La routine. Le fameux métro-boulot-dodo. Oui, le sempiternel train-train quotidien au travail. Quelle horreur! Quelle nuisance que de devoir accomplir, jour après jour, toujours les mêmes choses! Quelle plaie, disons-le carrément, pour la productivité, pour la satisfaction, pour l'épanouissement d'une personne! Pas vrai?
Hum... Et si ce n'était pas si vrai que ça... Et si la routine avait du bon, sans que nous en ayons vraiment conscience... Et si, en résumé, nous avions tous, vous comme moi, des idées reçues sur la routine...
Découvrez mes précédents billets
Mon groupe LinkedIn
Mon groupe Facebook
Mon compte Twitter
Vous me connaissez, j'aime prendre le contre-pied des idées reçues. C'est pourquoi mes yeux se sont écarquillés de plaisir lorsque je suis tombé sur une étude intitulée Inertia in routines: A hidden source of organizational variation, signée par trois professeurs de design et stratégie organisationnels à l'Université du Danemark du Sud, à Odense (Danemark): Sangyoon Yi, Thorbjørn Knudsen et Markus Becker. C'est que celle-ci, je le sentais, allait carrément démolir toutes mes croyances à ce sujet. Explication.
Les trois chercheurs se sont posé une question : «La routine est-elle un frein ou un accélérateur à l'adaptation organisationnelle?». Une curieuse interrogation a priori puisque, spontanément, nous avons envie de répondre : «Un frein, de toute évidence». De fait, nombre d'exemples concrets nous viennent à l'esprit : le collègue routinier qui freine des quatre fers dès qu'il entend le mot «changement»; le vieux boss qui n'a qu'un mot à la bouche dès qu'on lui soumet une idée neuve, soit «Si ça pouvait marcher, ça se saurait depuis longtemps, crois-moi, p'tit gars»; ou encore, le plantage monumental d'une équipe habituée aux succès, le jour où il lui a fallu s'aventurer en terrain inconnu.
Alors? À quoi bon s'interroger de la sorte? Eh bien, les trois chercheurs ont noté que plusieurs études apportaient des bémols quant aux nuisances liées à la routine. Des bémols, en ce sens que le train-train quotidien au travail peut, à l'occasion, présenter de l'intérêt : par exemple, à partir du moment où une personne accomplit toujours les mêmes tâches, elle finit par agir de manière plus ou moins automatique, si bien que son cerveau se trouve, dès lors, libre de penser à autre chose; du coup, cette personne-là est à même d'agir et de réfléchir sur tout autre chose, et par suite, de - pourquoi pas? - trouver des idées neuves fort utiles pour son travail. Bref, la routine peut être propice à, entre autres, la créativité.
Mais voilà, est-ce vrai, ou pas? Ces avantages-là se vérifient-ils bel et bien, ou pas? Vous venez de comprendre l'utilité de cette étude.
Pour s'en faire une idée, les trois chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminer les conséquences d'une organisation qui entend effectuer un changement important alors qu'elle est, de manière générale, pas mal routinière. Ils ont considéré qu'une organisation était, pour simplifier, un ensemble de connexions plus ou moins dense, où :
- chaque noeud correspond à un employé qui est soit routinier, soit non-routinier;
- chaque lien entre deux noeuds correspond à la relation, plus ou moins étroite, entre ceux-ci.
Ils ont aussi considéré que :
- la routine contribuait à la création de la structure des connexions de l'organisation;
- la routine stabilisait la structure des connexions de l'organisation;
- la routine ralentissait la circulation des informations au sein de la structure des connexions de l'organisation.
Enfin, ils ont regardé ce qui se produisait si l'on forçait un ou plusieurs noeuds à la fois à quitter leur routine; et ce, à l'échelle de l'organisation. J'ai une image pour vous permettre de saisir le concept... Imaginez une fourmilière, cette vaste structure de connexions. Chaque petite fourmi à une tâche à accomplir, et elle le fait mécaniquement, sans réfléchir, à moins de se retrouver - pour une raison externe ou par pur hasard - contrainte d'improviser. Maintenant, supposons qu'un petit garçon passe dans le coin et ne résiste pas à l'envie de donner un coup de pied dans la fourmilière. Que se passe-t-il? Chaque petite fourmi sort immédiatement de sa routine et pare au plus pressé. Mais comment, au juste? C'est ce que permet de découvrir et d'analyser le modèle de calcul mis au point par les trois professeurs de design et stratégie organisationnels de l'Université du Danemark du Sud.
Résultats? Je vous les donne en mille :
> La routine est un frein à l'adaptation. Dès lors qu'une organisation est passablement routinière, elle présente une résistance certaine au changement, et peine donc à s'adapter à la nouveauté. «Ce qui vérifie l'intuition que chacun de nous a à propos de la routine», soulignent les auteurs de l'étude.
> La routine est un catalyseur de l'adaptation. À leur plus grand surprise, les trois chercheurs ont mis au jour un bienfait complètement insoupçonné de la routine dès lors qu'il s'agit de s'adapter à une nouveauté. Ils ont en effet découvert - tenez-vous bien! - que la routine permettait d'améliorer le processus de mutation découlant du changement, à condition que ce dernier soit non pas le fruit du hasard, mais celui d'une planification. Autrement dit, si le changement qui est entrepris a été soigneusement calculé à l'avance, les personnes routinières vont y réagir certes en freinant comme elles le peuvent, mais ce faisant, en offrant à l'organisation l'occasion et le temps d'améliorer le processus de mutation, chemin faisant.
Qu'est-ce à dire? «Que la routine entraîne une certaine inertie de l'information circulant au sein de la structure de connexions, et que cette inertie permet justement à l'ensemble de l'organisation de réaliser que ça "coince" ici et là. Du coup, il lui devient possible de corriger le tir très vite, et finalement d'accélérer le processus entrepris, sans avoir à attendre, par exemple, un lointain post-mortem pour cela», expliquent-ils dans leur étude. Bref, la routine ralentit le changement là où elle est bien implantée, mais elle permet du même coup au changement d'évoluer à la vitesse V - c'est-à-dire, si vous préférez, d'emprunter de nouveaux visages, plus séduisants, ou encore de nouvelles voies - pour lui permettre de se généraliser à l'ensemble de la structure de connexions.
«La routine est un frein local, c'est vrai, mais elle est aussi, et surtout, un catalyseur du changement. En ce sens que l'inertie qu'elle entraîne peut contribuer au succès du changement entrepris, en donnant à celui-ci la possibilité de s'améliorer et de s'étendre en cours de route», résument-ils.
Fascinant, n'est-ce pas? Qui d'entre nous aurait dit que la routine pouvait avoir du bon dès lors qu'on pense changement? Soyons honnêtes, personne, ou presque. Et pourtant, c'est bel et bien le cas.
Bon. Que retenir de tout ça, à présent? Ceci, à mon avis :
> Qui entend entreprendre un changement organisationnel se doit de miser sur... les habitudes routinières des uns et des autres! Il lui faut non pas chercher à casser ainsi la routine des personnes concernées, en les considérant comme des barrages qu'il faut faire exploser pour pouvoir aller là où l'on veut se rendre, mais tenter plutôt de de se servir de l'inertie induite de la routine pour améliorer les changements entrepris en cours de route. Car une telle souplesse dans l'exécution est un gage de réussite.
En passant, l'homme d'État britannique Winston Churchill aimait à dire : «Pour s'améliorer, il faut changer. Donc, pour être parfait, il faut avoir changé souvent».
Découvrez mes précédents billets
Mon groupe LinkedIn
Mon groupe Facebook
Mon compte Twitter