En feuilletant hier de vieux magazines que j’ai la fâcheuse habitude d’entasser ici et là, j’ai mis la main sur une véritable perle rare. Une photo a tout d’abord attiré mon attention, inévitablement : une jeune femme blonde était alanguie sur un sofa, les pieds nus, en train de faire semblant de taper quelque chose d’important sur son ordinateur portable. Mais il ne s’agissait pas de n’importe quelle pitoune, c’était nulle autre que Marissa Mayer, l’actuelle pdg de Yahoo!, qui occupait à l’époque - en 2006 - les fonctions de vice-présidente, innovation, de Google. Et était, toujours à ce moment-là, la blonde de Larry Page, l’un des cofondateurs de Google.
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Mme Mayer était alors, on le voit bien, au coeur de l’action, plus précisément le pivot de la créativité chez Google. C’était à elle que les ‘Googlers’ exposaient leurs idées, et c’était à elle qu’il revenait la tâche de les coacher pour les aider à les réaliser. Rien de moins. D’où mon vif intérêt à la découverte de cette brève entrevue qu’elle avait accordée à ce magazine. Un intérêt comblé outre mesure, comme vous allez vite vous en rendre compte.
Ainsi, l’entrevue démarrait par l’incontournable question sur l’efficacité des 20% de leur temps de travail que les employés de Google pouvaient consacrer à des projets personnels. (Rappelons-nous que tout le monde ne parlait que de ça, il y a une dizaine d’années de cela.) Et là, au lieu de sortir une fois de plus la ritournelle selon laquelle les projets les plus novateurs de Google étaient nés grâce à cette politique managériale, Mme Mayer a répondu par une révélation : «L’idée est venue de Larry. Il avait observé que les professeurs d’université consacraient quatre jours par semaine à l’enseignement et le cinquième à leurs recherches personnelles. Nous avons appliqué ce système chez nous, à cette différence près que chacun pouvait organiser son temps comme il le souhaitait : consacrer une journée par semaine à son projet ou s’y atteler deux semaines d’affilée».
Par conséquent, l’inspiration de Google pour l’une de ses idées les plus marquantes en matière de management ne sortait pas de leurs cerveaux, mais d’un simple copier-coller de pratiques courantes en université. C’est-à-dire du milieu dans lequel ont baigné Larry Page et Serguei Brin avant de fonder leur start-up. Tout bonnement.
Ce n’est pas tout. Mme Mayer poursuit comme suit : «Trois fois par semaine, je consacre 90 minutes de mon temps à recevoir les employés qui ont une idée à exposer. Là encore, je me suis inspirée de la souplesse de l’université, où les élèves peuvent échanger avec leur professeur, de façon informelle, pendant cinq ou dix minutes à la fin du cours. Chez Google, le même principe me permet de recevoir de 11 à 13 personnes en une journée, soit une trentaine de personnes par semaine».
Wow! Une fois de plus, Google s’est inspirée de ce qui se fait couramment à l’université. Marissa Mayer récoltait ainsi les meilleures idées en les glanant au passage, à l’aide de simples rencontres de 5 à 10 minutes avec les employés qui étaient convaincus d’avoir une idée géniale, une idée qui méritait à leurs yeux d’être développée, voire concrétisée. Bref, le truc, c’était pour elle d’être à l’écoute, sans filtre. Et surtout, sans jugement immédiat, car il n’y a rien de plus efficace pour tuer une idée.
«Je défends le concept ‘d’erreur courageuse’, expliquait-il dans l’entrevue. Car si vous faites une erreur, ça signifie avant tout que vous faites quelque chose! Ce qui est extrêmement positif. Le fait de ne pas punir les erreurs encourage donc les gens à se jeter à l’eau. Un geste indispensable en matière d’innovation.»
Bien. Mais comment s’y prenait-elle, au juste, pour concrétiser une idée qui lui paraissait judicieuse? «L’important est de ne pas multiplier les procédures inutiles, de ne surtout pas micromanager, a-t-elle répondu. Chez nous, on compte en moyenne un manager pour 40 employés, alors que le rapport est souvent d’un manager pour 7 à 20 employés. Ce qui fonctionne chez nous à merveille, je le souligne, parce que nous employons des personnes autonomes, hautement qualifiées et qui ont par conséquent moins besoin que d’autres d’être managées.»
Et d’ajouter : «C’est bien simple, nous travaillons par projets transversaux, en équipes de 2 à 6 personnes, ce qui permet de multiplier les pistes d’innovation. Chaque équipe dispose alors de six semaines pour apporter la preuve de la pertinence de poursuivre son projet à une plus large échelle, sans quoi il est abandonné.»
Voilà. Dans cette entrevue, Marissa Mayer dévoilait, l’air de rien, le secret du succès de Google. L’idée centrale était qu’il suffisait de copier certaines pratiques courantes du milieu universitaire - accorder une journée par semaine à chacun pour plancher sur un projet personnel, accorder cinq minutes aux étudiants à la fin d’un cours afin d’écouter leurs idées,... - pour favoriser l’émergence d’idées neuves au sein de la firme de Mountain View. Bref, il suffisait de prendre pour modèle un milieu foisonnant d’idées, de décortiquer son mécanisme et de s’en inspirer directement. Et le tout était joué!
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
> Qui entend foisonner d’idées neuves à l’image de Google se doit de s’inspirer de ses jeunes années passées à l’université. De se rappeler comment les idées géniales y naissaient, souvent du choc de deux idées hétérogènes, voire conflictuelles. De se souvenir comment les idées y étaient partagées, souvent lors des débats sans fin au pub du coin. De se remémorer encore comment les idées les plus intéressantes y étaient concrétisées, souvent par l’entremise de projets menés avec passion par deux ou trois complices. Bref, il lui faut remonter dans le temps et identifier très précisément ce qui faisait que les idées étaient reines, pour appliquer ensuite tout cela au sein de son équipe de travail
En passant, le philosophe français Jean Guitton a dit dans son Nouvel art de penser : «Étudiant, voilà bien un titre qu’on ne dépose qu’au tombeau.»
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter