Le leadership. Quel n'est pas le manager qui ne se fait pas juger, de nos jours, sur ce seul critère? Une erreur, une bévue, ou même un échec de son équipe, et voilà qu'on le blâme personnellement, en glissant au passage que cela résulte sûrement de son manque de leadership. «Su tu étais un vrai leader, ça ne serait jamais arrivé!», se fait-il alors dire. Je suis sûr que vous avez déjà eu vent d'une telle mésaventure professionnelle, directement ou indirectement.
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Mais voilà, est-ce si vrai que ça? Le leadership d'un manager peut-il bel et bien faire une vraie différence? Et en particulier, lorsque l'équipe est confrontée à de grandes difficultés? Pas facile à dire a priori : certains seront tentés de dire que oui, et citeront de célèbres exemples qui leur paraissent incontestables (ex.: Steve Jobs lorsqu'il a sorti Apple de la panade) ; et d'autres que non, et citeront des exemples où des leaders réputés n'ont fait qu'aggraver une situation difficile (ex.: John Sculley lorsqu'il a viré Steve Jobs d'Apple à la suite de l'échec commercial de la deuxième génération de Mac).
La bonne nouvelle du jour, c'est que j'ai mis la main sur une étude qui permet d'y voir plus clair à ce sujet. Une étude passionnante intitulée Communication, leadership, and coordination failure et signée par trois professeurs de l'École d'économie de l'Université de Nottingham (Grande-Bretagne) : Lu Dong, Maria Montero et Alex Possajennikov. Oui, passionnante, comme vous allez le voir...
Les trois chercheurs se sont demandé si un leader digne de ce nom était vraiment en mesure de venir en aide à une équipe qui allait de revers en revers. Et pour s'en faire une idée, ils ont procédé à une petite expérience. Ils ont demandé à 252 volontaires de se prêter à un jeu très simple.
Chacun apprenait qu'il faisait partie d'une petite équipe dont le nombre de membres était variable, puis était invité à prendre place dans un cubicule, face à un ordinateur. Il lui fallait alors prendre une série de 10 décisions, sachant que tous les autres membres de son équipe prenait au même moment le même type de décision que lui. Quelles décisions? Eh bien, il devait indiquer, sous forme de points, la quantité d'énergie qu'il investissait dans la réalisation d'un projet commun, après avoir été informé du fait que :
> Son objectif personnel consistait à glaner le plus de points possible. (Le montant final de ses points était, à la toute fin, converti en espèces sonnantes et trébuchantes.)
> Si les membres d'une équipe investissaient beaucoup ensemble en même temps, ils gagnaient chacun plus de points que ce qu'ils avaient misé. Cela étant, le gain ainsi enregistré n'était pas si élevé que ça, ce qui pouvait amener les uns et les autres à penser que fournir beaucoup d'efforts n'était pas si payant que ça.
> Si certains membres d'une équipe n'investissaient pas beaucoup, l'effort des autres se révélait improductif, en ce sens qu'ils ne gagnaient pas plus de points que ce qu'ils avaient misé, et pouvaient même en arriver... à en perdre!
On le voit bien, ce petit jeu était on ne peut plus stratégique. Car l'idéal était en théorie de fournir peu, ou pas, d'effort pendant que les autres donnaient leur 110% : si cela fonctionnait, le joueur égoïste sortait grand gagnant de la partie. Mais il s'agissait là d'un idéal qui souffrait d'une exception : si tout le monde donnait son 110% tout le temps, alors là, chacun empochait le maximum. Dure dilemme, n'est-ce pas?
Ce n'est pas tout. Les participants n'étaient pas tous placés dans les mêmes conditions :
> Parleur. Certaines équipes étaient dotées d'un leader 'Parleur'. C'est-à-dire que l'un des membres de l'équipe était désigné au hasard comme étant le leader du groupe. Et il lui fallait indiquer aux autres, à chaque début de tour de jeu, combien d'énergie il comptait dépenser dans le projet commun, sachant qu'il était nullement obligé de tenir sa promesse.
> Faiseur. Les autres équipes étaient dotées d'un leader 'Faiseur'. C'est-à-dire que l'un des membres de l'équipe était désigné au hasard comme étant le leader du groupe. Et il lui fallait indiquer aux autres, à chaque début de tour de jeu, combien d'énergie il dépensait au juste dans le projet commun.
