BLOGUE. «Une direction obsédée par la pouvoir»… «L’atmosphère est devenue irrespirable»… «On devait se soumettre ou se démettre»… Les banderilles étaient des plus terribles et des plus colorées, ce matin, pour terrasser Pauline Marois, la chef du Parti québécois (PQ). Elles ont été plantées dans son dos par trois députés de son parti – Louise Beaudoin, Pierre Curzi et Lisette Lapointe –, en raison de leur opposition à un projet de loi de leur collègue Agnès Maltais. Fière comme un taureau blessé, Mme Marois a aussitôt rejetté du revers de la main les critiques sur son leadership.
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Une question brûle depuis toutes les lèvres : maintenant que les banderilleros ont porté leurs coups, le torero va-t-il faire son entrée en scène, et affronter le taureau pour sa mise à mort? Se pourrait-il même que ce torero prenne la forme non pas d’une figure politique, mais d’un désaveu de l’ensemble des militants du PQ? Impossible à dire pour l’instant. Toutefois, l’événement en soi est riche d’enseignements en matière de management. J’en vois un en particulier, à savoir que Pauline Marois – qui s’est dite «renversée» par le départ fracassant des trois députés du PQ – n’a pas vu venir l’attaque, et donc n’a pas senti venir le vent du changement…
Pour bien comprendre le phénomène dont il est ici question, j’ai dévoré une étude passionnante, intitulée Learning to Detect Change. Elle est signée par trois chercheurs, soit Ye Li et George Wu, tous deux de l’University of Chicago Booth School of Business, et Cade Massey, de Yale. Son objet : voir si l’expérience nous permet, oui ou non, de mieux prévoir les changements qui se profilent à l’horizon.
Ainsi, les trois chercheurs ont demandé à 72 étudiants de se livrer à une expérience de prédictions dans laquelle on leur montrait tout d’abord une série d’images – lesquelles étaient soient un point bleu, soit un point rouge –, puis on leur demandait l’image qui devait suivre. Toute bonne réponse permettait de gagner de l’argent, et toute erreur, d’en perdre. Et chacun devait répéter l’opération 20 fois de suite. L’idée, c’était qu’après plusieurs tests pour voir comment fonctionnait le système, les étudiants auraient une meilleure compréhension de celui-ci et, l’expérience venant, trouveraient de plus en plus souvent le moment où les séries de couleurs (bleu ou rouge) prenaient fin. Les plus expérimentés se devaient, en toute logique, d’afficher de meilleurs scores que les débutants.
Résultat? Oui, l’expérience aide à prévoir les changements, mais pas toujours. Toute la subtilité est dans ce «mais pas toujours». Les chercheurs ont en effet affiné leur analyse, pour découvrir que, dans de tels cas, nous prenons des décisions en fonction de deux critères, à savoir les signes avant-coureurs du changement et l’environnement dans lequel ceux-ci apparaissent.
Qu’est-ce à dire? Prenons un exemple concret… Un gérant de kiosque à journaux note que de moins en moins de clients achètent le magazine X, cette tendance se révélant de plus en plus claire à mesure que les semaines s’écoulent. Doit-il en commander moins pour offrir davantage de place aux publications qui, elles, plaisent de plus en plus? La réponse logique est «oui», si l’on tient compte des signes avant-coureurs. Mais voilà, en s’informant, il découvre que la direction du magazine X prévoit une refonte majeure de sa maquette et de son contenu, pour coller davantage aux goûts actuels des lecteurs. Fort de cette information sur «l’environnement médiatique», va-t-il prendre une décision contraire et accorder plus de place au magazine X nouvelle formule? Peut-être bien, s’il tient à être logique…
Cela étant, nos prises de décisions ne sont pas toujours aussi simples. La logique seule ne suffit pas pour faire le bon choix. Nous sommes des êtres humains, c’est-à-dire que fondamentalement nous nous refusons à agir de manière logique, n’est-ce pas? Les chercheurs en ont, bien entendu, tenu compte, et noté que nous avons beau avoir la bonne information sur le moment précis où va survenir le changement, il arrive à certains d’entre nous de ne pas réagir adéquatement à cette donnée. Pourquoi? Allez savoir, peut-être le refus de croire qu’on a la bonne information, ou encore la peur d’être dans le vrai, je ne sais pas, moi.
Leur étude leur a permis de voir qu’en général nous sous-réagissons (on refuse de voir que le changement est imminent) ou nous sur-réagissons (on croit que le changement a déjà eu lieu alors qu’il n’est pas encore survenu). Nous sous-réagissons quand nous ne connaissons pas bien le système d’où émanent les signes avant-coureurs du changement. Et inversement, nous sur-réagissons lorsque nous croyons avoir une bonne connaissance de celui-ci. Bref, nous sous-réagissons quand nous sommes inquiets, et sur-réagissons quand nous sommes confiants.
Par conséquent, ceux qui se basent sur leur expérience seule ne voient pas venir les changements mieux que quiconque. Leur expérience ne leur sert à rien, ou presque, s’ils ne veillent pas, de manière constante, à analyser les données les plus fraîches issues de leur environnement et à faire preuve de souplesse face à celles-ci. Et ce, afin de prendre conscience qu’un changement est en train de se produire, et que celui-ci risque de bousculer leurs idées préconçues.
Quelle leçon tirer de tout cela dans le cas de la corrida du PQ? Peut-on dire que Pauline Marois s’est beaucoup trop reposée sur son expérience politique? Que sa trop grande confiance en son leadership – 93% des délégués péquistes lui ont exprimé leur confiance le 16 avril dernier – l’a empêché d’entendre la grogne montante dans ses rangs? Qu’elle n’est pas assez à l’écoute des voix discordantes de son parti? Il semble qu’on puisse répondre : «oui, oui, et encore oui»… Qu’en pensez-vous?
Saint-Augustin disait dans ses Sermons : «Se tromper est humain, persister dans son erreur est diabolique»...
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