrants de mettre l'épaule à la roue comme les autres. «L'important est alors de réussir à doser le niveau de honte associé à l'échec, et surtout à éviter que cela soit catastrophique pour l'ego de l'individu», estime le chercheur.
Toute la subtilité est là! Il y a moyen de positiver la honte.
Pour bien comprendre le mécanisme, M. Stiles a catégorisé les différents types de honte que l'on peut rencontrer au travail. Il en trouvé trois. La première : la victime a un réflexe de repli (elle se retire d'un projet, voire de l'équipe, sous forme, par exemple, d'absentéisme). La deuxième : la victime exprime ouvertement de l'hostilité (elle cherche à faire porter le chapeau aux autres, par exemple). La troisième : la victime cherche à faire amende honorable et est disposée à redoubler d'efforts pour que le regard des autres redevienne favorable à son égard. C'est clair, le bon leader, c'est celui qui sait faire jouer la troisième version de la honte.
Comment s'y prendre? Un truc consiste à bien fixer l'objectif commun à atteindre, selon le checheur de Cambridge. Il faut qu'en cas de réussite chaque membre de l'individu sente que la victoire lui revient en partie ; sans lui, les autres n'auraient pas aussi bien réussi. Et il faut par conséquent qu'en cas d'échec, chacun le ressente comme la faute du groupe, et non de soi tout seul (il faut aussi que personne n'ait l'idée d'attribuer la ratage à une cause externe, ce qui éliminerait l'aiguillon de la honte...). Alors, la faute revient un peu à chacun, mais pas totalement à soi, et on a le sentiment qu'avec un petit effort supplémentaire, peut-être, on pourrait renverser la vapeur.
Il importe également d'assurer un bon feedback tout au long du projet. Chaque membre doit être informé de son apport réel à l'effort du groupe, de ce que le leader pense de lui, et de la manière dont on pourrait s'y prendre pour faire mieux encore, tous ensemble. «Un feedback négatif peut détériorer l'estime de soi d'un employé, mais peut aussi pousser celui-ci à ne pas revivre cette expérience et donc à en faire davantage», écrit M. Stiles.
On le voit bien, c'est une question de dosage. Si l'employé devine que toute la honte de l'échec va lui retomber dessus, il aura le réflexe de fuir les responsabilités, à ne pas s'engager dans un projet trop risqué pour lui. S'il sent au contraire que le fardeau va être porté équitablement par tous, il se fera moins craintif. Et même, si l'objectif et les dangers qui y sont associés sont bien présentés, l'employé pourra vouloir courir le risque avec les autres, et faire montre d'audace. Il se dira que, oui, il aura échoué, mais au moins il aura tenté quelque chose de grand!
Tout cela me fait penser aux harangues des généraux qui ont marqué l'Histoire, comme le discours de Jules César tenu à Arminium, face à ses troupes fatiguées et assaillies de toutes parts :
«Compagnons de combat, vous qui ces dix dernières années avez éprouvé avec moi mille dangers durant la guerre, vous qui avez finalement vaincu! Le sang répandu dans les plaines du Nord, les blessures, la mort, les hivers passés aux pieds des Alpes n’ont-ils eu que ce résultat? Rome est maintenant frappée par l'immense fracas des guerres. Sur terre et sur mer, le mot d'ordre est la chasse à César. Mais que se serait-il passé si j'avais été battu, si mes étendards avaient été brisés, si des peuples féroces de la Gaule nous avaient attaqué dans le dos? (...)
«Levez, levez donc ces étendards victorieux! Utilisons les forces que nous avons encore! Les divinités ne nous laisseront pas tomber! Les armes à la main, sauvons-nous, sauvons la Ville prête à devenir esclave!»
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