Les robots. Soyons honnêtes, nous peinons à les imaginer comme des collègues, du moins dans un proche avenir. La simple idée d’avoir un androïde comme voisin de bureau nous fait doucement sourire, tant cela nous semble être de la science-fiction. Mais voilà, peut-être nous fourvoyons-nous en beauté…
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Martin Ford, un futuriste réputé qui est diplômé de l’École de management Anderson de l’Université de Californie à Los Angeles (Etats-Unis), vient tout juste de lancer un livre intitulé Rise of the robots : Technology and the threat of a jobless future (Basic Books, 2015). Il y explique en substance que l’avènement des robots est nettement plus proche que ce qu’on imagine, tant les avancées technologiques actuelles sont prodigieuses (intelligence artificielle, etc.) et ne cessent de s’accélérer dans le temps. Demain, avance-t-il, nombre d’emplois vont être menacés, alors que nous ne le soupçonnons même pas encore : il cite, entre autres, les juristes, les journalistes, les chirurgiens, les employés de la restauration rapide, les commis de bureau et même les programmeurs. «Beaucoup de ‘bons emplois’ comme nous les désignons aujourd’hui vont, en un clin d’œil, devenir obsolètes pour les humains, tant la performance des robots en la matière sera sans égal. Et ce, tant pour les cols bleus que pour les cols blancs», affirme-t-il.
«Notre ère va être caractérisée par un changement fondamental de la relation entre les employés humains et les robots. Ce changement bouleversera toutes nos croyances envers la technologie : pour l’heure, nous considérons les machines comme des outils susceptibles d’améliorer la productivité de l’être humain ; mais là, nous allons voir que les machines se transformer en employés et très vite prendre la place des humains, devenus ‘inutiles’», dit-il. Et d’avertir, le plus sérieusement du monde : «Le cercle vertueux qui avait vu la productivité des humains bondir grâce à la technologie va dès lors se muter en cercle vicieux, si bien que les salaires et la consommation – les deux piliers de notre économie – vont s’effondrer».
Scénario catastrophiste ? Comme on en a, d’ailleurs, vu tant d’autres par le passé, chaque fois, en fait, qu’une avancée technologique était enregistrée ? Rappelons-nous… Dans les années 1810, des artisans (tondeurs, tricoteurs, etc.) britanniques se sont violemment révoltés contre l’emploi de machines, comme les métiers à tisser, craignant pour l’avenir de leurs métiers. Il s’agissait là d’une des formes de l’opposition acharnée à la révolution industrielle que connaissait alors la Grande-Bretagne. En un sens, ces artisans-là avaient raison de s’inquiéter pour leur avenir professionnel, car leurs métiers ont bel et bien disparu. Cela étant, ils avaient tort en ce sens que la meilleure réaction n’était pas la confrontation, mais l’adaptation à l’évolution : l’industrie du textile existe toujours de nos jours, bien entendu, et a toujours besoin de main-d’œuvre pour fonctionner. Par conséquent, l’avènement des robots va, semble-t-il, faire subir une nouvelle mutation à nos métiers, mais cela va-t-il pour autant se traduire par un effondrement économique ? Ne sommes-nous pas assez intelligent pour effectuer cette mutation au bon rythme, sans déclencher de catastrophe ? Oui, ne sommes-nous pas assez intelligent pour nous adapter, une fois de plus ?
Coïncidence, je suis justement tombé hier sur une étude passionnante à propos des robots, intitulée Robots : Curse or blessing ? A basic framework. Celle-ci est signée par – tenez-vous bien – nul autre que Jeffrey Sachs, l’économiste américain qui dirige l’Institut de la Terre de l’Université Columbia (Etats-Unis) et qui conseille les grands de ce monde, à l’image de Ban Ki-moon, le secrétaire général des Nations unies ; et par deux étudiants en économie de l’Université de Boston (Etats-Unis), Seth Benzell et Guillermo LaGarda. Son but est on ne peut plus simple : découvrir ce qui se passerait pour nos économies si les robots y prenaient davantage de place.
Les trois chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminer l’impact économique global des robots à mesure que ceux-ci prennent de l’importance dans la capacité de production – biens comme services – d’une société. Ils ont ainsi considéré que les robots avaient une particularité par rapport à l’être humain, à savoir qu’ils produisaient sans nécessiter de travail. Plus précisément, que les faire fonctionner ne coûtait, somme toute, quasiment rien, surtout quand on compare ça à tout ce qu’il en coûte de faire travailler un être humain (un exemple frappant : un employeur doit rémunérer un être humain durant ses temps de pause et ses congés, ce qui est nullement le cas pour les robots).
Ils ont également considéré que les êtres humains connaissaient deux grandes périodes durant leur vie. La première, c’est celle de la jeunesse, où l’on travaille, consomme et épargne ; la seconde, celle de la vieillesse, ou de la retraite, si vous préférez, où l’on ne fait que consommer. Simple et limpide, n’est-ce pas ?
