BLOGUE. Vous souvenez-vous de la dernière fois où un petit prétentieux s’est pavané comme un paon devant vous, intarrissable sur ses derniers bons coups (un contrat juteux, un week-end à Paris, la rénovation de son salon, etc.), sans réaliser à qui il s’adressait? Vous souvenez-vous combien il vous avait été difficile de vous retenir de lui lancer une pique pour le déstabiliser, voire lui fermer le clapet? Vous souvenez-vous combien ce moment avait été pénible pour vous? Oui, vous vous en rappelez sûrement, je n’ai aucun doute là-dessus…
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Maintenant, soyez honnête envers vous-même, et demandez-vous franchement pourquoi vous n’avez rien fait pour le faire taire, ou du moins réaliser qu’il vous cassait les pieds, et probablement ceux des autres aussi. Par politesse? Par crainte de vous faire un ennemi? Tout simplement par paresse? Vous voulez la vraie réponse? C’est parce que, dans notre société, nous sommes mal à l’aise avec la notion de modestie. En fait, nous ne savons pas de quoi il s’agit au juste…
J’ai compris cela en découvrant un récent article du Philosophical Quarterly signé par Irene McMullin, professeure de philosophie à l’University of Arkansas Fayetteville. Celle-ci y explique que ceux qui manquent de modestie ne respectent pas la personne à qui ils s’adressent, en ce sens qu’ils ne lui prêtent pas ou peu d’attention. Ils font l’étalage de leur réussite, sans se préoccuper de la réaction véritable de leur interlocuteur : peut-être que tous ces propos l’ennuient profondément, ou qu’ils le blessent au plus profond de lui-même (par exemple, il a toujours rêvé de rénover son salon, lui aussi, mais n’a jamais eu le courage nécessaire pour s’y mettre, et s’en sent meurtri en secret…).
Le problème n’est pas de croire qu’on a fait un bon coup et de vouloir le partager avec les autres, mais de ne pas réfléchir au préalable à qui on s’adresse. Le problème supplémentaire réside dans le fait qu’on affiche alors un air de supériorité, là encore sans s’inquiéter du fait que celui ou ceux qui écoutent ont peut-être déjà fait des coups cent fois plus fumants.
Un cas exemplaire est Arnold Schwarzenegger, le Monsieur Univers devenu gouverneur de la Californie, qui a dit, un jour : «Adolescent, je savais déjà que j’étais un gagnant. Je savais que j’étais destiné à accomplir de grandes choses. Certains penseront que je manque totalement de modestie en disant ça. Je suis d’accord avec eux. La modestie n’est pas un mot de mon vocabulaire. Et j’espère qu’il ne le sera jamais»…
On en arrive ainsi à une autre dimension de la modestie, la fameuse fausse modestie. De quoi s’agit-il? De cette attitude qui consiste à taire ce qu’on a furieusement envie de communiquer aux autres, et ce pour une mauvaise raison : peur de les rendre jaloux, peur de paraître prétentieux, etc. Mauvaise raison, en effet, car elle cache une triste vérité, qui est que le faux-modeste est convaincu de sa nette supériorité sur les autres, et donc n’a que mépris pour eux. Il se tait par simple convention sociale, mais n’en pense pas moins. Ce qui n’est pas mieux.
On le voit bien, le prétentieux et le faux-modeste se rejoignent sur un même point : ils n’ont aucun respect pour autrui. Ce trait commun est souligné par un autre philosophe, Aaron Ben Ze’ev, un professeur de l’University of Haifa, en Israël, qui s’intéresse de longue date au sujet de la modestie. «Les deux pêchent par un même travers, qui est de ne pas avoir le sens du partage», considère-t-il. Le prétentieux ferait mieux d’être plus à l’écoute de son interlocuteur, afin qu’une véritable discussion s’instelle, et donc un partage d’idées. Quant au faux-modeste, il empêche les autres de s’enrichir de son expérience, en préférant éviter de parler de ses différents succès ou même toute discussion s’en approchant.
Alors, comment faire preuve d’une réelle modestie? Comment s’y prendre, si l’on ne doit pas se montrer trop bavard? Ni trop avare de ses succès? Il convient, selon Mme McMullin, «d’écouter d’abord les autres, puis d’ajouter des éléments à la discussion tirés de son expérience personnelle». L’idée est d’alimenter la discussion, pas de chercher à briller à tout prix. Un truc peut consister à ne pas trop en dire, et d’attendre les questions (si celles-ci ne viennent pas, c’est que votre «bon coup que vous voulez tant communiquer aux autres» ne représente à leurs yeux que peu d’intérêt, et qu’il vaut mieux ne pas tenter d’insister…).
«Les vrais modestes cherchent les points communs qu’ils ont avec leur interlocuteur, pas les points sur lesquels ils sont «supérieurs». Et ils s’arrangent pour que la discussion porte là-dessus, pas à la faire tourner à leur avantage», dit M. Ben Ze’ev, en soulignant qu’Albert Einstein était un modèle de modestie, puisqu’il savait très bien qu’il était un génie de la physique – et donc qu’il était «supérieur» à presque tout le monde sur ce plan – et avait l’intelligence de relativiser cette «supériorité» en considérant qu’à l’échelle de l’univers, chaque être humain et ses «grandes réalisations» n’était que bien peu de choses…
Ce qui me rappelle une merveilleuse citation de l’humoriste américain Jack Benny, qui cotoyait au milieu du XXe siècle Mel Blanc et autres Groucho Marx : «La modestie est ma plus grande qualité»…
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