Quel n’est pas l’employeur qui ne souhaite pas voir ses employés s’épanouir dans leur quotidien au travail ? Lequel ne rêve pas de les voir en mesure d’exprimer leurs talents en toute liberté ? De les voir rire ensemble, tout en rivalisant d’efficacité entre eux ? Bref, de contribuer directement à leur bonheur ? Aucun, bien entendu.
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Mais voilà, soyons honnêtes, combien d’employeurs se reconnaissent vraiment dans ce que je viens de décrire ? Oui, combien peuvent en effet se targuer de faire du bien autour d’eux, en commençant par leurs propres employés ? Hum… Soyons gentils, et disons juste qu’il n’y a pas foule. Est-ce que je me trompe ?
Bon. Faut-il pour autant en rester là, déprimer, et se dire que, dans le fond, le bonheur des employés n’a jamais été une véritable priorité pour un employeur ? Et qu’il faut par conséquent se résoudre à vivre avec cette triste réalité ? Non, mille fois non, bien sûr ! Voyons donc.
J’ai d’ailleurs un merveilleux exemple appuyant mon propos. Ubisoft, et son truc ultrasimple pour favoriser l’épanouissement de ses employés. Un truc qui m’a été présenté la semaine dernière par Cédric Orvoine, vice-président, communications et ressources humaines, d’Ubisoft Montréal. Et que je vais me faire un plaisir de partager avec vous maintenant…
La cinquième édition du Concours universitaire Ubisoft s’est terminée le 8 avril dernier. Celui-ci s’adressait aux étudiants du Québec passionnés par les jeux vidéos, au point d’envisager d’y faire carrière. Il s’agissait de concocter en équipe – et en dix semaines seulement – un prototype de jeu vidéo en 3D, un prototype jouable pendant une durée d’au moins dix minutes, lequel était évalué à la toute fin par un jury composé d’experts d’Ubisoft Montréal.
Les équipes en lice devaient être multidisciplinaires et interuniversitaires, afin de couvrir tous les métiers nécessaires à la réalisation du prototype. Mais surtout, la nouveauté de cette année résidait dans le fait que chaque équipe était chapeautée par deux mentors, à savoir deux employés d’Ubisoft Montréal. «Nous avons passé un appel à tous l’an dernier, invitant qui le souhaitait à se porter volontaire pour mener à bien différentes sortes de projets pour développer la relève. Cela pouvait correspondre à faire des visites organisées de nos locaux pour les jeunes, ou encore d’agir comme mentor dans le cadre du Concours. Résultat ? Une centaine d’employés ont levé la main. Oui, une centaine, ce qui nous a agréablement surpris», dit M. Orvoine, sourire en coin.
Du coup, Ubisoft Montréal a développé, presque sans s’en rendre compte, sa propre version du concept d’employé-mentor. Une version fascinante.
«Concrètement, je disposais de quatre heures par mois pour chaque équipe que je ‘comentorais’ ; en tout, je m’occupais de deux équipes à la fois. Ma mission était très simple : leur donner des conseils et répondre à leurs interrogations. Dans les faits, je suis surtout intervenu pour leur dire, à plusieurs reprises, d’avancer, de ne pas s’arrêter à des détails. L’important, c’était de livrer une séquence de jeu jouable dans les temps impartis, pas de présenter un produit parfait, mais qui n’aurait duré que deux ou trois minutes. Un peu comme chez nous, à Ubisoft : les producteurs sont là pour nous faire avancer, pour nous faire respecter les deadlines, et donc pour nous empêcher de sombrer dans les travers du perfectionnisme», explique Melchior Corgié, programmeur et employé-mentor, d’Ubisoft Montréal.
Et de poursuivre : «L’une des deux équipes que je conseillais a rencontré des difficultés du point de vue de la communication. C’est-à-dire que le courant ne passait pas bien entre tous les membres de l’équipe : certains voulaient peaufiner certains détails, d’autres pas. Le problème était tel qu’ils ont failli décider de renoncer, de ne rien présenter au jury. Mon comentor et moi-même, nous avons résolu ça en leur montrant que l’important, c’était de se concentrer sur l’essentiel, à savoir les livrables ; et que tout le reste était, somme toute, secondaire. Ça leur a permis de s’y remettre tous ensemble, et je peux vous dire qu’ils étaient pas mal fiers, le jour où le jury a souligné tous les points forts de leur prototype. C’était vraiment beau à voir».
