Isaac Asimov, vous connaissez? C'est un auteur de science-fiction du XXe siècle qui a signé des œuvres majeures comme, entre autres, Le Cycle de Fondation (une série d'histoires imaginant l'avenir de l'humanité) et Le Cycle des robots (une série d'histoires mettant en vedette des humanoïdes). C'est surtout un véritable prodige, à l'imagination débordante, qui a su voir avant tout le monde ce à quoi allait ressembler demain. Oui, un homme dont l'influence est aujourd'hui considérable, mais insoupçonnée : un exemple frappant est l'aveu de Paul Krugman, lauréat du "prix Nobel" d'économie en 2008, qui a reconnu être devenu économiste juste parce que cette discipline était celle qui ressemblait le plus à la psychohistoire, une science développée par Isaac Asimov dont le but était de prévoir l'Histoire à partir de la statistique et de la psychologie.
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Pourquoi est-ce que je vous parle de lui aujourd'hui? Parce que le magazine américain MIT Tech Review a réussi à mettre la main sur une rareté, à savoir un texte inédit d'Isaac Asimov. Un texte, comme vous allez le voir, d'une valeur inestimable pour qui se pique de créativité.
Une petite mise en contexte s'impose… En 1959, la firme de recherche Allied Research Associates (ARA), établie à Boston (États-Unis), planchait pour le compte de l'armée américaine sur la conception d'un bouclier antimissile. Elle avait carte blanche – notamment en matière de dépenses – pour mettre au point un tel système défensif, encore jamais conçu. Arthur Obermayer, l'un des scientifiques de l'ARA, se souvient que les chercheurs avaient alors stressé énormément à cause de cette liberté entière pour innover : ils ne voyaient pas comment s'y prendre pour trouver une idée totalement neuve, que personne n'avait encore jamais eue.
C'est à ce moment-là que M. Obermayer a eu un coup de génie : il s'est dit qu'il serait bon d'inviter à ami hypercréatif pour les guider dans leurs réunions. Et cet ami, vous l'avez deviné, c'était Isaac Asimov, ce drôle d'hurluberlu qui passait son temps à rédiger des livres de science-fiction.
L'écrivain a ainsi participé à plusieurs réunions, mais lorsqu'il a saisi l'importance stratégique du mandat confidentiel de l'ARA, il s'est vite retiré du projet : il craignait, en effet, d'en savoir trop et de ne plus pouvoir parler par la suite de tout ce qu'il voulait dans ses livres. Mais il n'a pas planté l'équipe là, non, il lui a laissé des directives pour trouver des idées neuves. Des directives que je vais maintenant partager avec vous, en les présentant sous forme de lois.
Pourquoi des lois? Tout bonnement parce qu'Isaac Asimov était le père des fameuses lois de la robotique (un terme qu'il a inventé, soit dit en passant), des lois a priori parfaites et inviolables, qui visent à protéger les êtres humains des robots de demain :
> Loi 1 - «Un robot ne peut porter atteinte à un être humain, ni laisser un être humain exposé au danger».
> Loi 2 - «Un robot doit obéir aux ordres donnés par un être humain, sauf si de tels ordres sont en contradiction avec la Loi 1».
> Loi 3 - «Un robot doit protéger son existence dans la mesure où cette protection n'entre pas en contradiction avec les lois 1 et 2».
Bon. Voici donc à présent les trois lois fondamentales de la créativité, selon Isaac Asimov…
> Loi 1 – Réunir des experts et des excentriques tu dois
Une idée neuve n'est jamais une idée sui generis, considère M. Asimov. C'est-à-dire qu'elle ne vient jamais "de nulle part", comme on le croit trop souvent, à tort. En vérité, elle découle toujours du croisement de deux "vieilles" idées, soit de deux idées existantes mais qui, isolément, ne semblaient pas particulièrement intéressantes.
C'est pourquoi, si l'on veut trouver une idée vraiment neuve, il faut permettre aux "vieilles" idées hétéroclites de se rencontrer, et par suite favoriser leur croisement. Il convient par conséquent de regrouper dans un même espace de travail des personnes aux idées hétéroclites. «L'idéal est de réunir à la fois des experts et des excentriques, sachant qu'une personne excentrique est une personne qui a une solide connaissance du sujet en question, mais dont les habitudes de pensée et de comportement divergent de la norme (attention toutefois à ne pas confondre un excentrique et un cinglé!)», dit-il.
À noter qu'Isaac Asimov estime qu'un groupe chargé d'innover ne doit pas être composé de beaucoup de personnes. «Je considère qu'un tel groupe ne devrait pas être formé de plus de cinq personnes. Car au-delà, l'échange d'informations devient trop complexe pour être fluide : par exemple, chacun se doit alors d'attendre pour prendre la parole, ce qui est vite frustrant», avance-t-il.
