BLOGUE. Quand nous sommes confrontés à une situation complexe, voire dangereuse, quel est notre premier réflexe? Non, pas la fuite. Mais plutôt le regroupement immédiat de ses forces pour faire face au problème. En entreprise, cela se traduit par un mouvement spontané de chaque individu vers ses collègues, pour chercher leur soutien et leur aide.
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Le hic? C’est que ce mouvement est souvent cahotique, et manque donc souvent d’efficacité. Un exemple éclairant : vous négociez un contrat avec un client, et celui-ci vous pose subitement une question piège devant tout le monde; vous avez alors un geste de recul dans votre siège, signe inconscient que vous demandez l’aide de vos collègues; et vous réalisez alors qu’aucun d’eux ne vole à votre secours, ne sachant trop quoi répondre au client inquisiteur; et vous voilà en train de suer à grosses gouttes, sur le gril. Pourtant, il y a une méthode pour s’extirper de ce genre de situation avec brio. Comme nous l’enseigne la Solenopsis invicta…
La Solenopsis invicta? Il s’agit de l’une des 266 espèces de fourmis du genre très commun Solenopsis, qui est aussi appelée «fourmi de feu». Elle tire son nom de sa capacité à résister aux sécheresses (la structure des nids comporte un réseau de galeries souterraines de ravitaillement qui s'étend vers le bas jusqu'à la nappe phréatique). Mais le plus remarquable, c’est sa faculté de résister aux inondations. Quand les fourmis sentent le niveau de l'eau monter dans leur nid, elles se rassemblent pour former une grosse boule, puis forment une sorte de radeau capable de flotter sur l'eau, les ouvrières à l'extérieur et la reine à l'intérieur. Dès que la boule atteint un arbre, les fourmis s’éparpillent dessus et y attendent que le niveau de l'eau diminue.
Une équipe d’ingénieurs en mécanique du Georgia Institute of Technology (GIT) se sont demandés comment la Solenopsis invicta s’y prenait au juste pour former de tels radeaux vivants, uniques au monde. Ce modèle de cohésion intriguait au plus haut point Nathan Mlot, Craig Tovey et David Hu.
Ils ont recueilli des milliers de fourmis de feu le long des routes de la Géorgie et les ont soumises à des expériences extrêmes. Ils ont constaté, entre autres, qu’une fourmi seule, même si son exosquelette est imperméable à l’eau, fini par couler ; que le radeau, lui, pouvait flotter des semaines durant ; qu’un radeau était toujoirs composé en moins de 100 secondes ; que si l’on retire une fourmi du radeau, une autre va vite prendre sa place pour assurer une bonne flottaison de l’ensemble ; ou encore que si l’on appuie sur un point précis du radeau, celui-ci va offrir une surprenante résistance, et surtout une incroyable imperméabilité, au point de voir l’eau s’incurver sans infiltrer la structure flottante.
«Quand les fourmis de feu forment une boule, la sphère est presque parfaite et très solide : vous pouvez la lancer en l’air, elle ne se déformera pas. Et quand celle-ci devient un radeau, il est si souple que lorsqu’il glisse sur l’eau, il suit le mouvement de l’eau, un peu comme une nappe de pétrole dans une rivière», dit Nathan Mlot sur le site Web du GIT.
Afin d’étudier en détail la structure de ces radeaux vivants, les trois ingénieurs ont gelé à l’azote liquide des fourmis à l’œuvre et les ont regardées au microscope électronique. Résultat : les images montrent que les fourmis de feu s’agrippent les unes aux autres par les mandibules, les griffes et les ventouses de leurs pattes. Ensemble, elles forment un matériau ressemblant de manière étonnante au Gore-Tex, un tissu réputé pour sa résistance à l’eau. «Les fourmis, prises seules, n’ont guère d’intelligence. Mais en groupe, elles sont en mesure de prouesses renversantes, comme de composer des structures complexes et adéquates face à des circonstances dramatiques», souligne M. Mlot.
Ainsi, les radeaux de la Solenopsis invicta sont insubmersibles parce que chaque petite fourmi donne la priorité à la cohésion du groupe. Chacune sait que toute seule, elle ne sortira pas vivante de l’épreuve, mais qu’à plusieurs, elles surmonteront celle-ci à coup sûr. Quand la catastrophe est là, elle file droit devant elle, rebondit dans une autre direction si elle heurte une consoeur, et ce jusqu’à ce qu’elle atteigne l’extrémité du groupe. Alors, elle s’avance le plus possible sur l’eau et s’attache aux autres comme elle le peut. Sans jamais lâcher. Coûte que coûte.
Les applications de cette trouvaille animalière sont nombreuses, y compris en management, à mon avis. Par exemple, il est intéressant de noter que ce qui les sauve en cas de danger, c’est la cohésion, certes, mais surtout l’application d’une méthode éprouvée. Elles ne cèdent pas à la panique, en filant en tous sens en ce demandant ce qui se passe. Non, elles réagissent toutes de la même manière, avec un objectif très précis, à s’avoir s’unir au autres pour faire preuve de résilience.
Un modèle dont nous devrions, vous comme moi, nous inspirer, non? Par exemple, plutôt que de ricaner en douce du collègue en difficulté face à un client pointilleux, nous ferions mieux de réagir au quart de tour pour le soutenir habilement, l’air de rien. Sans esprit d'équipe, voire de cohésion, impossible de mener à bien le moindre projet, et encore moins de grandes réalisations…
Ce qui me fait songer à cette pensée des Essais de Michel de Montaigne : «Que chacun se sonde au-dedans, il trouvera que nos souhaits intérieurs, pour la plupart, naissent et se nourrissent aux dépens d'autrui».
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