BLOGUE. Vous comme moi, nous prenons des décisions tous les jours, certaines plus importantes que d’autres. À chaque fois, diverses émotions nous assaillent pour nous tirailler à droite et à gauche, pour nous inciter à peser le pour et le contre, pour nous empêcher de trancher trop vite. Et parfois, nous reportons notre décision aux calendes grecques…
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Pourquoi cela se produit-il? Qu’est-ce qui fait que certaines décisions sont si difficles à prendre? Eh bien, la réponse réside en grande partie dans notre cerveau. Ou plutôt, dans la façon dont nous élaborons nos pensées, certaines formes de pensées étant plus perméables que d’autres aux émotions.
C’est ce que j’ai appris en parcourant une étude passionnante sur le sujet, intitulée When does feeling of fluency matter? How abstract and concrete thinking influence fluency effects. Une étude signée par Claire Tsai, professeure à la Rotman School of Management, et Manoj Thomas, professeur à la SC Johnson Graduate School of Management.
Les deux chercheurs se sont intéressés à une émotion en particulier, à savoir la confiance en soi. Ils se sont demandés dans quelle mesure avoir confiance en soi pouvait peser sur nos décisions, et plus précisément si deux façons spécifiques d’aborder un problème pouvaient avoir ou non un impact sur notre confiance en soi à ce moment-là. Quelles façons d’aborder un problème? La pensée abstraite, et son contraire, que l’on peut présenter comme la pensée concrète.
Voici ce que Mme Tsai et M. Thomas présupposaient avant de se lancer dans l’expérimentation… Ils savaient – de précédentes études l’avaient montré – que ceux qui ont une grande confiance en eux ont tendance à l’optimisme lorsqu’il s’agit de prendre une décision. Donc, que la confiance en soi a bel et bien un impact positif sur une prise de décision. Mais voilà, ils estimaient qu’il fallait aller plus loin, et notamment regarder différents cas de figure : ils imaginaient que ceux qui réfléchissaient de manière abstraite, disons de manière macro, sur un problème faisaient de la sorte moins jouer leurs émotions, et étaient donc amenés à prendre des décisions plus sereines que ceux qui pensaient de manière concrète, disons de manière micro, qui eux s’attardaient aux détails insignifiants mais lourds en émotions.
Comment expérimenter tout cela? À l’aide de trois expériences menées sur le campus de l’Université de Toronto :
1. Vérifier que la capacité d’abstraction permet d’atténuer l’influence de la confiance en soi sur la prise de décision. Ainsi, 71 étudiants torontois ont dû remplir deux tâches : la première consistait à générer des listes de mots, et ce en faisant preuve de pensée abstraite pour les uns et de pensée concrète pour les autres; la seconde visait à comprendre une publicité de chocolat, parfois facile à lire, parfois non, et à indiquer si l’on envisageait ou non d’acheter par la suite du chocolat de cette marque.
Résultat? L’hypothèse est vérifiée, en ce sens que ceux qui avaient confiance en eux étaient plus portés que les autres à acheter la barre chocolatée, hormis une partie d’entre eux, ceux qui avaient usés de pensée abstraite.
2. Vérifier autrement la même hypothèse. Cette fois-ci, 96 étudiants se devaient de faire un don de charité, d’un montant de leur choix. Certains ont dû, avant de prendre leur décision, remplir une tâche faisant appel à la pensée abstraite, et d’autres, la pensée concrète.
Résultat? Idem, plus les gens avaient confiance en eux, plus ils ont été généreux, du moins pour ceux qui ont été amenés à réfléchir de manière concrète.
3. Identifier le mécanisme par lequel la capacité d’abstraction atténue l’effet de la confiance en soi sur une décision. Pour cela, les deux chercheurs ont soumis 114 étudiants quasiment aux mêmes tests que la première expérience, mais en faisant davantage intervenir les émotions dans la réflexion.
Là, ils ont découvert que si la confiance en soi est perçue comme une information pertinente dans la réflexion d’une personne généralement sûre d’elle, alors cette émotion – la confiance en soi – n’a plus le même poids dans la prise de décision. Du coup, peu importe que l’on réfléchisse de manière macro ou macro, son choix n’en basculera pas pour autant dans un sens ou dans l’autre.
Quelle trouvaille, n’est-ce pas? Ça signifie qu’il y a un moyen très simple de prendre des décisions sereines, soit en usant de notre capacité d’abstraction. Aussi simple que ça. Si l’on doit aborder un problème complexe, mieux vaut le regarder de manière macro – par exemple, penser en terme de breuvage quand cela concerne le choix d’un soda – que de manière micro – par exemple, penser en terme de Coke. Cela nous permet de moins faire intervenir nos émotions (dans notre cas, le terme de «breuvage» est rel;ativement neutre pour tout le monde, alors que celui de «Coke» fait aussitôt déferler en nous une foule d’images et d’émotions…).
Toutefois, et c’est ce que montre la dernière expérience, il n’est pas toujours bon de chercher à faire taire ses émotions lorsqu’on doit prendre une décision lourde de conséquences. «Quand les émotions, quelles qu’elles soient, jouent un rôle primordial, le phénomène inverse peut se produire : mieux vaut alors parfois user de pensées concrètes, et d’autres fois, de pensées abstraites», indiquent les deux chercheurs dans leur étude, en soulignant qu’il y a là de vastes champs de recherche à défricher dans le futur.
Par conséquent, prudence lorsqu’un choix complexe se profile à l’horizon! Mais rassurez-vous, et préparez-vous mentalement à y faire face en vous disant que vous avez un atout en poche : l’aborder à l’aide de pensées abstraites. Dès lors, vous serez en mesure de ne pas tomber dans le piège trop courant des raccourcis mentaux (ex.: on a déjà été confronté à un problème similaire, et on croit donc connaître d’avance la meilleure solution pour y remédier). Oui, vous serez à même de prendre de la hauteur et de regarder ce qui se produit autour de vous avec un calme souverain, puis de trancher, sans trop faire jouer vos sentiments. Et ce sera vraisemblablement une sage décision prise de votre part…
Louis XIV aimait à dire : «La décision a besoin d'un esprit de maître ; et il est sans comparaison plus facile de faire ce qu'on est, que d'imiter ce qu'on n'est pas»…
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