Qu’en a retiré l’employé-mentor lui-même ? «J’ai découvert un plaisir inattendu à partager mes connaissances avec les autres. J’ai appris toute l’importance de se montrer sincère avec les autres : quand je n’avais pas la réponse à leur question, je le leur disais, et c’était très bien comme ça, en tous cas nettement mieux que de tenter de leur dire n’importe quoi pour leur faire croire que j’avais réponse à tout. J’ai aussi identifié mes forces et mes faiblesses. Et tout ça m’a procuré, c’est vrai, un épanouissement incroyable sur le plan professionnel», poursuit M. Corgié.
Ce n’est pas tout ! «Nous ne soupçonnions même pas l’impact que pourraient avoir les employés-mentors. C’est bon pour les employés en question, qui se révèlent à eux-mêmes en sortant de leur zone de confort : il n’est pas évident, a priori, pour un programmeur de faire preuve de leadership envers des jeunes de la relève. C’est bon aussi pour les participants au Concours : on a noté que la qualité des prototypes soumis au jury était, cette année, un cran au-dessus de ceux des éditions précédentes. C’est bon enfin pour Ubisoft : nous avons remis comme d’habitude 22 000 dollars aux gagnants sous forme de bourses d’études, mais nous avons surtout offert une demi-douzaine de contrats de travail à des participants qui ont été repérés par leurs mentors, ce que nous ne pouvions pas faire auparavant, car nous ne pouvions juger que le résultat final du travail d’une équipe», indique M. Orvoine.
Voilà. Le nouvel atout secret d’Ubisoft Montréal pour contribuer à l’épanouissement de ses employés réside dans sa version de l’employé-mentor. Il est classique de voir des hauts-dirigeants d’entreprise faire du mentorat, c’est-à-dire apporter leurs lumières à de plus jeunes qu’eux, des personnes en qui ils croient dur comme fer et qu’il leur fait plaisir de donner un coup de pouce. Par pure gentillesse. Mais il est moins fréquent de voir de ‘simples’ employés agir de la sorte. Et c’est ce qu’a mis au jour avec brio, me semble-t-il, la direction d’Ubisoft Montréal.
C’est que les employés sont une mine de savoirs, une mine trop souvent inexploitée. Pour mille et une mauvaises raisons. Une mine qui recèle de véritables diamants qui ne demandent qu’à étinceler de tous leurs feux, pourvu qu’on leur donne accès à l’air libre. De splendides diamants.
Reste donc à trouver le moyen de les trouver et de les extraire de la mine. Un moyen qu’est en train de mettre au point Ubisoft Montréal, à sa manière. Un moyen que tout employeur digne de ce nom gagnerait, à n’en pas douter, à trouver. Il suffit, pour le réaliser, de noter tout ce que cela a procuré à la firme montréalaise qui a signé des succès planétaires, à l’image de Watch Dogs et autres Assassin’s Creed.
Que retenir de tout cela ? Ceci, je pense :
> Qui entend favoriser l’épanouissement de ses employés se doit de les inciter à se transformer en employés-mentors. C’est-à-dire de les encourager à partager leurs savoirs et autres talents avec les autres, en particulier avec la relève. Pourquoi ? Tout simplement parce que cela leur donnera une occasion en or de briller aux yeux d’autrui, et donc à leurs propres yeux. Et parce que cela leur permettra de nouer de nouveaux liens avec autrui, un point fondamental pour l’efficacité et le bonheur au travail. Comme le confirme Melchior Gorgié : «Chez Ubisoft, j’ai la chance d’avoir moi-même une poignée de mentors qui m’aident quand j’en ai besoin. Je sentais que c’était à mon tour de donner aux autres. Et l’idée d’agir en tant qu’employé-mentor m’a tout de suite séduite», confie-t-il.
En passant, l’acteur américain Leonard Nimoy, connu pour avoir incarné le rôle de Spock dans la télésérie Star Trek, aimait à dire : «Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle».
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