BLOGUE. À l’époque, l’histoire avait fait sensation… Lawrence Summers a été poussé à la démission de la présidence de l’Université Harvard en 2006, après avoir participé à une conférence où il a commis la grave erreur d’exprimer le fond de sa pensée. Il avait grosso modo expliqué les femmes avaient de moins belles carrières que les hommes dans certaines disciplines scientifiques (mathématiques, ingénierie, etc.) parce que… elles étaient des femmes! Ouch!
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M. Summers s’appuyait sur trois arguments. Le premier était, d’après lui, que les femmes préfèrent se consacrer à la famille plutôt que d’avoir des semaines de 80 heures de travail. Le deuxième, que l’homme est fondamentalement le pourvoyeur de la famille, et la femme, la gestionnaire du foyer. Enfin, que les femmes sont victimes de discrimination dans les milieux scientifiques depuis des lustres. Sa coclusion : les hommes sont très vraisemblablement meilleurs en sciences que les femmes pour des raisons génétiques et sociologiques.
Oui, voici ce qu’ publiquement déclaré, il y a cinq ans à peine, celui qui a été un économiste de renom, un Démocrate affiché et même le secrétaire au Trésor du président américain Bill Clinton… Pourquoi je parle maintenant de cette anecdote? Parce qu’elle a suscité une magnifique réflexion chez Manfred Kets de Vries, qui, associé à Elisabet Engelhau, elle aussi professeure en management à l’Insead, a signé une étude intitulée People-friendly organizations : Why we need an alternative default model. Une étude passionnante!
M. Kets de Vries et Mme Engelhau sont ainsi partis du constat que le machisme est présent partout dans nos sociétés occidentales, et en particulier dans les entreprises, même si l’on fait beaucoup d’efforts pour le dissimuler le plus possible. Et ils se sont interrogés sur les raisons qui ont poussé l’ex-président de Harvard à faire une telle sortie. Ils en sont alors venus à se dire : «Sur le plan professionnel, les hommes et les femmes sont-ils aujourd’hui à égalité pour devenir ce qu’ils aimeraient devenir?».
Pour tenter d’y voir un peu plus clair sur ce sujet, ils ont commencé par faire plusieurs constats : oui, le phénomène des «cols-roses», à savoir les métiers qui ne sont pratiqués que par des femmes, perdure bel et bien de nos jours; oui, les femmes ont en général de moins belles carrières que celles des hommes; oui, l’équité salariale entre les sexes est loin d’être devenue une pratique courante; etc.
Pourtant, les femmes ont clairement les qualité spour briller autant, sinon plus, que les hommes. Par exemple, «dès qu’il s’agit de décrocher un diplôme universitaire, les femmes font mordre la poussière aux hommes», soulignent les deux chercheurs, en indiquant, entre autres, qu’actuellement 58% des personnes qui sortent diplômées des universités américaines sont des femmes.
Comment expliquer un tel paradoxe? C’est là que M. Kets de Vries et Mme Engelhau ont fait appel aux deux pères fondateurs de la psychanalyse, Sigmund Freud et Carl Jung. Le premier a lui-même reconnu que la femme est un insondable mystère pour les hommes, et peut-être même pour la gente féminine : «La grande question qui n’a toujours pas de réponse – et pour laquelle je n’ai pas le moindre début de réponse en dépit de mes 30 années de recherche sur les profondeurs de l’âme féminine –, c’est «Au fond, que veulent les femmes?»», a-t-il dit, un jour.
Quant au second, il a mis en évidence l’anima et l’animus comme éléments distinctifs fondamentaux entre les sexes. L’anima est la personnification des tendances psychologiques féminines de l’homme (c’est la femme en nous), et l’animus, l’exact inverse, à savoir l’homme qui est en chaque femme.
D’après les deux chercheurs, l’anima et l’animus s’expriment à tout bout de champ en entreprise. C’est même «l’environnement idéal pour les étudier», avec les blagues de bureau, le langage non-verbal et autres comportements qui traduisent sans cesse le fait que «les femmes ne sont pas les bienvenues». Jung considère que l’attitude machiste provient en grande partie de l’insécurité des hommes, surtout les plus fragiles, face à la compétition de plus en plus forte que leur livre les femmes : la structure hiérarchique des entreprises étant pyramidale, les meilleurs postes sont de plus en plus difficiles à obtenir… «Plus les femmes grimpent vers le sommet, plus certains hommes se sentent menacés, et ont le réflexe de renforcer leurs bastions, voire de se comporter de manière ouvertement hostile face à toutes celles qui peuvent se révéler un jour leur rivale», estiment les deux chercheurs.
