BLOGUE. Une bonne façon d’apprendre est d’imiter, d’où notre besoin récurrent de nous chercher des modèles. Et pour ne pas faire comme tout le monde, nous prisons les personnes et les groupes les plus particuliers possible. Pas vrai?
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Voici ma suggestion, qui devrait en surprendre a priori plus d’un : les moines bénédictins! Une suggestion qui, vous allez vous en rendre compte au fil de la lecture de ce post, est tout à fait pertinente pour qui se pique de management…
Je suis tombé cette fin de semaine sur un petit livre de poche passionnant intitulé 24 heures de la vie d’un moine signé par Dom Jean-Pierre Longeat, père abbé de l’abbaye bénédictine de Ligugé, en France. Ouvrage que j’ai dévoré en deux temps trois mouvements. L’auteur y répond à des interrogations qui nous avons déjà tous eues, mais pour lesquelles nous n’avons jamais fait l’effort de chercher une réponse : que se passe-t-il derrière les lourdes portes d’un monastère? À quoi un moine occupe-t-il ses journées? Le silence est-il vraiment obligatoire? Etc.
Toutes les réponses à ces questions trouvent leur réponse dans un document, la Règle de saint Benoît. Cette dernière a été rédigée vers 540 après J.-C. par Benoît de Nursie pour guider ses disciples dans la vie monastique communautaire. Benoît avait fondé une dizaine d'années auparavant une communauté de moines sur le Mont-Cassin, en Italie, et avait vite compris que pour que la vie en groupe se déroule au mieux, il est nécessaire de se fixer un règlement. Un règlement qui a connu quelques ajustements aux fils des siècles, et qui est aujourd’hui suivi par quelque 30 000 moines et moniales de par le monde.
En écrivant sa Règle, Benoît n'a pas cherché à créer une œuvre originale. Il s’est amplement inspiré des traditions monastiques qui existaient déjà en Italie, ainsi que de textes de référence, comme ceux de Cassien, de saint Basile et de Saint-Augustin (par exemple, l'abbé doit servir plus que présider : prodesse magis quam præesse). De tout cela, il résulte que la communauté est une famille dont l’abbé est le père et où tous les moines sont frères.
La journée du moine est réglée en fonction de ce que Benoît appelle l’«Œuvre de Dieu» (Opus Dei): c'est la liturgie des heures qui, huit fois par jour, rassemble la communauté pour prier ensemble. Il y a trois grands offices (Vigiles, Laudes et Vêpres), les plus longs, les autres étant dénommés les «Petites heures» (Prime, Tierce, Sexte, None et Complies). Pour saint Benoît, c'est très important : «On ne préférera rien à l'Oeuvre de Dieu».
En dehors des offices, les moines s'adonnent au travail manuel : car, dit Benoît, «c'est alors qu'ils seront vraiment moines, lorsqu'ils vivront du travail de leurs mains, à l'exemple de nos pères et des Apôtres». Le travail doit être organisé de telle sorte qu'il n'oblige pas les frères à sortir du monastère : «Le monastère doit, autant que possible, être disposé de telle sorte que l'on y trouve tout le nécessaire : de l'eau, un moulin, un jardin et des ateliers pour qu'on puisse pratiquer les divers métiers à l'intérieur de la clôture. De la sorte, les moines n'auront pas besoin de se disperser au-dehors, ce qui n'est pas du tout avantageux pour leurs âmes».
Du temps est aussi réservé à la lecture, étude de l'Écriture et des Pères de l'Église, qui est une vraie nourriture spirituelle : c'est la lectio divina. Idem, du temps à soi est prévu, pour faire une petite promenade, discuter avec s’autres, se livrer à une activité personnelle, etc.
La Règle décrit non seulement les divers offices et le travail, mais aussi les modalités des repas, de l'habillement, de l'accueil, du choix des responsables, des voyages à l'extérieur, etc. Toutefois, Benoît n'est pas tatillon et affirme souvent que c'est à l’abbé. La Règle s'intéresse donc surtout à l'aspect spirituel de la vie monastique.
«Il y a là quelque chose de profondément mystérieux, car même si l’homme est un animal social, il faut bien reconnaître que la vie commune ne lui est pas spontanément facile, écrit Dom Longeat dans un texte récemment mis en ligne sur le site Web de son abbaye.
«Saint Benoît s’attache beaucoup à ce problème auquel il accorde la plus grande importance. «Les cénobites sont ceux qui vivent en commun, dans un monastère, et combattent sous une Règle et un abbé ; ils sont formés par une longue épreuve dans le monastère, ils apprennent, grâce au soutien de nombreux frères, à lutter contre le démon. Ils sont là comme dans une armée fraternelle. Ils sont libre par rapport aux coutumes mondaines dans leur conduite. Ils ne sont pas renfermés dans leur propre bergerie, mais dans celle du Seigneur. Ce n’est pas la satisfaction de leur désir qui leur sert de loi.» Ils passent leur vie dans un lien stable avec leur communauté, et sauf raison spéciale dans le monastère lui-même.
