BLOGUE. Saviez-vous qu'un jour de 1965 Bob Dylan avait abandonné la chanson? Après sa tournée solo et acoustique en Angleterre qui s'était terminée le 10 mai par un concert à Londres, il s'est trouvé épuisé, laminé, vidé. Au bout du rouleau. Il était pâle comme un linge, il n'avait plus la force de sourire, il débitait son répertoire avec la force du désespoir. Bref, il était écrasé par le succès.
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Il a alors confié à son impresario qu'il ne pouvait plus continuer ainsi et, pis, que l'inspiration l'avait quitté. Cette tournée avait fait de lui une icône mondiale de la musique folk, certes, mais elle l'avait aussi brûlé. Complètement. Il est revenu aux États-Unis, est monté sur sa moto et a pris la route… sans sa guitare!
Que s'est-il produit par la suite? Car nous savons bien que Bob Dylan n'a pas réellement mis fin à sa carrière en 1965. Eh bien, quelques jours plus tard, il a ressenti le besoin d'acheter un carnet et un stylo et d'écrire tout ce qui lui passait par la tête : il a ainsi rédigé pendant sept heures, sans s'arrêter! Cela lui donnait l'impression de se soulager comme l'on se soulage lorsqu'on vomit, a-t-il même raconté, un jour. Et de tout cela est né, peu après, une chanson à nulle autre pareille, qui a carrément révolutionné le rock'n'roll, Like a rolling stone.
Cette expérience a littéralement révolutionné Bob Dylan. Il a abandonné ses oripeaux de chanteur folk pour devenir un rocker. Il a mis de côté sa guitare sèche pour en adopter une électrique. Il a changé du tout au tout, sans se soucier du désarroi dans lequel il plongerait ses fans. On sait aujourd'hui à quel point il avait vu juste…
Cette anecdote a servi d'introduction à la conférence de Jonah Lehrer, hier, à l'événement C2-MTL piloté par l'agence de création Sid Lee. Jonah Lehrer, pour ceux qui ne le savent pas déjà, est mon idole (on passe d'ailleurs souvent des textes de lui dans le magazine Premium…). Il a étudié les sciences à Columbia et la littérature du 20e siècle à Oxford, et blogue maintenant avec brio sur la neuroscience pour le magazine Wired. Il pige aussi pour le WSJ, The New Yorker et autres Washington Post. Enfin, il est l'auteur d'Imagine, qui a été numéro 1 dans la liste des bestsellers du New York Times dès sa sortie en mars dernier.
Pourquoi a-t-il ainsi parlé de Bob Dylan? Parce qu'elle illustre à merveille ce qu'est au juste la créativité…
Ainsi, la créativité est souvent perçue comme une petite étincelle qui jaillit quelque part dans notre cerveau et qui devient, de fil en aiguille, une véritable idée neuve. Cette vision est-elle exacte? Les études en neuroscience les plus poussées montrent que les idées circulent bel et bien dans notre cerveau suivant un circuit particulier, étant traitées à chaque étape pour être éliminée ou validée, voire enrichie. Il semble que la toute première idée, quand on demande à notre cerveau de résoudre un problème, démarre à l'arrière de l'hémisphère droit, dans ce qu'on appelle la «partie antérieure du gyrus temporal supérieur».
«Cette partie du cerveau nous envoie un message, ou plutôt la solution au problème auquel on s'attaque. Comme une petite voix intérieure. Cela prend en général 7 à 8 secondes à notre conscience pour percevoir cette petite voix. Le hic, c'est que notre cerveau, s'il est déjà trop sollicité, va écarter cette petite voix», a-t-il expliqué.
Deux scénarios peuvent dès lors se produire. Dans le premier, nous nous acharnons à réfléchir sur le problème, nous redoublons d'efforts, nous nous cassons la tête sur le problème en question ; en vain, puisque notre cerveau n'est pas en situation d'écouter la petite voix intérieure. Dans le second, nous relaxons, ou mieux, nous passons à autre chose, histoire d'atténuer la charge de travail de notre cerveau, et nous allons alors finir par entendre la petite voix, alors que nous prenons une douche ou une bonne bière fraîche.