Une telle guerre des sexes, même larvée, est, bien entendu, néfaste pour le bon développement de l’entreprise. Il convient donc de trouver un moyen pour faire régner la paix, c’est-à-dire pour que les différences entre les sexes n’aient plus guère d’importance. «Et si, au lieu de toujours chercher à faire entrer les femmes dans le moule imposé par les hommes au pouvoir, on cherchait plutôt à adapter les entreprises au profil des femmes… Et si l’on féminisait les entreprises…», ont-ils réfléchi.
Une réflexion on ne peut plus intéressante, car elle s’est traduite par neuf propositions concrètes pour rendre les entreprises plus accueillantes pour les femmes, et par suite nettement plus efficaces :
1. Réaliser le besoin d’un nouveau design. Les femmes n’ont pas la même perception de leur environnement que les hommes. Il faut donc mettre au point de nouvelles structures organisationnelles, qui conviennent mieux aux femmes. «Car, tenir compte de la diversité permet de s'enrichir sur tous les plans», ont-ils estimé.
2. Créer un environnement de travail plus agréable à vivre. Quand les femmes ont un contrôle sur la structure organisationnelle, elles mettent en général l’accent sur les réseaux et non pas sur la hiérarchie, sur le travail en équipe et non pas sur la prouesse individuelle, ainsi que sur l’accomplissement personnel et non pas sur la carrière. Du coup, ces entreprises sont particulièrement flexibles et agiles, le pouvoir étant diffusé à de multiples niveaux et les communications étant très fluides.
3. Améliorer l’équilibre entre le travail et la vie de famille. On est efficace au travail quand tout se passe bien dans notre vie privée. Si jamais l’un gruge l’autre, alors on risque de sombrer dans un cercle vicieux.
4. Trouver la «bonne» culture d’entreprise. L’idéal pour une femme, c’est d’évoluer dans un entreprise où les hauts-dirigeants sont réellement à l’écoute de leurs employés. Il faut qu’il y règne une atmosphère d’ouverture, de transparence et de confiance.
5. Instaurer de nouvelles pratiques en matière de recrutement. À chaque ouverture de poste, il est impératif que le sexe du candidat n’entre pas en considération. Bien sûr, toute direction actuelle va jurer ses grands dieux que ce n’est pas le cas chez elle, mais bon, qui peut jurer qu’aucun stéréotype, même de façon inconsciente, n’entre pas en ligne de compte… Hein?
6. Donner davantage de feedback. En général, les femmes apprécient grandement le feedback, tant que celui-ci est fait dans un bon esprit, et sans a priori sur les femmes.
7. Miser sur la flexibilité. Quelques entreprises visionnaires ont d’ores et déjà compris que les femmes ont besoin de flexibilité dans leur travail, notamment pour pouvoir consacrer des heures à leurs enfants lorsque le besoin s’en fait sentir (visite médicale, etc.). Elles en retirent une grande fidélité de leurs employées. À noter que certaines vont encore plus loin, en encourageant les hommes à prendre des congés de paternité.
8. Favoriser le travail, pas le labeur. Encore trop de femmes ont peur au retour d’un congé de maternité, parce que la performance est souvent évaluée en fonction des heures supplémentaires effectuées, et non de l’efficacité au travail. Pas vrai?
9. Prôner le coaching. Différentes études, dont certaines signées par M. Kets de Vries, montrent que l’instauration de programmes de coaching et de mentorat permettent aux femmes de se sentir bien au travail.
Voilà les neuf suggestions de M. Kets de Vries et Mme Engelhau pour changer la vie des femmes au bureau. Qu’en pensez-vous? Ces idées vous paraissent-elles pertinentes? Et si oui, pourquoi ne vous en inspireriez-vous pas pour améliorer votre environnement de travail?
Gandhi disait dans Tous les hommes sont frères : «Appeler les femmes le «sexe faible» est une diffamation ; c’est l’injustice de l’homme envers la femme. Si la non-violence est la loi de l’Humanité, alors l’avenir appartient aux femmes»…
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