Le brainstorming. Oui, la fameuse réunion de remue-méninges qui est supposée permettre l'émergence d'idées neuves, pour ne pas dire géniales, mais qui se solde si souvent - pas vrai ? - par un échec retentissant. Un échec, n'ayons pas peur de le dire : d'ailleurs, cela ne se résume-t-il pas la plupart du temps par le fait que le plus fort en gueule en profite pour faire passer son idée, celle qu'il avait préparée depuis fort longtemps et qu'il voyait comme un excellent moyen d'accroître son pouvoir au sein de l'équipe, voire de l'entreprise? Je suis sûr que vous avez déjà vécu ça, et que vous avez peut-être même été depuis dégoûté à vie de ce genre de réunions...
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter
Et pourtant, il est impératif de trouver des idées neuves. Sans quoi, votre entreprise va finir par devoir mettre la clé sous la porte. Alors? Que faire? Eh bien, une idée peut être de remuer des idées ensemble, mais autrement. Tout autrement. Comment, au juste? C'est là justement l'objet d'une étude passionnante, intitulée Beyond productivity loss in brainstorming groups: The evolution of a question. Celle-ci est signée par : Wolfgang Stroebe, professeur en psychologie sociale à l'Université d'Utrecht (Pays-Bas); Bernard Nijstad, professeur d'économie à l'Université de Groningue (Pays-Bas); et Eric Rietzschel, professeur de psychologie organisationnelle à l'Université de Groningue (Pays-Bas). Et le plus beau, c'est qu'elle se solde par des trouvailles fantastiques à cet égard...
Ainsi, les trois chercheurs ont noté un fait a priori étrange : lorsqu'on compare la performance d'un groupe à l'occasion d'un brainstorming à celle d'un individu isolé dans son coin planchant sur le même sujet il appert que l'individu s'en sorte nettement mieux que le groupe! Il trouve davantage d'idées, et surtout, de meilleures idées, en ce sens qu'elles sont plus originales! Autrement dit, on serait plus créatif seul qu'à plusieurs. Un argument de poids sur lequel ne manquent pas de s'appuyer ceux qui crient à la fumisterie dès lors qu'on prononce le mot 'brainstorming'.
Pour vérifier tout cela, ils ont décidé de se plonger dans les quelque 50 années de recherche sur la créativité en groupe, un volet de recherche né au milieu du XXe siècle, après qu'Alex Osborn, l'un des hauts-dirigeants de l'agence de publicité américaine BBDO, a concocté cette technique de brassage d'idées. Une technique basée sur deux principes :
Page suivante: les grands principes
> Le report du jugement. Il convient de ne surtout pas juger les idées émises, les siennes comme celles des autres. Car sinon, on risque de sombrer dans la censure, et pis, l'autocensure.
> La quantité, pas la qualité. Il convient également de viser la quantité d'idées émises, non pas leur qualité. Car, d'après M. Osborn, la qualité découle toujours de la quantité : pour trouver la perle rare, il est impératif de ramasser le plus de perles possible.
Une technique basée, du coup, sur quatre règles :
1. Non à la critique (et à l'autocritique).
2. Oui à l'expression de toutes les idées, en particulier celles qu'on pense a priori ridicules.
3. Oui à la quantité, pas à la qualité.
4. Oui aux combinaisons d'idées et à l'amélioration de celles-ci.
«N'importe qui de normal peut, grâce au brainstorming, produire deux fois plus d'idées que s'il doit plancher tout seul dans son coin», affirmait sans ciller M. Osborn à la fin des années 1950. Le hic? C'est que les expériences scientifiques visant à le vérifier, à l'image de celles menées en 1991 par Brian Mullen et ses collègues, ont prouvé... exactement le contraire!
En se plongeant dans l'histoire des recherches sur le brainstorming, les trois chercheurs des Pays-Bas ont identifié trois phases :
1. Pourquoi un groupe se montre-t-il moins productif qu'un individu en matière de créativité? Telle est l'interrogation récurrente de la première phase, à laquelle la principale réponse a été la suivante : le désavantage du groupe par rapport à l'individu réside surtout dans le fait qu'il souffre de blocages qui lui sont propres.
Lesquels? Pour commencer, un problème de communication : les idées circulent mal au sein d'un groupe, chacun devant attendre son tour de parole pour exprimer ce qu'il a en tête, une attente d'autant plus longue et usante que le nombre de participants est élevé ; alors que dans la tête d'une personne, cela file à toute allure. À cela s'en ajoutent d'autres, comme la démotivation de certains participants, due en grande partie à la crainte du jugement des autres («Que va penser mon boss de moi si je lance tout haut une idée contraire à la sienne?» et autres «C'est sûr que tout le monde va rigoler de moi pendant une semaine si jamais je dis tout haut ce que j'ai en tête, là...»).
