BLOGUE. J’aime le jeu d’échecs parce qu’il est une source inépuisable d’enseignements pour la vie. L’un d’entre eux, c’est que les champions se distinguent des autres pour une raison principale, voire unique : ils ont la capacité d’anticiper les catastrophes. C’est-à-dire qu’ils les voient venir, et ont le courage d’agir en conséquence.
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Dur à croire? Gary Kasparov, l’un des plus grands joueurs d’échecs de l’Histoire, me l’a confié un jour, lors d’une entrevue : il ne calcule guère que 5 ou 6 coups à l’avance, ce que peut faire tout joueur de bon niveau ; sa grande différence, c’est sa faculté d’évaluer froidement la situation, pour lui comme pour son adversaire. Il voit les faiblesses et les forces de son jeu, tout comme celles de l’autre. Il les accepte. Et il fait de son mieux pour en tirer le meilleur parti.
Ça n’a l’air de rien, mais cet exercice est très difficile. Tenez, qui a l’honnêteté de s’avouer ses petites faiblesses, comme le fait de s’énerver pour un rien, de chercher à tout contrôler, ou encore de refuser d’écouter les employés casse-pieds? Et qui a le cran de chercher à s’améliorer dès qu’une faiblesse est détectée? Soyons francs : personne (hormis les champions comme Kasparov)…
Et cela se vérifie particulièrement en entreprise. J’ai d’ailleurs mis la main sur une étude passionnante à ce sujet, signée par trois chercheurs de la Northwestern University, Daniel Diermeier, Wallace Hopp et Seyed Iravani.
De quoi s’agit-il? De la manière dont réagissent les gestionnaires en situation de crise, et même plus qu’en situation de crise, en pleine catastrophe. Les chercheurs sont partis d’un constat : quand survient un drame, on parle d’un vrai drame, tout le monde fige, sans savoir quoi faire, et se met à improviser maladroitement, parfois pris de panique. Les exemples sont à foison : l’ouragan Katrina, le tsunami de l’Océan Indien, le 11-septembre, le scandale Enron, etc. On se souvient tous des pagailles qui ont suivi…
Pourtant, il y avait des plans pour presque tous les scénarios envisageables : les pompiers, les policiers, les militaires, par exemple, savent a priori quoi faire dans un environnement imprévisible. Mais pas quand il s’agit de quelque chose d’extraordinaire, comme des avions qui percutent le World Trade Center. En fait, ce sont ces plans pré-établis, mais inadaptés à la situation, qui ont contribué au désordre général, selon les chercheurs.
Vite et bien
Alors, comment faire pour agir correctement en cas de catastrophe? Comment anticiper le pire, comme Kasparov? C’est là l’objet de leur recherche, et la bonne nouvelle, c’est qu’ils ont trouvé des pistes de solution!
Ainsi, ils ont étudié nombre de plans déjà existants dans différents secteurs pour faire face à des situations de crise et leur ont trouvé quatre points communs :
- La vitesse : il faut agir vite, mais sans précipitation;
- L’adéquation : il faut que l’action soit coordonnée;
- La tolérance à l’erreur : une intervention peut être erronée, mais ne doit pas aggraver la situation;
- La bonne progression : il faut que l’ajout de renforts permette d’accroître la qualité (le temps, par exemple) de l’intervention, et jamais le contraire.
En poussant plus loin l’étude, ils ont noté que tous ces plans d’urgence pouvaient être présentés sous forme de schéma, où sont indiqués les intervenants et leurs interactions. Un peu comme un plan de match au hockey, avec des croix symbolisant les joueurs et des flèches, leurs interventions respectives. Bref, tout cela pouvait se résumer à un dessin de réseau.
Les trois chercheurs ont alors regardé de près comment fonctionnaient en général les centres d’appels téléphoniques. Les gestionnaires de ces entreprises ont l’habitude de maximiser le fonctionnement de leur personnel, que ce soit pour appeler le plus efficacement possible des gens ou pour recevoir d’un coup une grande quantité d’appels et être en mesure d’y répondre sans trop faire attendre les personnes au bout du fil, soulignent-ils. Et ils ont découvert qu’«une structure de réseau bien agencée pouvait répondre à merveille à n’importe quel cas de figure, et donc à un événement totalement imprévisible».
Il en découle trois conseils pratiques, pour qui veut disposer d’une équipe capable de répondre au mieux à tout imprévu, d’après les chercheurs :
1. Rendez l’équipe la plus flexible possible, et donc incitez les uns et les autres à apprendre à faire d,autres choses que ce qu’ils ont l’habitude de faire. Cela peut passer par des séances de formation ou des échanges temporaires de postes.
2. Facilitez la circulation de l’information au sein de l’équipe, en tout temps.
3. En tant que leader, soyez un agent de changement, autrement dit combattez chaque jour la routine, pour vous comme pour les autres.
Vous voilà maintenant parés à toute catastrophe. À tout le moins, vous ne céderez pas à la panique le moment venu. Un truc de ma part, pour en revenir aux échecs : les champions restent toujours de marbre, surtout quand ils découvrent – ô horreur! – une faille mortelle dans leur jeu ; alors, pensez à eux à ce moment-là, et restez calme…