BLOGUE. Imaginez, une minute, que vous manquiez tout à coup de ce qui vous est nécessaire pour travailler. Par exemple, que votre ordinateur tombe en panne, que votre téléphone ne fonctionne plus, ou encore que la cafetière explose. Que se passerait-il? Et si la situation perdurait des jours durant, voire pendant des semaines?
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C'est très simple, vous trouveriez une solution "temporaire" pour pallier le manque. Vous contourneriez la difficulté, en faisant preuve de créativité. Comme à chaque fois qu'un pépin vous arrive. La question est : seriez-vous alors moins efficace? Voire – pourquoi pas? –, plus efficace?
Ces interrogations ont fait l'objet d'une étude fort intéressante, intitulée Are recessions good for health behaviors? Impacts of the economic crisis in Iceland. Celle-ci est signée par deux professeures d'économie de l'Université Rider (États-Unis), Hope Corman et Kelly Noonan, par une professeure d'économie de l'Université d'Islande et son étudiante, respectivement Tinna Laufey Asgeirdottir et Torhildur Olafsdottir, et par une professeure de pédiatrie de l'École médicale Robert-Wood-Johnson (États-Unis), Nancy Reichman. Elle montre que les récessions économiques n'ont pas que du mauvais, loin de là…
Ainsi, les cinq chercheuses ont voulu savoir quel avait l'impact réel sur les Islandais de la récession foudroyante qui a frappé leur pays en octobre 2008. Plus précisément, sur leurs habitudes de vie, les bonnes comme les mauvaises. Par exemple, s'étaient-ils alors mis à plus fumer, ou moins? À manger plus de fruits, ou moins? À faire plus de sport, ou moins? Etc.
Pour commencer, un petit retour en arrière… Le 6 octobre 2008, le premier ministre islandais de l'époque, Geir Haarde, a tenu un discours terrible à la nation. Il révélait à ses concitoyens que trois grandes banques islandaises venaient de s'écrouler, et qu'elles emportaient dans leur chute des pans entiers de l'économie du pays. «Nous courons droit à la faillite du pays», avait-il prévenu.
Du jour au lendemain, les Islandais, qui se croyaient parmi les peuples les plus riches du monde, se sont retrouvés au bord du gouffre économique. Le taux de chômage est passé de 2,3% (premier trimestre de 2008) à 9,1% (deuxième trimestre de 2009), les 16-24 ans étant les plus touchés, avec un taux de 22%. La couronne islandaise a perdu quelque 36% de sa valeur par rapport aux principales devises étrangères. Et l'Indice des prix à la consommation a bondi de 27% entre novembre 2007 et novembre 2009.
Une anecdote résume le choc que tout cela a été pour les Islandais : le jour où le premier ministre a tenu son discours, et les jours suivants, les urgences dans hôpitaux islandais ont enregistré un nombre anormalement élevé de crises cardiaques...
Aujourd'hui, les cinq chercheuses disposent de données suffisamment précises sur ces événements pour les analyser. Elles ont utilisé les sondages annuels Heilsa og líðan de 2007 et 2009, qui portent sur la santé et le style de vie des Islandais. Car ils fourmillent d'informations sur, entre autres, le régime alimentaire, la consommation d'alcool, l'exercice physique et le sommeil. Ou encore, sur le nombre d'heures passées au travail et les revenus.
Elles ont sélectionné un échantillon de 9 807 personnes âgées entre 18 et 79 ans. Puis, elles ont regardé les différences éventuelles entre les données d'avant et d'après l'annonce de la récession économique. Résultats? Surprenants…
> Diminution de mauvaises habitudes. Les Islandais se sont mis, en général, à moins fumer, à moins boire d'alcool, à moins boire de boissons gazeuses, à moins consommer de sucreries et à moins aller au fast food qu'auparavant.
> Diminution de certaines bonnes habitudes. Ils se sont aussi mis à diminuer leur consommation, par exemple, de fruits et de légumes.
> Hausse de certaines bonnes habitudes. Ils se sont mis à dormir davantage et à prendre, entre autres, un peu plus d'huile de poisson.
> Amélioration globale de la santé. De manière générale, l'état de santé des Islandais s'est apprécié avec la récession économique, tant sur le plan physique que psychique.
Maintenant, comment expliquer ce phénomène d'amélioration globale? En grande partie par… l'inflation. Quand le prix de ce qu'on achète tous les jours bondit de 27% d'un coup, il est évident qu'on regarde deux fois plutôt qu'une ce qu'on met dans son panier d'épicerie. On se dit qu'on n'a pas forcément besoin de sucreries, ni de boissons gazeuses, ni de beaucoup de bières. On a aussi le réflexe d'acheter des produits locaux, du moins ceux qui sont moins chers que ceux qui viennent de l'étranger : la diminution de consommation de fruits et de légumes s'explique ainsi, car en Islande, nombre d'entre eux sont importés, et sont donc relativement chers.
«Les gens deviennent très sensibles au prix quand il s'agit de produits qui sont néfastes pour leur santé, mais moins quand il s'agit de produits bénéfiques pour leur santé», indiquent d'ailleurs les chercheuses dans leur étude.
Bref, quand on dispose de moins de ressources, on fait de meilleurs choix, c'est-à-dire des choix qui sont meilleurs pour nous. La pénurie présente donc l'avantage de nous forcer à réfléchir sur nos habitudes, et par suite à identifier les mauvaises et agir de manière à les atténuer.
Comment appliquer tout cela à votre quotidien au travail, me direz-vous? Très simple. Une anecdote va vous éclairer… Savez-vous quel test passent les personnes qui tentent de décrocher un poste chez Ubisoft Montréal? Un petit test de créativité. On leur confie une enveloppe brune dans laquelle se trouvent un bâtonnet, un petit bout de ficelle, un crochet et un crayon de bois. La mission : «Comment pêcher un poisson?».
Que feriez-vous? La plupart des gens s'évertuent des minutes durant à fabriquer une canne à pêche avec le bâtonnet, le bout de ficelle et le crochet. Les plus malins, eux, prennent le crayon et dessinent un pêcheur sur l'enveloppe en deux secondes. À votre avis, lesquels sont les recrutés? Comme quoi, la pénurie à bel et bien du bon…
En passant, Victor Hugo a dit dans son Tas de pierres : «Le bonheur est vide, le malheur est plein».
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