BLOGUE. Quand on pense aux potins, on pense tout de suite aux médisances, aux mesquineries glissées en douce à l'oreille des autres, toujours dans le dos de la personne concernée. Pourtant, tous les potins ne sont pas de ce genre : on l'oublie souvent, mais il y a des bruits qui courent parfois dans les bureaux qui ne visent pas à nuire. Par exemple, le bouche-à-oreille peut très bien fonctionner pour signaler qu'un collègue a fait un bon coup, ou bien a eu une promotion méritée ; et sa réputation au sein de l'entreprise va dès lors grandissante.
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La question est maintenant la suivante : existe-t-il un moyen de faire circuler davantage de "bons" potins et moins de "mauvais" potins? Autrement dit, de "positiver" les inévitables bruits qui circulent un peu partout?
La réponse se trouve dans une étude intitulée Utilities of gossip across organizational levels: Multilevel selection, free-riders, and teams, signée par Kevin Kniffin, chercheur en économie et prise de décision à l'Université Cornell (États-Unis), et David Sloan Wilson, professeur d'anthropologie et de biologie à l'Université Binghamton (États-Unis). Elle est très simple : oui, un tel moyen existe, et de surcroît, il est facilement applicable.
Ainsi, les deux chercheurs ont choisi d'étudier de près une équipe de sport, à savoir l'équipe d'aviron d'une université du Nord-Est des États-Unis (dont l'identité n'est pas dévoilée dans l'étude). Pourquoi elle? Essentiellement pour deux raisons : d'une part, les membres d'une telle équipe se retrouvent souvent ensemble (entraînement quotidien, etc.) et vivent, en un sens, dans une petite "bulle" qui leur est propre, comme une mini-communauté ; d'autre part, la chance a voulu qu'un événement particulier est survenu, favorisant les potins.
Quel événement? Eh bien, parmi les recrues du début d'année figurait ce que les deux chercheurs ont dénommé un «flemmard» (slacker). Cet étudiant faisait systématiquement moins d'efforts que les autres durant les entraînements, et ce, pendant la période préparatoire des compétitions ainsi que pendant la période de compétition. Il mettait moins d'entrain que les autres à aller s'entraîner, il forçait moins des bras sur sa rame, il mouillait moins son maillot que les autres, et donc, il nuisait à la performance de l'équipe.
Bien entendu, le flemmard est vite devenu l'objet de potins, c'est-à-dire, comme le définissent MM. Kniffin et Wilson, de «paroles négatives ou positives, informelles et fluctuantes, échangées par des membres d'un groupe à propos d'un des leurs». Surtout à partir du jour où, le coach ayant exceptionnellement demandé à chacun de participer à deux entraînements durant la même journée, il n'est pas venu au second, en disant qu'il était «trop fatigué» pour ça.
Comment les deux chercheurs ont-ils appris tout ça? De deux manières. Kevin Kniffin était l'un des membres de l'équipe d'aviron, et était donc relativement bien placé pour savoir ce qui se disait au sein des membres du groupe. Et David Sloan Wilson, lui, menait des entrevues individuelles avec tous les membres de l'équipe, une fois par semaine, afin de recueillir tous les propos échangés entre eux durant les derniers jours.
Résultats? Voici les principaux :
> Durant le premier semestre, 38% des discussions entre les membres de l'équipe concernaient de "mauvais" potins à l'égard du flemmard. Le reste portait sinon sur des préoccupations internes (le bateau, l'entretien de l'équipement, les compétitions, etc.) et sur des thèmes généraux (voiture, argent, santé, météo, etc.).
> Toujours durant le premier semestre, 9% des discussions avaient trait à de "bons" potins. Il va de soi qu'ils ne portaient pas sur le flemmard, mais sur d'autres membres de l'équipe.
> Durant le second semestre, le pourcentage de "mauvais" potins est tombé à 1%. Pourquoi? Le flemmard avait fini par quitter l'équipe.
> Durant le second semestre, aucun "bon" potin n'a été relevé. Oui, aucun.
En creusant davantage leurs données, les deux chercheurs en ont conclu qu'il fallait réunir trois conditions pour voir apparaître de "bons" potins au sein d'un groupe :
1. Il n'y a pas de "bons" potins sans "mauvais" potins.
2. Les "bons" potins se mettent à circuler à partir du moment où le groupe doit surmonter un obstacle majeur (comme la présence d'un tire-au-flanc dans ses rangs).
3. Les "bons" potins ne voient le jour que si le groupe a besoin de souder davantage ses rangs.
On le voit bien, l'usage de "bons" potins peut être une bonne idée pour qui entend combattre les "mauvais" potins qui circulent inévitablement quand les choses vont mal pour une équipe. Ils peuvent redonner le moral aux troupes quand celui-ci est dans leurs talons. Ils peuvent passer du baume sur des plaies à vif.
Cela étant, mieux vaut ne jamais lancer soi-même de "bon" potin, à plus forte raison si l'on est le leader de l'équipe. Non, il suffit de tenir informé certaines personnes des bonnes nouvelles, aussi infimes soient-elles, à savoir celles qui sont en général au cœur des discussions du groupe. Car vous pouvez être certain que, tôt ou tard, ces personnes finiront par partager leurs informations avec les autres.
En passant, l'aphoriste polonais Stanislaw Jerzy Lec a dit dans ses Nouvelles pensées échevelées : «Quand les potins vieillissent, ils deviennent des mythes».
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