Bien. Ils ont ensuite mis au point leur modèle de calcul à partir de ces postulats, et regardé ce qui se passait au fil du temps, à mesure que les robots prenaient de plus en plus d’importance dans la capacité de production de la société. À présent, accrochez-vous bien, car ce que cela leur a permis de découvrir est purement stupéfiant!
➢ En premier, le paradis sur Terre. L’espace d’une génération – comprendre une vingtaine d’années –, les êtres humains vivront une période de félicité que l’humanité n’a encore jamais connue. En effet, les robots prendront certes la place de certains employés dans certains secteurs, et ce sera pénible à vivre pour ceux-ci, mais une grande partie de ces employés-là trouveront le moyen de rebondir sur le plan professionnel, soit en changeant de métier, soit en assistant, d’une manière ou d’une autre (maintenance, etc.), les robots eux-mêmes. Mieux, une vaste majorité de la population verra son niveau de vie bondir de façon inouïe, car elle pourra s’acheter des biens et des services vendus à des prix ridiculement bas, en raison du fait que leur coût de production, grâce aux robots, aura chuté drastiquement. Bref, ce sera-là une période de faste qu’on peut à peine imaginer. Et cette période-là pourrait bel et bien survenir de notre vivant, à tout le moins du vivant de nos enfants.
➢ Ensuite, un enfer sans nom. En revanche, la donne sera complètement différente pour la génération suivante, ainsi que toutes les autres. À tel point que l’humanité plongera d’un coup dans un enfer sans nom. Pourquoi ? C’est malheureusement fort aisé à saisir : une fois la période de transition écoulée – le temps d’une génération –, oui, une fois que les robots occuperont une position dominante dans l’emploi, les êtres humains dans la première période de leur vie – la jeunesse – ne seront plus en mesure de travailler, et donc de consommer comme auparavant (y compris des biens et services vendus pour trois fois rien), et encore moins d’épargner pour leurs vieux jours. Résultat : le ciel leur tombera sur la tête, ce sera un enfer quotidien pour eux. Les seuls qui auront, un temps, la tête hors de l’eau, ce seront les retraités, ceux qui ne font que consommer.
➢ À moins que… Les trois chercheurs ont, bien entendu, regardé s’il n’y avait pas moyen d’éviter un tel drame. Ils en ont trouvé un. Ouf ! Lequel ? Eh bien, il faudrait que les gouvernements contraignent les retraités à partager leur richesse avec les autres. Par solidarité. Ou plutôt, par compassion, dirais-je, tant ceux-ci seraient dans une situation économique pathétique. À noter que ce partage serait conséquent, puisque cela correspondrait, selon le modèle de calcul de Sachs, Benzell et LaGarda, à forcer les retraités à se délester de… 70% de leur richesse !
On le voit bien, l’avenir semble loin d’être radieux pour notre civilisation, si nous continuons de miser sur la technologie comme nous le faisons actuellement. Car les robots pourraient bel et bien nous séduire, à force de nous enrichir de manière incroyable à court terme, au point de nous aveugler quant à la tournure horrifique que prendrait dès lors notre futur commun. Et ce, de manière quasi irrémédiable : «Nous sommes là en présence d’un véritable risque existentiel pour l’humanité», a d’ailleurs souligné à ce sujet Nick Bostrom, le philosophe suédois qui dirige l’Institut pour le futur de l’humanité de l’Université Oxford (Grande-Bretagne), dans une entrevue accordée le 2 mai au journal The Globe and Mail.
Faut-il trembler dès à présent ? Pour nous-mêmes ou pour nos enfants ? Et céder à la panique, en quittant tout au plus vie pour devenir propriétaire d’une ferme et s’arranger pour y vivre en autarcie, loin de toute technologie ? Non, bien sûr. La clé, me semble-t-il, c’est d’accepter l’évolution, puis d’évoluer soi-même. C’est-à-dire de saisir que les robots – sous forme de logiciels intelligents ou d’androïdes, peu importe – vont bousculer nos croyances les plus solidement ancrées en nous en matière de travail et d’emploi. Et d’agir en conséquence, en nous adaptant, du mieux possible. On peut imaginer, entre autres, que les robots feront mieux certaines tâches des journalistes (filmer un événement, enregistrer un son radio, écrire un texte,…), mais pas d’autres (recueillir de l’information sur le terrain,…), si bien que pour continuer de travailler dans cette branche, il faudra devenir ultra-spécialisé (reportage de terrain, enquête par infiltration,…).
Voilà. J’espère que je ne vous ai pas mis le moral à zéro. Des nuages peuvent poindre à l’horizon, c’est vrai, mais il n’appartient qu’à nous de ne pas attendre bêtement qu’ils viennent jusqu’à nous.
En passant, le philosophe roumain Emil Cioran a dit dans ses Syllogismes de l’amertume : «Espérer, c’est démentir l’avenir».
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