BLOGUE. Et si on menait sur vous une expérience scientifique susceptible de vous transformer, en quelques minutes, en un grand leader, voire un leader exceptionnel… Le feriez-vous?
C’est justement ce qui se produit dans le film Captain America qui sort en salles aujourd’hui-même : Steve Rogers, un jeune homme maigrichon refoulé aux portes de l'armée, qu'il rêve pourtant d'intégrer, reçoit du gouvernement américain un traitement top secret qui lui donne instantanément une musculature et une puissance dignes d’un dieu grec. Et le voilà dans la peau d’un leader, chargé ni plus ni moins que d’aider les Américains à défaire les Nazis lors de la Seconde Guerre mondiale!
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Croyez-vous qu’une telle transformation radicale se déroule sans encombres? Non, bien entendu. Dans sa combinaison aux couleurs du drapeau américain, bouclier au bras et casque sur la tête, celui qui se fait appeler Captain America va multiplier les exploits contre les méchants Nazis et contrecarrer les plans mégalomanes du sinistre Johann Schmidt. Le tout, en menant de main de maître une poignée d’hommes comme une armée entière, non sans connaître des instants de doutes et même de faiblesse.
Le nœud de l’intrigue est d'une candeur assumée : «C'est le bien contre le mal. C'est vraiment l'histoire d'un type qui veut faire le bien et sa détermination à y parvenir», a dit Joe Johnston, le réalisateur du film, à des médias américains.
Le sculptural Chris Evans - que d'incroyables effets spéciaux réduisent en avorton au début du film – confirme : «Captain America, c'est juste un bon gars. Il fait le bien, car il considère que c'est ce qu'il faut faire». Quant à sa découverte du leadership, elle se fait de façon relativement réaliste : «Beaucoup de super-héros sont nés avec leurs pouvoirs. Captain America, lui, a été choisi pour devenir un grand leader, en l’occurrence un super-héros aux facultés somme toute modestes : il ne vole pas, il n’envoie pas de flammes…», ajoute-t-il.
La question est de savoir si, comme dans le film, le leadership s’apprend, ou bien est quelque chose d’inné. Certains considèrent qu’on naît leader et qu’on développe ce talent dès sa tendre enfance. D’autres, que tout un chacun peut être amené à prendre des responsabilités professionnelles et les assumer de mieux en mieux, l’expérience aidant. Deux discours opposés, n’est-ce pas?
Le bonne nouvelle, c’est qu’il m’est possible de trancher dans ce débat. Si, si. J’ai en effet mis la main sur une étude lumineuse à cet égard, intitulée Is leadership a part of me? et signée par Laura Guillén et Konstantin Korotov, tous deux professeurs à l’European School of Management and Technology (ESMT). Celle-ci se penche sur ce qui se produit dans la personnalité de quelqu’un qui se voit attribuer de nouvelles responsabilités, et en tire quelques enseignements pratiques forts intéressants…
Ainsi, les deux chercheurs ont invité 194 étudiants d’un programme de perfectionnement en management d’une grande école européenne (dont l’identité n’est pas divulguée) à participer à deux expériences. Ces étudiants étaient âgés entre 25 et 54 ans et avaient derrière eux une expérience certaine en matière de leadership, en moyenne de 6 années et demie à des postes de direction.
Dans un premier temps, ils ont dû remplir des questionnaires tournant autour d’un sujet bien précis : leur motivation pour diriger (motivation to lead, ou MTL, en anglais), c’est-à-dire ce qui les motive à être un leader. Les questions étaient très simples, mais permettaient d’affiner le portrait de chacun : «Most of the time, I prefer being a leader rather than a follower when working in groups», «I agree to lead whenever I am asked or nominated by others members» et autres «It is not right to decline leadership roles».
Principal résultat? Ce qui pousse surtout à devenir un leader, c’est les autres. Que l’on croit avoir les qualités d’un leader ou pas, on accepte d’assumer le rôle de leader quand la situation l’exige, ou du moins s’y prête. C’est donc avant tout pour répondre à un besoin, celui d’une équipe ou d’une entreprise, que l’on se lance dans le bain. Pas franchement pour la gloriole ou pour le goût du pouvoir (dans la grande majorité des cas, bien entendu…).
