BLOGUE. La mort est partout autour de nous, et frappe parfois de très près. Hier, c’était une célébrité politique aimée d’à peu près tout le monde, même si tous n’étaient pas d’accord avec son idéologie : Jack Layton, le chef de l’opposition officielle du Canada.
Qui n’a pas été attristé par son décès? Qui n’a pas eu une pensée pour ses proches et pour sa famille politique? Qui n’a pas songé : «Le voilà parti, mais au moins, il a eu une vie bien remplie, marquée de succès dont lui et les siens peuvent être fiers»? Ce qui m’a fait me demander : «Au fond, c’est quoi, une vie réussie?»…
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La réponse se trouve peut-être dans un discours qu’a récemment tenu Michael Jensen, professeur émérite de la Harvard Business School, devant les étudiants de la McDonough School of Business, à Washington. Ce discours est intitulé The three foundations of a great life, great leadership, and a great organization.
De quoi s’agit-il? D’un résumé de l’ensemble de son travail de recherche sur le leadership, accompli durant la dernière décennie avec son confrère Werner Erhard. Rien de moins. Il a lu tout ce qui s’est écrit sur le sujet, mené ses propres expériences, mûri certaines idées en particulier, analysé quantité de concepts, et a abouti à une conclusion ébourriffante sur la notion de leadership : tout grand leader doit sa réussite à seulement trois qualités fondamentales, à savoir l’intégrité, l’authenticité et la passion. Et cela est valable pour plus que la réussite professionnelle, oui, cela vaut aussi pour la vie familiale, ou encore la vie en société.
1. L’intégrité. Il ne s’agit pas seulement de la notion habituelle, synonyme de valeurs morales et d’éthique. Non, il est ici aussi question, dans l’esprit de M. Jensen, de la notion d’entièreté, c’est-à-dire de ce qui fait qu’on est entier dans ce que l’on fait, ou si l’on veut, du fait qu’on se donne à fond dans ce qu’on entreprend.
Les deux chercheurs ont établi une Loi de l‘intégrité, qui stipule que si l’intégrité baisse, la productivité va suivre la même tendance, et par conséquent la performance va péricliter. Et inversement. Formulé plus simplement, ça donne : «Sans intégrité, rien ne fonctionne».
Si l’on élargit la Loi à d’autres domaines que la vie professionnelle, on constate que celle-ci se vérifie tout aussi bien. «Quelqu’un qui a une intégrité élevée dans sa vie de famille ressent une joie de vivre certaine, une joie de vivre communicatrice», dit M. Jensen.
Maintenant, comment faire preuve d’intégrité, du moins tel que l’entend le professeur émérite? Cela peut se faire aisément, ne serait-ce qu’en «tenant sa parole» : «dans le cas où vous avez fait une promesse et où vous réalisez que, pour une raison X ou Y, vous ne pourrez malheureusement pas la tenir, il vous faut alors avertir les personnes concernées de votre défaillance ainsi que prendre vos responsabilités pour tout ce que cela va impliquer comme fâcheuses conséquences», illustre-t-il.
Les avantages à se montrer intègre sont multiples, d’après les deux chercheurs :
> Vous êtes en paix avec vous-même;
> Vous avez même la certitude d’être quelqu’un de bien;
> Vous ne vivez pas avec la crainte perpétuelle de perdre l’estime des autres;
> Vous n’avez pas à être toujours dans le vrai, il vous suffit d’agir avec humilité;
> Vous ne ressentez plus les commentaires des autres comme des attaques personnelles;
> Vous devenez un modèle inspirant pour les autres.
2. L’authenticité. Pour comprendre cette notion, il faut chercher à saisir son contraire, à savoir l’inauthenticité. L’air de rien, c’est plus facile. En effet, les exemples concrets d’inauthenticité sont à foison :
> Notre peur de ne pas être conséquent avec ce que l’on dit;
> Notre besoin pathétique de vouloir toujours bien paraître aux yeux des autres;
> Notre souci maladif d’être perçu par les autres comme quelqu’un de loyal;
> Etc.
