BLOGUE. Le Parti québécois (PQ) est en train de se déchirer sous nos yeux depuis quelques jours, des députés ayant décidé de claquer la porte du parti en raison du leadership «autoritaire» de sa chef Pauline Marois. La crise est violente, et personne ne sait comment elle se terminera. Par le départ précipité de Mme Marois? Par l’éclatement du PQ? Par un simple retour au calme, une fois la tempête passée?
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Ce qui est indéniable, c'est que le leadership de Pauline Marois a pris un méchant coup, la principale intéressée ayant reconnu lundi avoir été «renversée» par les démissions de trois ténors du parti – Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe –, auxquelles s'est ajoutée peu après celle de Jean-Martin Aussant. Cela met en lumière un phénomène très intéressant sur le plan du management, l'importance de l'intelligence émotionnelle (IE) en matière de leadership…
L'IE? Il s’agit d’un concept qui a été décliné à toutes les sauces, pour ne pas dire n’importe comment, depuis son invention en 1995 par le psychologue et journaliste au New York Times Daniel Goleman, à partir des découvertes faites en 1990 par Salovey et Mayer. Selon les deux chercheurs, l’IE est «la capacité à percevoir et à exprimer ses émotions, à les comprendre, à les réguler et à les intégrer à ses pensées ainsi qu’à celles des autres». M. Goleman s’en est inspiré pour son livre L’Intelligence émotionnelle dans lequel il présente et développe son propre modèle du phénomène, qui comporte grosso modo quatre dimensions :
1. La conscience de soi. C’est la capacité à comprendre ses émotions, à reconnaître leur influence et à les utiliser pour guider ses décisions;
2. La maîtrise de soi. Cela consiste à maîtriser ses émotions et à s’adapter à toute évolution de son environnement;
3. La conscience sociale. Elle englobe la capacité de détecter et de comprendre les émotions d’autrui ainsi que celle d’y réagir adéquatement;
4. La gestion des relations avec autrui. C’est la faculté d’inspirer et d’influencer les autres, tout en favorisant leur développement personnel, ainsi que celle de gérer les conflits.
L’IE permet, entre autres, d’être «moins rustre», «moins agressif» et «plus populaire», d’après l’auteur. Elle est en partie innée, mais est surtout perfectible, si l’on s’en donne la peine. M. Goleman recommande d’ailleurs vivement de «développer et perfectionner ses capacités liées à l’IE afin de parvenir à un rendement exceptionnel». Il va jusqu’à clamer l’extraordinaire pouvoir prédictif de son modèle : celui-ci permettrait, en effet, de deviner à l’avance qui va avoir une brillante carrière, et qui va se morfondre au travail sa vie durant. «Une IE élevée confère un avantage dans tous les domaines de la vie, aussi bien dans les relations affectives et intimes que dans l'appréhension des règles implicites qui régissent la réussite en entreprise», écrit-il dans son livre.
Mais une question se pose : l’IE a-t-elle le moindre lien avec le leadership? La réponse est «oui»! Je peux être aussi catégorique parce que je m’appuie sur une étude lumineuse sur le sujet, intitulée Emotional Intelligence and Leadership Effectiveness : The Mediating Influence of Collaborative Behaviors. Celle-ci est signée par Laura Guillén, professeure à l’European School of Technology and Management (Berlin), et Elizabeth Florent-Treacy, directrice de recherche à l’Insead (Paris). Elle met au jour le fait que les leaders efficaces sont ceux qui savent utiliser avec brio certaines dimensions de l’IE…
Regardons comment les deux chercheures s’y sont pris… Elles ont tout d’abord considéré que le leadership pouvait être décomposé en deux sections complémentaires : d’une part, la capacité de collaborer (favoriser le travail en équipe, inciter les autres à prendre des initiatives, etc.), et d’autre part, celle de guider (avoir une vision, donner de l’énergie aux autres, établir une stratégie, etc.). Puis, elles ont demandé à 292 gestionnaires de répondre à un questionnaire concocté en 2004 par Manfred Kets de Vries, une sommité internationale en matière de leadership qui a enseignée, entre autres à McGill et aux HEC Montréal, intitulé le Global Executive Leadership Inventory (Geli).
L’intérêt de ce questionnaire est qu’il permet d’évaluer les compétences réelles des gestionnaires, et donc de déceler leurs forces et leurs faiblesses. À cela s’ajoute le fait que les deux chercheures ont regardé s’il y avait corrélation, ou pas, entre certaines caractéristiques des meilleurs gestionnaires interrogés via le Geli et certaines dimensions de leur IE.
Résultat? L’IE a une influence certaine sur la capacité de collaborer des leaders, et dans une moindre mesure sur celle de guider. En particulier, les dimensions de la «conscience de soi» et de la «maîtrise de soi» jouent un rôle déterminant dans le leadership des dirigeants. Mais attention, avoir une «conscience de soi» et une «maîtrise de soi» développées ne suffit pas à faire de soi un excellent leader! Loin de là! «C’est juste un bon point de départ», soulignent les deux chercheures.
Revenons maintenant au cas de la chef du PQ... Quelles sont les critiques qui lui sont faites, au juste? Elles semblent surtout viser, me semble-t-il, son incapacité à susciter la collaboration des autres, à les rallier autour d'un même projet. Partons du principe que ces critiques sont fondées, même si cela n'est pas prouvé. Qu'en déduit-on en toute logique? C'est très simple : l'étude montre bien que deux dimensions de l'IE peuvent avoir une forte influence sur le leadership d'une personne, celles de la «conscience de soi» et de la «maîtrise de soi»; et que cette influence ne porte véritablement que sur la capacité de collaborer. Par conséquent, Pauline Marois – ou tout autre dirigeant dont le leadership est chahuté par les siens – doit travailler deux dimensions de son IE, soit sa «conscience de soi» et sa «maîtrise de soi».
Si je pouvais me permettre quelques petits conseils, je dirais que Pauline Marois ferait bien de commencer à s'écouter elle-même avant d'écouter les autres. Elle aurait tout intérêt à laisser s'exprimer ses émotions les plus profondes, à les laisser remonter à la surface de sa conscience, bref, à percevoir sa petite voix intérieure qui lui révélera ce dont elle a besoin pour se nourrir et grandir. Et une fois cela fait, elle sera peut-être en mesure de s'ouvrir davantage à autrui, et par la suite d'obtenir sa pleine collaboration. Comme l'exigent d'elle les contestaires de son parti. «Notre étude montre à quel point il est vital, pour un leader, de passer du temps avec les autres et de les écouter vraiment ainsi que de travailler dans un esprit de coopération», soulignent d'ailleurs Mmes Guillén et Florent-Treacy.
Cela serait faire montre, à mon avis, d'intelligence, pour ne pas dire de sagesse. L’écrivain français Paul Valéry a écrit dans ses Cahiers : «L’intelligence – Faculté de reconnaître sa sottise»…
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