«Dans une communauté, l’abbé a un rôle quasi-impossible à tenir, poursuit l’auteur de 24 heures dans la vie d’un moine. Il doit sans cesse pointer le doigt vers celui qui est l’abbé véritable, le Christ, qui est livré comme Parole de Dieu par son enseignement et par son exemple. Il en va un peu de même pour ceux qui exercent d’autres responsabilités dans la communauté. Une des difficultés de notre vie communautaire, c’est de confondre souvent la fonction qu’exercent les uns et les autres et ce qu’ils sont en eux-mêmes. A tel point que si certains n’exercent pas de fonction majeure, ils peuvent en faire un complexe ou en éprouver une réelle jalousie consciente ou inconsciente ; un peu comme s’ils ne pouvaient exister aux yeux des autres, tant la tentation de croire que l’on est perçu uniquement par ce que l’on fait est grande.
«Il me semble important que l’une des principales qualités des responsables soit l’honnêteté avec laquelle ils abordent leur vie monastique et leur vie tout court ; de telle manière, qu’en raison même de cette honnêteté foncière, ils puissent exister sans se préoccuper des commentaires de toutes sortes qui sont inévitablement portés sur leur comportement ou leur action. Ainsi, il n’y a pas de déséquilibre entre les aspirations personnelles de celui qui est en charge et les aspirations légitimes des autres membres de la communauté.
«Reste à définir en quoi consiste l’honnêteté ; saint Benoît en décrit quelques aspects : nourrir un double enseignement par des actes plus encore que par des paroles. Ailleurs, saint Benoît dit que l’abbé devra être le premier à appliquer la Règle dans sa totalité. Qu’il soit chaste, sobre, miséricordieux ; il aura toujours devant les yeux sa propre faiblesse, et se souviendra qu’il ne faut pas broyer le roseau déjà éclaté. Qu’il ne soit ni turbulent ni inquiet ; qu’il ne soit ni excessif ni opiniâtre ; qu’il ne soit ni jaloux ni trop soupçonneux. Ainsi, peut-être pourra-t-il ne pas faire acception des personnes, ne pas aimer l’un plus que l’autre, ne pas préférer l’homme libre à celui venu de l’esclavage, ou d’autres catégories sociales et culturelles : car libres ou esclaves, nous sommes tous un dans le Christ et nous portons tous les mêmes armes, au service d’un même Seigneur… Il se conduira avec discernement et modération, et se rappellera la discrétion du saint patriarche Jacob, qui disait : «Si je fatigue mes troupeaux en les faisant trop marcher, ils périront en un jour.» »
Autre point vital d’une vie en communauté sereine : le dialogue. Dom Longeat poursuit :
«Saint Benoît veut que chacun trouve bien sa place dans la communauté en donnant son avis : «Ce qui nous fait dire qu’il faut consulter tous les frères, c’est que souvent Dieu révèle à un plus jeune ce qui est meilleur». Mais, cette prise de conseil se fait avec beaucoup de sagesse : «Les frères donneront leur avis en toute humilité et soumission».
«En fait, cette dimension n’est pas toujours facile à mettre en oeuvre. D’une part, les questions relatives à la vie du monastère sont nombreuses et ne peuvent être toutes l’objet d’un débat ; c’est pourquoi, d’ailleurs, il existe le Conseil. D’autre part, malheureusement, il est assez rare de trouver des communautés où tous sachent s’écouter mutuellement. On sait trop à l’avance ce que l’on doit penser des propos de tel ou tel. A tel point que certaines paroles ne sont pas suffisamment prises en compte.
«L’écoute mutuelle est capitale pour pouvoir exister en communauté. On remarque souvent que certains s’éloignent de la vie communautaire, parce qu’on ne prend pas suffisamment en compte leur parole. Tout homme a envie d’exprimer quelque chose, c’est même l’originalité de la nature humaine ; s’il ne peut le faire dans le groupe où il vit, il dépérit et parfois cherche ailleurs, un espace plus propice. Ceux qui pensent avoir quelque chose de plus intéressant à dire que les autres doivent faire effort de patience, pour entendre ce qu’ils estiment moins approprié mais qui reste pourtant utile. Ainsi, chacun pourra exister dans ce dialogue qui est une composante essentielle de l’amour. Tout, bien sûr doit se faire avec discrétion et discernement. Il ne s’agit de dire n’importe quoi, n’importe comment, à n’importe qui, sous prétexte qu’on a besoin de parler.»
Ces pensées résonnent-elles en vous? Font-elles vibrer une corde sensible, comme cela a été le cas pour moi en les découvrant? J’image que oui, le contraire me surprendrait beaucoup…
Les enseignements que l’on peut y trouver sont aisés, me semble-t-il, à appliquer à votre quotidien, dans la vie en équipe que vous connaissez jour après jour, en famille ou au travail. Un exemple parmi d’autres : et si, en tant que leader, vous vous comportiez désormais comme un abbé, qui «se met au service des frères»… «Ainsi, on peut s’accueillir, s’aimer, se reconnaître, se pardonner, se construire, s’édifier mutuellement et trouver ce bon équilibre dans une communauté ouverte, où l’impossible est rendu possible», souligne Dom Longeat.
Pour finir, un dernier extrait de la Règle de saint Benoît : «Qui que tu sois, accomplis cette toute petite Règle écrite pour les débutants. Cela fait, tu parviendras, avec la protection de Dieu, aux plus hautes cimes de la doctrine et des vertus»…
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