Tout cela nous pousse à faire des choses que nous ne devrions pas faire, comme de chercher à dissimuler certaines erreurs ou faiblesses. Et donc, à ne pas nous montrer à autrui tel que nous sommes en réalité, à sans cesse tenter de nous faire plus grand et plus fort que nous ne sommes.
On le voit bien, le plus difficile, c’est d’admettre ces travers plus ou moins grands que nous avons tous, vous comme moi. Et c’est justement ce qui fait les grands leaders : eux ont le courage de se regarder en face dans le miroir et de fixer le méchant point noir qui vient d’émerger sur le côté de leur nez, puis de réfléchir froidement au meilleur moyen de le faire partir de là ; alors que nombre d’entre nous nous précipiterions sur n’importe quelle crème épaisse pour essayer de le dissimuler, au lieu de chercher à l’éradiquer. Pas vrai?
«Si vous n’avez pas le cran d’être authentique face à vous inauthenticités, jamais vous ne parviendrez à être en paix avec vous-même, et jamais vous ne parviendrez à devenir un véritable leader», dit Michael Jensen.
Et le chercheur d’enfoncer le clou en reprenant une citation tirée de Authentic Leadership de son collègue de Harvard Bill George : «Après des années d’étude des caractéristiques des leaders, j’en suis venu à la conclusion que le leadership se résume tout bonnement à l’authenticité»…
3. La passion. M. Jensen n’utilise pas à proprement parler ce terme-là, il utilise en réalité la phrase suivante : Being commited to something bigger than oneself. Je sais qu’il y a quelques nuances, mais je pense que le mot «passion» y correspond grosso modo.
De fait, le professeur explique qu’il veut ainsi exprimer l’idée qu’un vrai leader se doit d’avoir une vision et une ambition qui dépassent ses propres intérêts, qui visent l’atteinte d’un rêve capable d’emballer les autres. Et pour y parvenir, il faut être passionné par ce que l’on entreprend. «Sans une telle passion, vous ne serez jamais à même de persévérer en dépit des difficultés rencontrées en chemin. Quand rien ne va, il semble qu’il n’y ait aucune solution simple, aucune aide, aucune sortie de secours, et on réalise que le seul moyen de s’en sortir, c’est de puiser en soi la force nécessaire pour continuer et réussir. C’est comme cela que l’on peut soulever des montagnes», dit M. Jensen.
La passion est ainsi un moteur formidable, un moteur d’autant plus incroyable qu’il produit sa propre énergie! «Elle permet au dirigeant d’entreprise de ne pas tenir compte de ce petit ordre qu’envoie le cerveau dans certaines situations : «Mange le Chamallow!», qui ne vise qu’à la satisfaction immédiate», illustre le professeur de Harvard, en faisant référence à une fameuse expérience sur la capacité des enfants à résister, ou non, à la tentation de dévorer le Chamallow déposés sous leur nez…
Maintenant, revenons à notre point de départ, Jack Layton. A-t-il eu une vie réussie? Si l’on applique la grille d’analyse des professeurs Jensen et Erhard, cela ne fait aucun doute : il était indubitablement un être intègre, en ce sens qu’il était entier dans ce qu’il faisait ; il était aussi authentique, puisqu’il tenait sa parole et savait reconnaître ses erreurs ; enfin, il était passionné par la politique, à tel point qu’il n’a cédé les rênes de son parti politique que quelques semaines avant son décès. Oui, sa vie a combiné intégrité, authenticité et passion. Il était donc un leader avéré, voire un grand leader. Et sans nul doute, un homme qui a connu la réussite.
Et vous? Considérez-vous que vous êtes sur la voie de la réussite? Si vous deviez décéder demain, estimeriez-vous que votre vie a été réussie?
Et pour aller plus loin dans la réflexion, croyez-vous qu’il vous manque aujourd’hui grand-chose pour vous mettre sur la voie d’une vie réussie?
Une petite citation pour finir, tirée de Homme et surhomme de l’écrivain irlandais George Bernard Shaw : «Il y a deux tragédies dans la vie. L'une est de ne pas obtenir ce que l'on désire ardemment, et l'autre de l'obtenir»…
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