Un collègue, ou même votre boss, a fait une faute professionnelle grave : il a menti à un client, il a truqué un bilan comptable, ou encore il s'est servi dans la caisse. Et il s'est fait prendre. À l'instant où vous l'avez appris, vous avez été choqué, pour ne pas dire scandalisé. Et vous avez aussitôt perçu le fautif comme une brebis galeuse. Classique.
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Mais voilà, vous êtes-vous demandé deux secondes si le coupable était 100% responsable de la faute commise? Oui, vous êtes-vous posé la question à savoir s'il n'avait pas été "poussé à la faute"? Bref, s'il pouvait bénéficier de circonstances atténuantes?
Et surtout, vous êtes-vous demandé s'il s'agissait là d'un acte isolé? Troublante question, que l'on préfère éviter, n'est-ce pas? Car si tel n'était pas le cas, il y aurait de quoi paniquer : tout autour de vous, sans que vous sachiez qui au juste, d'autres individus profiteraient de l'ombre pour commettre leurs forfaits. En cherchant à nuire à vos intérêts. Brrrrrr…
Cette réflexion angoissante m'est venue lorsque j'ai mis la main sur une étude passionnante, intitulée The geography of financial misconduct. Celle-ci est le fruit du travail de trois professeurs de finance : Christopher Parsons, de l'École de management Rady (États-Unis); Johan Sulaeman, de l'École de commerce Cox (États-Unis); et Sheridan Titman, de l'École de commerce McCombs (États-Unis). Elle met en évidence un phénomène étrange – mais bel et bien réel – lié au crime en col blanc. Un phénomène qui fait froid dans le dos.
Ainsi, les trois chercheurs ont noté que dans les grandes villes, il y avait toujours des quartiers malfamés. Des quartiers où rôdent les criminels plus qu'ailleurs, des lieux où les gens honnêtes n'osent pas se promener seuls le soir, des zones qui vont en grandissant si jamais le crime reste impuni, comme la gangrène gagne la chair saine si l'on n'intervient pas. Et ils se sont demandé si la géographie du crime violent pouvait s'appliquer au monde des affaires.
Ils ont analysé en profondeur un millier de cas de fraude financière commis dans une vingtaine de grandes villes des États-Unis, des cas issus d'une base de données établie en 2013 par les chercheurs Karpoff, Koester, Lee et Martin. Il s'agissait de fraudes majeures et variées, richement documentées : des cas de fausses rumeurs sur une entreprise répandues pour en tirer un gain en Bourse; de trucage de résultats financiers trimestriels; etc.
Ils ont vite repéré de grandes disparités géographiques. Par exemple, entre 1970 et 2010, ce ne sont en moyenne que 1 entreprise sur 190 qui ont commis une fraude à Indianapolis, Seattle et Minneapolis, alors que le taux de criminalité en col blanc s'est révélé nettement plus élevé ailleurs, en particulier à Dallas (1 sur 62), Saint-Louis (1 sur 61) et Miami (1 sur 60).
Puis, ils ont cherché à quoi tenaient ces disparités. Y avait-il une explication culturelle : une ville où le taux de criminalité est élevé affiche-t-elle aussi, par voie de conséquence, un taux de criminalité en col blanc élevé? Y avait-il une explication économique : le taux de criminalité en col blanc dépend-il de la situation économique de la ville elle-même? Enfin, y avait-il une explication humaine : devient-on criminel en col blanc à cause des personnes que l'on fréquente le plus?
Résultats? Tenez-vous bien :
> L'effet de la pomme pourrie. On devient criminel en col blanc pour une raison principale : nos mauvaises fréquentations. Exactement comme cela se produit pour la pomme pourrie qui finit par contaminer les autres pommes du panier. Dans le cas présent, les trois chercheurs ont mis en évidence un lien direct – et malsain – entre affaires et politique : «Plus les PDG fréquentent les élus, plus ils s'influencent les uns les autres. Et lorsque certains se mettent à frauder, les autres s'y mettent aussi de manière automatique et simultanée», disent MM. Parsons, Sulaeman et Titman dans leur étude. À noter que le phénomène est encore plus foudroyant lorsque les PDG et les élus sont à peu près du même âge.
> Une véritable contagion. La pomme pourrie ne fait pas que contaminer les autres pommes du panier. S'il s'y trouve aussi des poires, des oranges ou des kiwis, elle va également les avarier. Autrement dit, si dans une ville une industrie est frappée par le crime en col blanc, d'autres industries vont l'être à leur tour. Et ce, même si elles n'ont a priori aucun lien d'affaires entre elles. L'explication est simple : le vecteur de transmission est essentiellement humain, si bien qu'il suffit, par exemple, d'une partie de golf entre gens d'affaires pour voir le virus se répandre à tout-va.
> Une contagion par vagues successives. Comme n'importe quel virus, la fraude financière connaît une évolution cyclique. Elle se tapit dans l'ombre jusqu'au moment propice pour resurgir et se répandre en tous sens; gagne alors un maximum de personnes; atteint un pic; puis, recule à mesure que la lutte s'intensifie contre elle; et enfin, se tapit dans un nouveau coin d'ombre, prête à frapper une nouvelle fois, à la première occasion.
Terrifiant, vous voyez bien. Et pourtant, si criant de vérité, quand on prend le temps de bien y penser…
Maintenant, je vais vous demander de vraiment bien vous asseoir. Car ce n'est pas tout!
Les trois chercheurs ont eu la curiosité de regarder ce qui se passait en Bourse pour les entreprises contaminées : leur titre accusait-il le coup pour autant? Une bonne, et même excellente, interrogation. Une interrogation dont la réponse est carrément époustouflante :
> Une contagion prévisible. Dès que les investisseurs ont vent de la fraude, ils ont tendance à vendre les actions de l'entreprise en question. Logique. Ils ont même tendance à vendre les actions d'entreprises évoluant dans le même secteur économique et/ou géographique, mais – et c'est ça qui est fabuleux – ils ne vendent les actions que de certaines de ces entreprises-là, et pas n'importe lesquelles. En effet, ils ont alors tendance à se séparer des actions des entreprises… les plus susceptibles d'être déjà contaminées par la pomme pourrie! Oui, c'est comme s'ils avaient un flair exceptionnel : la plupart du temps, les entreprises dont les actions ont été ainsi vendues se trouvent, à leur tour, impliquées dans un scandale financier dans les semaines ou les mois qui suivent. Incroyable, mais vrai. Comme quoi, il est possible de prédire l'évolution de la contagion, avant même qu'elle ne soit évidente pour tous.
Bon. Que retenir de tout cela? Au moins une chose fort simple, applicable à votre quotidien au travail :
> Ne jetez pas la pierre à la brebis galeuse. Car elle n'est, en vérité, que le messager qui vous apporte une mauvaise – une terrible – nouvelle : l'environnement dans lequel vous évoluez est contaminé. En conséquence, ne réagissez pas en vous contenant de blâmer la brebis galeuse et de condamner ses agissements. Non, cherchez surtout à identifier les signes avant-coureurs de la pandémie qui s'annonce et tentez d'y remédier au plus vite. Parce que l'heure est grave. Beaucoup plus que ce que vous croyez.
En passant, l'écrivain américain Robin Cook a dit dans Outbreak : «Le virus est le dernier prédateur de l'homme».
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