> Loi 2 – Encourager la stupidité tu dois
Pour innover, il faut disposer d'une ambiance de travail particulière, propice à l'originalité : «Chacun doit se sentir bien, relax, libre d'être lui-même. Chacun doit évoluer dans une atmosphère empreinte de permissivité, où l'on peut dire et faire à peu près n'importe quoi. Pourquoi? Parce que trop souvent le regard des autres, ou l'appréhension de celui-ci, fige les personnes créatives, et tue ainsi dans l'œuf les idées neuves», indique-t-il.
Il faut donc encourager chacun à se montrer, à l'occasion, stupide. C'est-à-dire libre de partager avec les autres ce qui lui passe par la tête, sans frein, sans risque d'être ouvertement désapprouvé par autrui. «À mes yeux, il est nécessaire d'écarter du groupe les personnes dites sérieuses, qui n'apprécient pas à leur juste valeur ceux qui osent se montrer stupides. Et ce, même si ces personnes-là sont des puits de savoir ou des leaders nés qui ont fait mille fois leurs preuves. Car leur froideur à l'égard des excentriques et de leurs excentricités est dévastatrice pour l'innovation», préconise-t-il.
Une telle ambiance de travail est relativement aisée à mettre en place, d'après Isaac Asimov. «Il suffit d'inciter implicitement à la jovialité. Chacun doit pouvoir appeler les autres par leur prénom, leur faire des blagues, et même les taquiner, je pense. Bien entendu, les idées neuves ne naîtront pas de ces blagues-là, mais cela créera les conditions nécessaires à leur émergence. Car il ne peut y avoir de créativité sans une once de folie», soutient-il.
> Loi 3 – Se doter d'un facilitateur tu dois
On vient de le voir, un leader classique ne peut être efficace au sein d'une telle équipe. Il n'y est même pas pertinent. D'où l'intérêt de confier les rênes à une toute autre personne : le facilitateur.
«La personne responsable de l'équipe chargée d'innover doit assumer un rôle proche de celui du psychanalyste. Elle doit veiller à poser de bonnes questions, soit des questions qui ne visent pas limiter le champ des possibles mais plutôt à l'élargir. Elle doit faire attention à interférer le moins possible dans les décisions prises et les actions qui s'ensuivent. Elle doit aider chacun à cheminer sur la voie qu'il a empruntée, quelle que soit cette voie, jusqu'à ce qu'il arrive là où il devait arriver», explique-t-il.
Ce n'est pas tout. Cette même personne ne peut pas se contenter du rôle de psychanalyste, il lui faut également agir en tant qu'arbitre. «Cette personne doit être tout le temps présente, elle doit dompter la bête afin d'éviter les débordements, elle doit poser les questions qui dérangent, elle doit faire des commentaires judicieux et elle doit s'assurer que personne ne change de cible en cours de route. Elle doit se comporter en arbitre, soit en gardien des valeurs et des règles», ajoute-t-il.
Le leader doit donc être à la fois un psychanalyste et un arbitre. Pas facile, certes, mais pas impossible non plus. On pourrait en effet croire que ces deux rôles sont contradictoires, l'un devant grosso modo se montrer passif et l'autre actif. Mais c'est plus subtil que ça : on peut combiner les deux si l'on se perçoit comme un facilitateur.
Un facilitateur? Il s'agit d'une personne qui, au lieu de dire aux uns et aux autres ce qu'ils doivent faire et comment le faire, va vers chacun avec une rengaine : «Que puis-je faire qui te permettrait d'atteindre le but que tu vises?». C'est quelqu'un qui, le plus simplement du monde, se met au service des autres, sans aucune attente de retour. Mais un serviteur intelligent, en ce sens qu'il ne se contente pas d'obéir : il s'attache à trouver la meilleure façon de venir en aide à chacun, et mieux, de contribuer à son épanouissement.
Voilà. Si vous respectez scrupuleusement ces trois lois, les idées neuves devraient se mettre à fleurir tout autour de vous sans tarder. Isaac Asimov en était convaincu. Et il semble bien que l'Histoire lui ait donné raison…
Ainsi, les chercheurs de l'ARA ont planché, à l'époque, sur «un bouclier antimissile recourant, entre autres, à l'antigravité, à l'antimatière et à des armes à radiation qui serait fonctionnel dans les années 1970 ou 1980». Oui, ils pensaient le plus sérieusement du monde recourir à des inventions de science-fiction, comme des champs de force antigravitationnels et des rayons lasers destructeurs, pour empêcher tout missile étranger de frapper le sol américain. Le but initial n'a certes pas été atteint, mais les avancées scientifiques qui en ont découlé plus ou moins directement ont été renversantes. Dans les années 1980, le président Reagan a lancé le programme d'Initiative de défense stratégique (IDS), dit Guerre des étoiles : il s'agissait d'empêcher toute frappe russe à l'aide de satellites dotés de lasers. Ce programme n'a jamais vu le jour, car l'URSS s'est effondrée peu de temps après, mais il était le signe que les travaux des chercheurs de l'ARA avaient bel et bien porté fruits.
En passant, la première dame des États-Unis Eleanor Roosevelt aimait à dire : «Le futur appartient à ceux qui croient à la beauté de leurs rêves».
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