Bref, cette expérience correspondait au jeu du moindre effort : gagne celui qui en fait le minimum, mais pourvu que les autres triment pour rien pendant ce temps-là. Un jeu vicieux puisqu'il amène chacun à y réfléchir à deux fois avant de donner son 110%. Un jeu qui permet, en fait, de voir si un leader peut, ou pas, faire une vraie différence dans ce genre de situation pénible que nous avons tous déjà connu, au moins une fois, au bureau.
Résultats? Tenez-vous bien :
> Une situation propice aux spirales infernales. À partir du moment où plusieurs membres d'une équipe se mettent à fournir peu ou pas d'effort dans le projet commun, on entre dans une spirale infernale. Dès lors, plus personne, ou presque, ne met l'épaule à la roue, et tout s'effondre irrésistiblement. Tout le monde file à toute allure droit dans le mur.
> Un véritable 'Mission : Impossible'. Le leader a beau faire tout son possible pour relancer la machine, seulement de 30 à 40% des équipes voient certains de leurs membres décupler leurs efforts juste après avoir constaté sa bonne volonté. Le hic? C'est que cela ne suffit pas pour changer le cours des choses : il aurait fallu que toute l'équipe y croit, pas seulement une poignée de ses membres. Du coup, après un sursaut d'espoir, le désespoir gagne chacun, et tout s'écroule. À noter, toutefois, un détail intéressant : des deux, le leader 'Faiseur' semble un poil plus efficace, même si cette différence ne change rien au final.
> La faute au mouton noir, mais... «À qui la faute?» L'interrogation survient à chaque échec, souvent sous forme larvée. Les trois chercheurs se la sont, bien entendu, posée. Et ils ont trouvé que ce qui grippe vraiment le mécanisme, c'est la présence systématique d'un mouton noir, c'est-à-dire d'un membre qui refuse catégoriquement de donner son 110% dans le projet commun, pour ne pas dire d'un tire-au-flanc. Oui, de quelqu'un qui calcule soigneusement son coup pour sortir systématiquement 'gagnant' par rapport aux autres : peu importe, à ses yeux, qu'il gagne peu pourvu que les autres, pendant ce temps-là, gagnent nettement moins que lui, voire perdent en comparaison avec ce qu'ils avaient auparavant.
Cela étant, la faute ne revient pas qu'au mouton noir. Non. Le leader a également sa part de responsabilité. Pourquoi? Eh bien, les trois chercheurs ont noté que rares ont été ceux qui ont montré l'exemple aux membres de leur équipe : la plupart des leaders se sont révélés calculateurs dans leur façon de dépenser leur énergie dans le projet commun, ce que les autres ont vite repéré, et ce qui a miné toute la sympathie dont ils bénéficiaient a priori. Une attitude - j'en suis convaincu - que vous avez sûrement déjà vu au travail : lorsqu'un projet s'en va à vau-l'eau, chacun pense avant tout à s'en sortir sans trop de dommages, y compris le leader. Pas vrai?
Voilà. Des résultats passionnants, comme je vous l'avais dit. Parce qu'ils poussent de toute évidence à l'humilité : croire être en mesure de toujours faire une différence lorsqu'on est un manager est se fourvoyer en beauté. Ni plus ni moins.
Que retenir de tout cela, à présent? Ceci, à mon avis :
> Qui entend faire une vraie différence en tant que manager se doit non seulement de faire preuve de la plus grand humilité, mais aussi se donner corps et âme au projet commun. Il lui faut littéralement se mettre au service des autres, sans jamais chercher à en tirer le moindre profit personnel. Car le moindre calcul de sa part est vite perçu par les autres, ce qui sabote le moral de l'équipe, et par suite les chances de réussite du projet en question. Il lui faut, donc, avoir conscience qu'il sert de point de focale pour les autres, et que c'est en fonction de la mise au point de chacun sur lui qu'ils agiront. Et ce, tout en faisant fi du fait que la situation est peut-être désespérée, et que tous ses efforts ne suffiront pas à changer quoi que ce soit (surtout si un mouton noir bêle dans son dos) : c'est qu'il convient de demeurer optimiste envers et contre tout, en se répétant qu'il ne s'est jamais vu de victoire sans défaites.
En passant, le poète romain Catulle disait : «La victoire aime l'effort».
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