L’égalité entre hommes et femmes au travail est encore de nos jours une utopie, en particulier lorsqu’on parle de salaire et de promotion. Pour ceux qui en douteraient encore, je me permets d’avancer trois chiffres parlants : les femmes sont en général payées 15% de moins que les hommes, à poste et compétences comparables, dans les pays de l’OCDE, dont faire partie le Canada (ce pourcentage concerne la médiane des rémunérations des emplois à temps plein); et 4,4% des femmes qui ont un emploi à temps plein occupent un poste de direction, alors que ce pourcentage est de 7,7% pour les hommes, toujours dans les pays de l’OCDE.
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La question saute aux yeux : comment pourrait-on s’y prendre pour atténuer cette injustice, voire la corriger totalement ? Une idée régulièrement émise ici et là est de favoriser l’avancement des femmes vers les postes de direction, dans l’espoir que cela créera un effet d’entraînement. Autrement dit, dans l’espoir que les hommes qui tiennent aujourd’hui les rênes de la haute-direction vont arrêter – consciemment ou inconsciemment – de privilégier les hommes, après avoir constaté tout ce qu’une femme peut apporter en termes d’innovation et de productivité à leur entreprise. Et aussi dans l’espoir que les femmes, une fois au sommet, auront le réflexe d’aider les autres femmes à grimper la pyramide hiérarchique, ne serait-ce que par solidarité ou bien par souci d’équité entre les sexes.
Mais voilà, cette idée est-elle bonne ? Les femmes ont-elles, par exemple, vraiment en elles un réflexe de solidarité féminine, à l’image de celui que semblent a priori avoir les hommes entre eux ? Difficile à dire. Certains pensent que oui, d’autres que non. Comment savoir ?
Une réponse fort intéressante à cette interrogation se trouve, je pense, dans une étude intitulée Women helping women ? Evidence from private sector data on workplace hierarchies. Celle-ci est signée par deux professeures d’économie: Astrid Kunze, de l’École norvégienne d’économie à Bergen (Norvège); et Amalia Miller, de l’Université de Virginie à Charlottesville (Etats-Unis).
Voici comment elles s’y sont prises pour s’en faire une idée… Les deux chercheuses se sont plongé dans une base de données exceptionnelle, concoctée par Statistique Norvège et la Confédération des entreprises norvégiennes (NHO, Naeringslivets Hovedorganisasjon), la principale association des employeurs de Norvège. Cette base fourmille d’informations pointues sur un demi-million de cols blancs évoluant dans quelque 4000 entreprises privées établies en Norvège : pour chaque employé, il est possible de connaître son âge, son sexe, l’évolution de sa carrière, la progression de sa rémunération, ses changements d’employeur, etc. Les deux chercheuses se sont concentré sur la période de temps allant de 1987 à 1997, et ont regardé ce qui se passait globalement au sein d’une entreprise dès lors qu’une femme y prenait du galon.
L’air de rien, ce travail de fourmi leur a permis de faire des trouvailles renversantes :
> Une évolution professionnelle freinée. Les femmes progressent moins vite dans leur carrière que les hommes. Les deux chercheuses ont bien entendu regardé si cela tenait à certaines raisons propres aux femmes, comme le fait de tomber enceinte, mais non, le frein n’est pas là, il est essentiellement dans le simple fait qu’elles sont des femmes, et non des hommes. Elles sont défavorisées en matière de promotion, et ce, quel que soit leur niveau hiérarchique : cela est aussi vrai pour celles qui sont au bas de la pyramide que pour celles qui sont au milieu, voire pas loin de l’apex. Cela se vérifie également lorsqu’elles changent d’employeur : pour un homme, tout changement d’employeur se traduit en général par une nette évolution professionnelle (poste et rémunération plus élevés), mais pour une femme, cela est clairement moins vrai (il y a certes une progression, mais moindre que pour un homme).
> Une solidarité féminine conditionnelle. Les femmes ont tendance à soutenir davantage la promotion de leurs consoeurs que celle de leurs confrères, mais seulement lorsque celles-ci demeurent en-dessous d’elles dans la pyramide hiérarchique. Dès lors qu’une collègue est en mesure d’atteindre un poste équivalent au leur, elles vont même avoir plutôt tendance à empêcher que cela se produise. Comme si cette promotion représentait un danger pour elles. Elles préfèrent, dans ce cas-là, appuyer la candidature d’un homme plutôt que celle d’une femme. Du coup, plus une entreprise est féminisée – comprendre plus son pourcentage d’employées est élevé – moins les chances sont fortes pour une femme d’y avoir une progression de carrière rapide !
«Ce qui entre en jeu ici, c'est avant tout l'esprit de compétition entre employées de même rang, ou presque. Cet esprit-là se traduit par de la rivalité, laquelle s'exprime souvent par des bâtons dans les roues des autres à partir du moment où celles-ci postulent pour un poste équivalent au leur, ou encore par le refus de mentorat pour une employée au potentiel de carrière prometteur», disent Mmes Kunze et Miller dans leur étude. Et de nuancer : «Cela étant, il est à souligner que les femmes qui décrochent un poste à la haute-direction sont d’un grand secours pour toutes les employées situées en bas et au milieu de la pyramide hiérarchique, car elles feront tout leur possible pour encourager leur évolution professionnelle. C’est dans ce cas de figure que l’on enregistre les plus nettes améliorations en matière d’égalité homme-femme au sein d’une entreprise».
Voilà. La solidarité féminine existe bel et bien au travail, mais elle a ses limites. Maintenant que vous le savez, à vous d’en tirer partie. Pour le plus grand bien de tous et toutes, ça va de soi.
En passant, le pamphlétaire français Antoine de Rivarol disait : «Les grands talents sont, pour l’ordinaire, plus rivaux qu’amis; ils croissent et brillent séparés, de peur de se faire ombrage : les moutons s’attroupent et les lions s’isolent».
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