Cela étant, il y a alors une différence entre ceux qui se pensent des leaders nés, et ceux qui le deviennent, disons, par accident. Une différence notable : les premiers retirent une grande satisfaction immédiate d’avoir de nouvelles responsabilités ; pas le seconds…
Dans un second temps, Mme Guillén et M. Korotov ont soumis d’autres questionnaires aux mêmes 194 étudiants, histoire de découvrir comment ils s’y étaient pris lorsqu’ils ont dû assumer leurs premiers postes à responsabilités. Ils leur ont demandé, entre autres, de dresser la liste des 10 caractéristiques principales d’un leader qu’ils ont connu au début de leur carrière, et de noter celles-ci de 1 à 5 (5 étant la meilleure note) ; puis, ils leur ont posé la question à propos d’eux-mêmes.
«Les gens ne savent pas a priori comment s’y prendre pour agir comme un leader, car ils n’existe pas de recette écrite et éprouvée pour ça. C’est pourquoi nombre d’entre eux utilisent la même méthode, de manière plus ou moins consciente, qui consiste à s’inspirer des hauts dirigeants en place dans leur entreprise, d’observer et d’analyser en douce tout ce que font et disent ces modèles relativement proches», indiquent les chercheurs dans leur étude.
Bref, on a tous tendance à se comparer à des leaders que l’on côtoie. Et par suite, à imiter certains de leurs faits et gestes, dans l’espoir de réussir comme eux. En passant, ce travail leur a permis d’identifier les neuf attributs de tout grand leader : 1. La capacité de gérer un groupe de personnes;
2. La faculté d’influencer les autres;
3. L’intégrité;
4. La recherche obstinée d’un résultat;
5. Une énergie communicatrice;
6. Une volonté ferme;
7. La capacité de créer des réseaux;
8. La pensée stratégique;
9. Le goût du changement.
Enfin, un talent très apprécié chez un leader est le souci d’aider les autres à grandir eux aussi, tant sur le plan personnel que professionnel.
De tout cela, il ressort que le leadership est intrinsèquement lié à l’identité d’une personne. Ce qui signifie que tout le monde peut, un jour ou l’autre, agir comme un leader, mais que certains apprécieront plus que d’autres jouer ce rôle. De surcroît, il semble que bien souvent l’habit fait le moine, c’est-à-dire que, vous comme moi, nous seront alors disposés à modifier notre attitude et nos pensées pour agir comme un leader, et ce, en s’inspirant de proches qui assument déjà de hautes responsabilités. Nous nous choisirons un modèle et tenterons, dans la mesure de nos capacités, à l’imiter.
Alors, envie maintenant d’imiter Captain America pour relever tous les défis à venir?
Plus sérieusement, Mme Guillén et M. Korotov préconisent trois stratégies pour renforcer la MTL de tout un chacun :
1. L’imitation d’un modèle n’a rien de mauvais en soi, mais si cela est fait tout seul dans son coin, en cachette, cela risque de ne pas bien fonctionner. Il manque la dimension du feedback. Une meilleure méthode est donc de demander directement au modèle choisi d’agir comme mentor.
2. Le nouveau leader doit gagner en confiance. Pour cela, il peut lui être bénéfique d’avoir, au moins au début, le droit à l’erreur. Sans quoi, il risque de se croire enfermé dans un carcan trop étroit pour lui pour exprimer tout son potentiel. Et il peut aller de désillusion en désillusion. Le mieux est alors de recourir à différentes méthodes pour le faire se sentir à l’aise dans ses nouvelles focntions, comme de lui donner tout le soutien nécessaire ou des formations adéquates.
3. Il faut donner envie aux employés d’assumer de nouvelles responsabilités, et donc instaurer une culture de l’entrepreneurship. Cela peut se faire de différentes façons, à l’image d’opérations de communication internes expliquant qu’il y a des défis palpitants à relever et qu’il y a de grands avantages à se proposer de les relever en tant que leader. L’idée est de prôner l’esprit d’initiative.
Le poète grec Eschyle disait : «Les dangers de la vie font sa valeur. Le héros est celui qui relève le gant quand toutes les chances sont contre lui»…
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