La fatigue. Nous la craignons. Nous la redoutons. Nous l'abhorrons. Tant nous la percevons comme la source d'erreurs et de bévues impardonnables au travail. Pas vrai?
Mais voilà, est-ce si vrai que ça? La fatigue n'est-elle vraiment qu'une sale chose à éradiquer sans pitié? Ou se pourrait-il qu'elle nous soit, à certaines conditions, bénéfique?
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Deux professeures de marketing – Monika Lisjak, de l'École de management de Rotterdam (Pays-Bas); et Angela Lee, de l'École de management Kellogg (États-Unis) – ont eu la curiosité d'en savoir plus au sujet de la fatigue. Et notamment de mieux saisir son impact sur nos prises de décision. Une idée géniale, comme vous allez le voir.
Dans le cadre de leur étude intitulée The bright side of impulse: Depletion heightens self-protective behavior in the face of danger, elles ont procédé à cinq expériences qui partaient toutes d'une même idée : quand on est fatigué – mentalement ou physiquement –, on fait des choix différents de ceux qu'on ferait en temps normal; mais se pourrait-il qu'ils soient meilleurs?
Prenons la première expérience pour bien saisir leur idée. Il a été demandé à 211 volontaires d'indiquer avec sincérité ce qu'ils feraient s'ils vivaient un dilemme auquel nous avons tous, ou presque, déjà été confronté. Lequel? Vous allez à une soirée organisée dans un bar, vous y rencontrez une fille (ou un gars) magnifique, le bar ferme et vous revenez ensemble chez l'un de vous deux.
Pour les besoins de l'expérience, tous les participants n'ont pas eu exactement le même scénario :
> Dans un cas, la relation sexuelle est protégée : vous avez des préservatifs en poche.
> Dans l'autre, la relation sexuelle n'est pas protégée : aucun des deux n'a pensé à prendre des préservatifs avec lui.
D'où la question suivante posée aux participants : «Si vous étiez dans une telle situation, dans quelle mesure seriez-vous prêt à avoir une relation sexuelle avec l'autre personne?» Une question suivie de nombreuses autres visant à bien saisir les tenants et les aboutissants de la décision de chaque participant.
À noter, de surcroît, que tous les participants n'avaient pas été placés dans les mêmes conditions. Avant de se voir présenter le dilemme :
> Certains avaient été mentalement épuisés, à l'aide d'un test nécessitant d'être hyper-concentré pour ne pas se tromper;
> D'autres étaient mentalement frais, n'ayant eu qu'à se prêter au préalable à un test d'une simplicité confondante.
Résultat? Fort intéressant :
> Fatigue = prudence. Ceux qui étaient fatigués ont été ceux qui avaient été les moins prompts à prendre des risques. Car leur instinct, bon conseiller, les avait poussés à se protéger, et donc à redoubler de prudence.
Bien entendu, les deux chercheuses ont tenu à en savoir un peu plus sur ce phénomène. Elles ont notamment découvert que :
> Fatigue = vigilance. Lorsqu'on est fatigué, on est plus prompt à se protéger d'une maladie rénale, ou encore de la chlamydia.
> Fatigue = prévoyance. Lorsqu'on est fatigué, on est plus prompt à doter son ordinateur d'un logiciel antivirus, ou encore à s'enduire la peau de crème solaire.
«Par conséquent, la fatigue nous amène à faire de bons choix, mais seulement à condition que nous nous sentions vulnérables. En effet, si nous ne sentons pas le danger nous menacer comme une épée de Damoclès, alors nous n'écoutons plus notre instinct, mais notre raison; et dès lors, nos choix deviennent moins bons», disent Mmes Lisjak et Lee dans leur étude.
Notre instinct fonctionne donc comme suit, lorsqu'il se fait bon conseiller :
1. Alerte générale. Il détecte un danger et envoie aussitôt un message d'alerte, du genre : «Attention. Attention. Attention. Attention. Attention. Attention. Attention. Attention. Attention. Attention.»
2. Message au cerveau. Il envoie également un autre message, adressé au cerveau pour le supplier de ne pas écouter la raison, du genre : «Tu es vulnérable. Tu es vulnérable. Tu es vulnérable. Tu es vulnérable. Tu es vulnérable.»
3. Solution. Il propose une solution, la meilleure, du genre : «Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça. Ne fais pas ça.»
Maintenant, comment faire pour permettre à votre instinct de supplanter la raison, quand cela est bon pour vous? C'est très simple :
> Comment mieux écouter votre instinct? Il est primordial pour cela que vous vous sentiez vulnérables. Or, cela survient surtout lorsqu'on se sent fatigué. Par conséquent, il vous faut vous sentir fatigué – mentalement ou physiquement – avant d'être confronté au choix à faire. Cela peut se faire, entre autres, en allant faire une séance d'exercices au gym, ou en vous livrant à une partie d'échecs sur Internet.
Bon. Cela me semble aller de soi, mais je le souligne tout de même : il est ici question de fatigue, et non d'épuisement. Si vous êtes littéralement exténué, pour ne pas dire au bord de l'épuisement professionnel, ce n'est certainement pas à ce moment-là que vous prendrez les meilleures décisions pour vous et votre équipe. Non, ce qu'il faut plutôt retenir, c'est que la fatigue a parfois du bon – contrairement à ce qu'on croit a priori – car elle nous permet de renouer avec notre instinct, et par suite de faire de bons choix.
En passant, le moraliste français Rivarol disait : «On se repose voluptueusement que si l'on a pu se fatiguer».
Enfin, un dernier mot pour vous indiquer que ce n'est pas un hasard si j'ai abordé le sujet de la fatigue dans ce billet. De fait, je vais prendre un peu de repos à l'occasion de la semaine relâche. Retour, donc, après une semaine de congé. À bientôt, et reposez-vous bien vous aussi!
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