Page suivante: les 4 règles d'or
2. Dans quelle mesure peut-on améliorer la communication au sein d'un groupe en pleine réflexion? Telle est l'interrogation de la deuxième phase, à laquelle la principale réponse a été la suivante : pour que l'échange d'idées soit fructueux, il convient de mieux coordonner celui-ci. Qu'est-ce à dire? Qu'il faut parvenir à faire sauter les blocages qui empêchent une bonne communication au sein du groupe, et mieux si possible, à les transformer en des tremplins permettant à la réflexion commune d'aller plus haut et plus loin que jamais.
3. Comment améliorer concrètement la communication au sein d'un groupe en pleine réflexion? Telle est l'interrogation de la troisième phase, celle dans laquelle nous nous trouvons actuellement, à laquelle une principale réponse a d'ores et déjà été apportée : il convient de fluidifier l'idéation, à savoir d'optimiser la production d'idées, en tenant compte non seulement de leur quantité, mais aussi de leur qualité.
Comment ça? «Viser la quantité ne se révèle efficace en terme de qualité qu'à condition de creuser vraiment plus en profondeur sur une petite surface, et non de manière un peu superficielle sur l'ensemble de la surface accessible. Et donc, à condition de creuser une catégorie spécifique d'idées, et non pas l'ensemble des idées», indiquent les trois chercheurs dans leur étude.
Bien. Mais que signifie tout cela pour qui entend organiser un brainstorming véritablement efficace? Eh bien, ça implique qu'il suffit, d'après eux, de suivre quatre règles d'or pour - enfin - trouver des idées géniales. Les suivantes :
1. Éclatez le groupe en binômes. On se trompe lourdement en croyant que plus il y a de participants à un brainstorming, plus il y aura d'idées variées émises, et plus il y a de chances qu'émerge la perle rare. Pourquoi? Parce que plus on est nombreux, plus la communication est mauvaise. C'est inévitable. Pour pallier ce problème, il faut par conséquent éclater le groupe en binômes, et inviter chacun d'eux à plancher de son côté sur le sujet en question, sans se soucier des autres. Car dès lors disparaîtront d'eux-mêmes les divers blocages liés à la communication. À noter que, si cela est possible, l'idéal est de mettre ensemble deux personnes ayant des profils distincts (par exemple, l'ingénieur avec le comptable, ou encore le boss avec le stagiaire), car cela est propice au téléscopage d'idées radicalement différentes.
2. Échangez les idées par écrit. Une fois que chaque binôme se trouve à cours d'idées, il faut échanger les trouvailles des uns et des autres. Comment alors éviter de fracasser la créativité du groupe sur les écueils de la communication? Tout simplement en permettant à tous d'accéder librement aux idées des autres, par exemple en rédigeant toutes les idées émises sur d'immenses feuilles de papier apposées aux murs, sans les attribuer à qui que ce soit.
3. Affinez les idées émises. Une fois que toutes les idées émises sont sous les yeux de chaque participant, il faut affiner celles-ci. Ce qui signifie qu'il convient de les présenter autrement, sous forme de catégories. Puis, d'identifier tous ensemble la ou les deux ou trois catégories les plus pertinentes, soit celles qui sont a priori les plus propices de recéler la perle rare.
4. Tuez sans pitié les idées conventionnelles. Si on laisse chaque binôme trier ses propres idées pour n'en retenir que les meilleures à ses yeux, on se retrouve immanquablement avec des idées plates, comme en attestent nombre d'études sur ce point. Explication : vous comme moi, nous avons alors le réflexe de retenir les idées faisables, pas celles qui changent la donne ; et par suite, toutes les idées retenues sont on ne peut plus conventionnelles (ce qui amène d'ailleurs souvent les gens à considérer qu'il ne ressort jamais rien d'un brainstorming...). Le truc? Il consiste dès lors à demander à chaque binôme, dans un premier temps, de retenir une poignée d'idées parmi toutes celles émises en ne tenant compte que d'un seul critère, celui de l'originalité. Et dans un second temps, de retenir parmi celles-ci la ou les meilleures d'entre elles en fonction d'un ou de plusieurs autres critères (déterminés en fonction des objectifs visés, bien entendu).
Et le tour est joué! C'est aussi bête que ça. Il vous suffit de respecter ces quatre règles d'or, et vous vous retrouverez avec des idées neuves dont vous ne soupçonnez même pas l'existence. Vous vous surprendrez vous-même à afficher une telle créativité. C'est garanti. Et je vous engage à m'en donner des nouvelles. Rien ne me fera plus plaisir.
En passant, l'écrivain irlandais George Bernard Shaw disait : «Si tu as une pomme, que j'ai une pomme, et qu'on échange nos pommes, nous aurons chacun une pomme. Mais si tu as une idée, que j'ai une idée, et qu'on échange nos idées, nous aurons chacun deux idées».
Découvrez mes précédents billets
Ma page Facebook
Mon compte Twitter