BLOGUE. Je suis prêt à parier que vous vous souvenez très précisément de la dernière fois où vous avez dû faire une critique à quelqu’un : vous deviez le faire, alors vous l’avez fait, même si vous saviez que cela la blesserait, et vous aussi, du moins à votre conscience. Vous vous dîtes que vous auriez dû vous y prendre autrement. Mais comment?
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Bien entendu, vous avez suivi les conseils qu’on donne à chaque fois dans ce cas-là : «Parlez de son comportement, pas de sa personne», «Dîtes Je le plus souvent possible, pas On», «Ajoutez une affirmation positive», ou encore ««Adoucissez votre langage». Vous n’avez donc pas dit «Tu casses les pieds à tout le monde au bureau», mais «J’apprécie l’attention que tu portes aux autres, mais il faut reconnaître qu’à force de parler à tort et à travers au bureau, ça agace certains». Et pourtant, cela n’a pas suffi. Alors? Alors, la neuroscience peut voler à votre secours…
J’ai dévoré un article du tout dernier numéro du magazine Psychology Today portant sur le feedback en général, et en particulier sur les critiques négatives. Il y est expliqué, entre autres, comment réagi notre cerveau face à des reproches. Et j’en ai tiré plusieurs enseignements qui peuvent être, à mon avis, aisément mis en pratique.
«Dans notre société, nous sommes habitués à faire ou recevoir des critiques. Mais, nous sommes incroyablement nuls pour estimer l’impact que cela peut avoir sur autrui. C’est pourquoi donner du feedback négatif est une chose très très difficile à bien faire», dit Robert Sutton, professeur de psychologie à Stanford.
De fait, critiquer un autre nous met toujours mal à l’aise, car on ne sait pas dans quelle mesure le message que l’on veut faire passer sera effectivement entendu. Avant même de commencer, on se sent gêné, maladroit, voire hostile. D’ailleurs, pour s’en rendre compte, il suffit de voir à quel point les réunions d’évaluation sont toujours «un grand moment de plaisir» pour le gestionnaire comme pour l’employé évalué. Pas vrai?
Il convient donc de regarder ce qu’il se passe dans notre corps lorsque nous recevons un reproche en pleine figure. Des chercheurs se sont penchés sur la question, et voilà ce que ça donne : les battements du cœur s’accélèrent, la tension des muscles s’accroît, la pression artérielle fait un bond, etc. Bref, on réagit physiquement comme si l’on faisait face à une agression.
Du côté du cerveau, John Cacioppo, professeur de neuroscience à l’University of Chicago, a noté que l’activité électrique s’intensifie brutalement, et ce nettement plus en cas de feedback négatif que positif. Qu’est-ce que ça signifie? Que notre cerveau n’est pas alors dans la meilleure situation pour bien saisir les informations qui lui sont envoyées. Celles-ci fusent de toutes parts, et rien ne dit que les plus pertinentes vont être traitées comme elles devraient l’être. Pis, elles peuvent même être mal interprétées. «Quand on nous fait des reproches, notre cerveau simplifie les informations, et les range dans deux cases, les bonnes et les mauvaises. On perd toute nuance. On voit alors le monde environnant de manière bipolaire», explique M. Cacioppo.
Du coup, nous ressentons les reproches comme une peur d’exclusion, selon Peter Gray, chercheur en psychologie du Boston College. Une critique reçue au travail n’est certes pas une menace de mort, mais celui qui la fait devrait prendre conscience que cela revient presque au même! Derrière la critique se dissimule la menace d’être rejeté du groupe auquel on appartient, ce qui revient, pour l’animal social que nous sommes vous et moi, à un rejet qui peut être fatal. Sans les autres, nous ne pouvons vivre. Sans les autres, nous sommes finis. «Notre identité se définit par rapport au groupe dont on fait partie. Une critique trop forte met en péril l’attachement qu’on a aux autres, et donc notre être», souligne Neal Ashkanasy, professeur en management de l’University of Queensland, en Australie.
C’est bien simple, ce qui fait le plus mal quand on reçoit un feedback négatif, c’est la peur d’être coupé des autres, d’être abandonné, d’être ostracisé. Par suite, tout dirigeant qui veut faire une critique à un membre de son équipe doit veiller à rassurer d’emblée sur ce plan : il lui faut souligner qu’il n’est pas question de mettre en cause la place de celui-ci dans le groupe, bien au contraire, de la renforcer en l’aidant à mieux s’y intégrer, et ce en apportant telle ou telle amélioration de sa part.
D’où les 8 règles du feedback efficace :
1. Menez toujours l’entretien par des questions , comme «Pensez-vous que vous travaillez bien?». Ça permet à l’employé de réaliser qu’il y a un problème et qu’il peut le résoudre lui-même avec votre aide.
2. Ne faites jamais une critique sans que celle-ci soit plus ou moins sollicitée. Sinon, vous ne serez pas entendu et vous vous serez fait un ennemi pour rien.
3. Soyez certain que vous êtes perçu par l’employé critiqué comme un bon leader. Sinon, vous risquez d’être confronté sous peu à de la résistance, voire à de la rébellion.
4. Faites attention à ne pas laisser l’impression que vous excluez l’employé du groupe, mais au contraire que vous voulez l’y intégrer davantage.
5. Ne donnez jamais de feedback quand vous êtes en colère.
6. Sachez à qui vous vous adressez. Cela vous évitera, entre autres, de blesser votre interlocuteur.
7. Sachez aussi qui vous êtes vous-même. Des vérités peuvent en effet jaillir lors d’une discussion houleuse, des vérités blessantes…
8. Attendez-vous à ce que votre interlocuteur se mette sur la défensive, après avoir vu venir vos critiques. C’est un réflexe normal. N’attendez donc pas trop de changements dans l’immédiat, laissez le temps à la personne d’intégrer ce que vous lui avez dit, et d’agir en conséquence.
Maintenant, si vous êtes celui ou celle qui va recevoir un savon, voici quelques petits conseils, tirés d’un post récent sur le site Web de Harvard Business Review de Peter Bregman, consultant en management : «Ça va probablement faire mal, alors prenez une grande respiration. Essayez de parler le moins possible, histoire de ne pas vous enfoncer. Montrez-vous souple, et tentez d’apprendre quelque chose de ce qui vous est dit».
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