BLOGUE. «Leading from behind». Trois mots, c’est tout. Trois mots qui déchaînent depuis hier une vive polémique aux Etats-Unis. De quoi s’agit-il au juste? D’une citation d’un conseiller du président américain extraite d’un article de Ryan Lizza sur l’impact du Printemps Arabe sur la politique étrangère de Barack Obama, paru dans The New Yorker. Une citation qui a la couleur d’une doctrine qui en révulse plus d’un…
Découvrez mes précédents posts
Et beaucoup d’autres articles management sur Facebook
À la fin de cet article, le conseiller en question – dont l’anonymat est préservé – indique que la stratégie adoptée par le président dans le cas de la guerre en Libye consiste à «diriger depuis l’arrière». Il précise : «Cela prend le contre-pied de l’image de John Wayne que traînent les Etats-Unis à chaque fois qu’ils interviennent à l’étranger. Mais dans le cas présent, il nous est nécessaire d’agir plutôt comme un gardien de troupeau».
Ainsi, comme je l’expliquais déjà au début du mois dans mon post intitulé «Que retiendra-t-on de Barack Obama?», le président américain a donné une nouvelle tournure au leadership mondial des Etats-Unis. Là, pour la première fois, les Etats-Unis ne vont pas les premiers au front, ils agissent avec les autres, sur le même pied d'égalité que tout le monde, sans prendre les choses en mains. Barack Obama a mis en application une nouvelle manière de diriger les opérations, qui repose totalement sur la collaboration.
Sans surprise, cette attitude low profile en apparence a attiré les foudres des va-t-en guerre américains depuis plusieurs semaines, et sa confirmation par un conseiller présidentiel a mis de l’huile sur le feu. John Podhoretz, chroniqueur néoconservateur du New York Post et rédacteur en chef du magazine Commentary, s’offusque de ce style de leadership «indigne de la grandeur des Etats-Unis» : «Il révèle la vision défaitiste qu’a la Maison Blanche de l’avenir de notre pays, sa conviction que notre puissance est en train de décliner, en particulier face à la Chine», lance-t-il. De son côté, Michael Rubin, un membre influent du think tank néoconservateur American Enterprise Institute, soutient que «quoi que fassent les Etats-Unis, ils se feront toujours critiquer par les autres pays», si bien que «le mieux est de les laisser braire et de faire ce que nous avons à faire»; par conséquent, Barack Obama, en cédant sa place de leader à d’autres sur la scène internationale, a commis la pire des gaffes, d’après lui.
Le hic, dans toutes ces critiques néoconservatrices? D'une part, c'est qu'elles sont outrancières, ce qui dénote un manque de jugement certain. D'autre part, c’est qu’elles oublient qu’un grand leader a fait de «Leading from behind» son motto. Un grand leader incontesté, qui est d’ores et déjà entré dans l’Histoire alors qu’il est toujours des nôtres : Nelson Mandela.
«L’idéal, c’est de diriger depuis l’arrière et d’inciter les autres à prendre les devants, surtout lorsque les opérations se déroulent bien. Le leader ne doit monter au front que lorsqu’il y a un danger; alors, les autres apprécieront grandement votre leadership», a-t-il confié à Richard Stengel, journaliste au Time Magazine et auteur d’une biographie du 10e président de la République d’Afrique du Sud. Et d’ajouter : «Mon image du leader est celle du gardien de troupeau. Il se dote de bêtes braves et intelligentes et ne se met surtout pas devant elles, mais les laisse prendre la direction qu’il leur indique. Il leur donne le pouvoir, et donc leur fait confiance. Même chose avec les êtres humains, un bon leader sait s’entourer de personnes brillantes, capables d’appliquer sa vision et ses idées. Et cela est vrai tant en politique qu’en entreprise, et même en famille».
Nelson Mandela se met-il le doigt dans l’œil avec une telle vision du leadership? La réponse est bien entendu «non», puisque c’est celle-ci qui lui a permis de faire se soulever tout un peuple pour mettre fin au régime d’apartheid du gouvernement de Frederik de Klerk. Il va en réalité plus loin encore, avec la notion d’Ubuntu…
Ubuntu? Ce mot vient des langues bantoues de l’Afrique du Sud, et n’a pas vraiment d’équivalent en français. Nelson Mandela, qui a été élevé avec cette notion en tête, le décrit ainsi : «Respect. Serviabilité. Partage. Communauté. Générosité. Confiance. Désintéressement. Le mot d’Ubuntu signifie un peu tout cela à la fois. Il s’agit d’un état d’esprit, d’une attitude envers les autres, qui incite chacun à faire quelque chose de bien, de grand, pour sa communauté», dit-il.
Desmond Tutu, un autre prix Nobel de la paix sud-africain, considère quant à lui que l’Ubuntu est ce qui caractérise les grands leaders : «Ils sont ouverts d’esprit. Ils sont disponibles pour les autres. Ils leur sont même dévoués. Ils n’ont pas peur des agissements des autres, car ils savent que, nous tous, nous faisons partie de quelque chose de plus grand que nous. Et inversement, ils sont meurtris lorsqu’autrui est oppressé ou torturé», estime-t-il.
Le terme Ubuntu est souvent lié au proverbe «Umuntu ngumuntu ngabantu», qui veut dire «Je suis ce que je suis parce que vous êtes ce que vous êtes», ou d'une manière plus littérale «Je suis ce que je suis grâce à ce que nous sommes tous». L’idée est donc qu’il existe entre les êtres humains une relation particulière qui nous permet de construire notre identité au sein du groupe dans lequel nous évoluons, et cette relation est basée sur la réciprocité et le partage.
La question est maintenant la suivante : Barack Obama, avec sa doctrine du «Leading from behind», est-il sur la voie de l’Ubuntu? Qu’en pensez-vous?
On peut même pousser un peu plus loin la réflexion : demandez-vous franchement si vous ne seriez pas intéressé par cette approche sud-africaine du leadership. Cela ne changerait-il pas votre rapport avec les autres? Cela ne l’améliorerait-il pas, en fait? Et ne deviendriez-vous pas, dès lors, un meilleur leader?
Découvrez mes précédents posts