BLOGUE. Quelle que soit votre profession, je suis sûr et certain qu'il existe chaque année un concours visant à souligner l'excellence du travail des meilleurs. Un concours prestigieux, parfois même doté d'une prime qui en fait saliver plus d'un. Bref, un concours qui fait rêver.
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Mais voilà, j'ai une petite question insidieuse (comme souvent) : que se passe-t-il pour le lauréat, une fois le prix remporté? Redouble-t-il d'ardeur au travail, histoire de prouver aux autres qu'il est bel et bien le meilleur? Ou, au contraire, se repose-t-il sur ses lauriers, estimant qu'il mérite bien de respirer un peu?
C'est justement ce qu'on voulu savoir George Borjas, professeur d'économie et de politique sociale à Harvard (États-Unis), et Kirk Doran, professeur d'économie à l'Université de Notre-Dame (États-Unis). Dans le cadre de leur étude intitulée Prizes and productivity: How winning the Fields medal affects scientific output, ils ont regardé ce qu'il était advenu des lauréats de la médaille Fields.
La médaille Fields? C'est le prix le plus prestigieux en mathématiques, que l'on présente d'ailleurs souvent comme le "prix Nobel" des mathématiques. Cette médaille est remise tous les quatre ans lors du Congrès international des mathématiciens à un maximum de quatre personnes âgées de moins de 40 ans qui ont récemment brillé par leurs travaux de recherche. La 18e édition aura lieu en 2014.
Ainsi, les deux chercheurs ont eu accès à deux bases de données intéressantes, celle de l'American Mathematical Society et celle du Mathematics Genealogy Project. Ces dernières leur permettaient de connaître plein de détails sur la carrière non seulement des lauréats, mais aussi des prétendants au prix : le nombre d'études publiées, la fréquence de parution de celles-ci, l'importance de celles-ci via la quantité de mentions faites par les autres chercheurs, etc.
À partir de ces données, ils ont constitué deux profils-types. D'un côté, le profil-type du lauréat de la médaille Fields; de l'autre, celui du prétendant à cette même médaille. Puis, ils ont comparé le comportement de chacun, après que le lauréat a gagné son prix.
Résultat? Sans appel…
> Le lauréat de la médaille Fields relâche ses efforts. Du moins, il se met à travailler moins fort qu'auparavant, et surtout moins fort que celui qui, lui, n'a pas encore remporté le prix tant convoité.
Comment expliquer un tel phénomène? Par ce qu'on appelle en économie l'effet de richesse. Celui-ci veut que lorsque notre richesse augmente, notre consommation se met, elle aussi, à croître, et même de plus en plus vite.
Appliqué à la médaille Fields, l'effet de richesse se traduit par le fait que le lauréat considère du jour au lendemain que ses travaux sont aboutis (il ne peut espérer de récompense supérieure), si bien qu'il jette son dévolu sur tout autre chose. «Il se met dès lors à consacrer en général la moitié de ses efforts à des domaines autres que ceux des mathématiques. Il part à l'exploration d'autres champs de connaissance, si bien qu'il devient moins performant en mathématiques que ceux qui n'ont pas encore remporté le prix», expliquent MM. Borjas et Doran dans leur étude.
Un exemple frappant est celui du Russe Grigori Perelman, qui a reçu (et décliné) la médaille Fields en 2006 pour avoir résolu un problème que tout le monde considérait jusqu'alors insoluble, celui de la conjecture de Poincaré. Depuis, il vit reclus chez lui, dans son appartement de Saint-Pétersbourg, et il semble avoir abandonné toute recherche en mathématiques.
Que retenir de tout ça? C'est fort simple…
> La réussite est à double-tranchant. C'est bon pour son ego, mais néfaste pour sa productivité. Il convient donc de vite se trouver de nouveaux défis à relever dans son champ de prédilection, plus audacieux que les précédents, sans quoi, le déclin menace.
En passant, le poète latin Catulle disait : «La victoire aime l'effort».
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