BLOGUE. À compétences égales, les femmes sont en général moins bien payées que les hommes. La raison : elles n'osent pas réclamer d'augmentation salariale, contrairement aux hommes. Cette rengaine, vous l'avez sûrement entendue comme moi, ad nauseam. Pas vrai? Mais voilà, y a-t-il là le moindre fondement de vérité?
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Reprenons… Vous avez, j'en suis sûr, déjà entendu une amie ou une collègue, reconnaître devant vous que la simple idée de se pointer dans le bureau de son boss pour lui réclamer une augmentation salariale la tétanise. Elle fige. Elle ne peut pas. Elle se dit qu'elle ne sera jamais assez convaincante, même si elle sait très bien qu'elle la mérite amplement, cette hausse. De tels témoignages semblent confirmer le manque d'audace des femmes dès qu'il est question de rémunération.
Mieux, plusieurs études semblent le prouver. Par exemple, Small et différents collègues ont montré en 2007 que les hommes sont nettement plus prompts que les femmes à s'aventurer dans une négociation salariale, très exactement 9 fois plus prompts : pour 1 femme qui le fait, il y a 9 hommes qui le font. De leur côté, Babcock et Laschever ont effectué en 2003 un sondage qui indiquait que les hommes sont quatre fois plus prompts que les femmes à négocier leur tout premier salaire, et que cela explique une différence de gains accumulés de quelque 500 000 dollars américains, une fois arrivé à l'âge de 60 ans.
Le hic? Toutes ces études sautent vite à la conclusion que les femmes, en général, aiment moins négocier que les hommes. Et ce faisant, elles commettent une bourde.
Pour preuve, l'étude intitulée Do women avoid salary negociations? Evidence from a large scale natural field experiment. Celle-ci est signée par Andreas Leibbrandt, professeur d'économie, à l'Université Monash (Australie), et John List, professeur d'économie, à l'Université de Chicago (États-Unis). Elle met au jour le fait que si les femmes négocient si peu leur rémunération, ce n'est pas parce qu'elles sont des femmes…
Les deux chercheurs ont eu l'idée amusante de faire paraître des petites annonces dans des quotidiens locaux de neuf grandes villes américaines (Atlanta, Dallas, Denver, Houston, Los Angeles, etc.). Des petites annonces particulières :
> Une petite annonce qui ciblait spécifiquement les hommes : un poste à combler d'assistant administratif chargé de faire la veille de l'actualité sportive.
> Une autre petite annonce qui s'adressait tant aux hommes qu'aux femmes : un poste d'assistant administratif chargé de donner de l'aide dans des opérations de levées de fonds.
Ils ont ainsi obtenu 2 422 courriels de personnes intéressées, qui souhaitaient en savoir davantage sur le poste lui-même. Ils leur ont répondu de deux manières différentes :
> Pour une partie, il était indiqué que la rémunération était de 17,60 dollars de l'heure.
> Pour l'autre partie, que la rémunération était aussi de 17,60 dollars de l'heure, mais aussi que celle-ci était négociable.
Ils étaient de la sorte en mesure de voir qui allait tenter de négocier son salaire, ou pas. Et de voir si le fait de tendre une perche faisait une différence.
Résultats? Tenez-vous bien…
> Quand il n'était pas indiqué explicitement que le salaire était négociable, les femmes ont moins tenté leur chance que les hommes.
> Quand une perche était tendue, alors là, les femmes ont été plus promptes que les hommes à se lancer dans une négociation!
Que déduire de cela? C'est très simple : «Les femmes préfèrent les environnements de travail où les politiques salariales sont claires, car elles savent alors tirer leur épingle du jeu. En revanche, dès qu'il y a une zone de floue, elles sont plus récalcitrantes que les hommes à tenter de s'y faufiler», disent MM. Leibbrandt et List.
Par conséquent, ce qui importe vraiment, ce n'est pas le sexe de la personne, mais la politique salariale adoptée par l'entreprise, et plus précisément la transparence de celle-ci dans la manière dont sont attribués les primes et autres avantages particuliers. Bref, c'est une question de transparence des ressources humaines, et rien d'autre.
Ma suggestion est donc la suivante :
> Si vous voulez véritablement améliorer l'équité salariale au sein de votre entreprise, il vous suffit d'indiquer clairement ce qui permet de décrocher – et ce qui ne permet pas – une éventuelle prime ou hausse salariale.
Si vous appliquez cela de manière constante, vous verrez, au fil des années, la rémunération globale des femmes rattraper celle des hommes. Et – qui sait? –, la dépasser, un beau jour.
En passant, ce conseil du brahmane Svâmi Prajnânpad cher au philosophe français André Comte-Sponville : «Ne confondez pas égalité et uniformité».
Découvrez mes précédents posts