Au travail, mieux vaut être beau que moche. C’est une évidence, me direz-vous. Pour mille et une raisons : la beauté est attractive, la beauté suscite la sympathie, etc. Mais voilà, en êtes-vous si sûr que ça ? Ou à tout le moins, les effets supposés de la beauté sont-ils si manifestes que ça au bureau ? Car après tout, au travail, il est plutôt rare de prendre une décision importante en s’appuyant plus sur une émotion – déclenchée par la beauté d’autrui – que sur une réflexion. Pas vrai ?
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Alors ? Comment trancher ? Ou, disons, se faire une idée plus juste de cette interrogation existentielle ? Eh bien, je pense avoir déniché une étude précieuse à cet égard, intitulée Beauty matters : Social preferences in a three-person ultimatum game, et signée par Qingguo Ma, professeur de management à l’Université du Zhejiang à Hangzhou (Chine), assisté de son étudiante Yue Hu. Pourquoi précieuse ? Parce qu’elle lui apporte une réponse que je trouve lumineuse…
Les deux chercheurs chinois ont procédé à une expérience très simple. Ils ont demandé à 29 hommes de bien vouloir se prêter à un petit jeu. Il s’agissait d’accepter ou de refuser des offres qui leur étaient présentées par, leur avait-on dit, différentes personnes via Internet. La subtilité résidait dans le fait que chacune de leurs décisions n’entraînait pas qu’eux, mais aussi une autre personne, toujours une femme. De cette dernière ils ne savaient qu’une chose : un portrait photographique qui leur était dévoilé juste avant que ne leur soit soumise l’offre ; à noter que c’était à chaque fois soit un ‘pétard’, soit un ‘thon’ (selon les critères de beauté généralement admis dans la société chinoise).
Quatre cas de figure étaient possibles :
> Juste-Juste. L’offre était de 4$ pour celui qui la proposait, 4$ pour le participant et 4$ pour la femme. C’est-à-dire ‘juste’ tant pour le participant que pour la femme, lorsqu’on compare leurs gains entre eux.
> Juste-Injuste. L’offre était de 7$ pour celui qui la proposait, 4$ pour le participant et 1$ pour la femme.
> Injuste-Injuste. L’offre était de 10$ pour celui qui la proposait, 1$ pour le participant et 1$ pour la femme.
> Injuste-Juste. L’offre était de 7$ pour celui qui la proposait, 1$ pour le participant et 4$ pour la femme.
Les deux chercheurs chinois ont ainsi bombardé les participants d’offres en tous genres, et regardé si le fait d’impliquer dans leurs décisions une femme belle ou moche avait la moindre incidence. Résultats ? Tenez-vous bien :
> Des décisions altruistes. Lorsque la femme était belle, les participants acceptaient deux fois plus facilement une offre injuste pour eux. Et ce, y compris si la dame en question était ainsi nettement plus gagnante qu’eux.
> Des décisions plus rapides. Lorsque la femme était belle, les participants réagissaient plus vite aux offres ‘juste-juste’ et ‘juste-injuste’. Ils prenaient donc peu de temps pour se décider dans les cas de figure où ils se sortaient bien de l’offre qui leur était faite.
> Des effets éphémères. Les deux effets que l’on vient de voir – altruisme et rapidité – n’ont été que de courte durée : dès lors qu’un participant se devait de prendre le temps de mûrir sa décision, la beauté de la femme n’avait plus guère d’incidence sur leur choix. À noter que ‘prendre le temps’ signifiait, ici, s’accorder une poignée de secondes de plus par rapport au rythme de prise de décision adopté jusqu’alors.
Par conséquent, la beauté d’autrui a bel et bien une influence sur nous. Lorsqu’il nous faut prendre une décision qui implique une autre personne, une collègue par exemple, nous aurons tendance à faire preuve d’altruisme, voire de sacrifice, pour celle-ci, à condition qu’elle soit belle à nos yeux. Nous aurons également tendance à faire nos choix plus vite qu’à l’habitude. Mais si, et seulement si, nous tranchons sans tarder : il suffit qu’on prenne notre temps pour voir ces effets-là s’annihiler d’eux-mêmes. Bref, la beauté nous aveugle, comme un flash éblouissant : il nous faut alors quelques secondes pour récupérer la vue.
Saisissant, vous ne trouvez pas ? Nous ne sommes jamais insensibles à la beauté, y compris au travail, là où pourtant on pourrait se dire que la raison est maîtresse. Il suffit, par exemple, qu’une cliente brille de tous ses feux à la signature d’une entente de principe et en joue savamment durant l’entretien pour que le PDG, aveuglé par tant de beauté, en arrive à signer un papier qu’il regrettera par la suite. C’est aussi bête que ça. D’ailleurs, si vous y réfléchissez bien, je suis sûr que vous trouverez des anecdotes réelles l’illustrant à merveille…
Le truc pour éviter de tomber dans le piège de la beauté ? Le temps. Oui, il suffit de se forcer à reporter dans le temps sa prise de décision pour que l’impact des beaux yeux de la personne en question s’estompe de lui-même. Efficacité garantie.
Que retenir de toute cela ? Ceci :
➢ Qui entend prendre une décision sereine au travail, sans être aveuglé par la beauté d’autrui, se doit de prendre son temps. Il lui faut remercier la personne en question pour toutes les informations échangées, puis lui annoncer qu’il lui donnera sa réponse dans les heures ou les jours qui viennent. En réalité, le temps nécessaire pour voir s’estomper l’influence inconsciente de la beauté sur lui.
En passant, le philosophe grec d’origine phénicienne Zénon de Cition disait : «La beauté est une courte tyrannie».
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