«Mon conseil : si vous voulez vraiment trouver des idées neuves ou la solution à un problème qui vous hante, fuyez-le bureau! Faites tout ce que vous voulez à condition que ce ne soit pas lié au travail, et vous aurez ce fameux flash», a dit M. Lehrer, sous les rires de l'audience.
Bon, c'est bien beau d'avoir une méthode pour trouver des idées de génie, mais dans la vie quotidienne, il ne suffit pas d'avoir des idées pour faire de grandes choses. Il faut concrétiser cette idée. Et c'est là qu'intervient le second volet de la créativité, à savoir l'effort.
L'effort? M. Lehrer en a donné une illustration lumineuse : «Beethoven jouit de l'image du génie qui, les cheveux dans le vent, compose à main levée des airs qui resteront à jamais gravés dans nos esprits et nos cœurs. Désolé de vous l'apprendre, mais cette image romantique n'a rien à voir avec la réalité. En fait, Beethoven était un travailler acharné. Pour une symphonie dont il était satisfait, il lui arrivait d'en composer 70 précédentes qui n'étaient pas à la hauteur de ses espérances».
Le travail acharné, voilà le secret. «On croit souvent que Picasso, Proust et autres Steve Jobs sont des êtres à part, des génies, des cerveaux nettement plus développés que le commun des mortels, c'est-à-dire que vous et moi. On se trompe quand on pense cela. Certes, ils avaient comme point commun d'être plus ouverts à la nouveauté que la plupart d'entre nous, mais c'est tout, pas vraiment de quoi expliquer logiquement pourquoi, eux, étaient des créatifs de génie. La seule véritable différence réside dans leur spectaculaire acharnement au travail», a-t-il dit.
Un exemple : Joanne Kathleen Rowling. Son Harry Potter à l'école des sorciers a été refusé par une dizaine d'éditeurs, mais cela ne l'a pas découragé. Elle a fait appel à un agent littéraire, Christopher Little, et a réussi à faire paraître son roman chez Bloomsbury, sept années après l'avoir rédigé. (Aujourd'hui, la série Harry Potter est traduite dans quelque 70 langues et a enregistré des ventes de plus de 450 millions d'exemplaires.)
«L'équation de la réussite en matière de créativité est finalement très simple. C'est la suivante : Succès = Talent + Effort. C'est tout», a-t-il résumé.
Aussi simple que ça? Une interrogation demeure, toutefois : comment savoir si l'idée que l'on a et sur laquelle on entreprend de travailler dur est bonne ou pas? En effet, on a tous en tête des histoires d'inventeurs plus ou moins farfelus qui ont travaillé toute leur vie sur une «idée de génie» qui, en vérité, n'était qu'une idée saugrenue. Ceux-ci se sont, tout compte fait, acharnés pour rien. Et personne ne souhaite vivre la même chose…
«La bonne nouvelle, c'est qu'il y a un moyen efficace de savoir si votre idée est bonne, ou pas. Ce moyen, c'est vous-même, votre intuition. Le fonctionnement de ce processus demeure encore mystérieux, mais il suffit de s'écouter pour deviner si ce que l'on pense et fait est la bonne chose ou pas», a indiqué le conférencier de 30 ans.
Il s'agit là d'un phénomène qu'il appelle «l'impression que l'on sait», qui vise à décrire le fait que nous sommes tout à fait capables de bien diagnostiquer les problèmes que nous croyons pouvoir résoudre. «Si vous donnez à des gens divers problèmes à résoudre en une heure, une sorte d'instinct leur dira s'ils sont capables de le faire, ou pas. Cette intuition est remarquablement précise», a-t-il dit.
«Un de mes exemples préférés de «l'impression que l'on sait», c'est quand on a un mot sur le bout de la langue : comment savez-vous que vous connaissez ce mot si vous n'arrivez pas à vous en souvenir? C'est précisément ce que signifie «l'impression que l'on sait» ; c'est votre cerveau qui vous informe que si vous continuez à chercher ce mot pendant quelques instants, il vous reviendra», a-t-il ajouté.
Quand il s'agit de créativité, ces impressions permettent d'examiner le problème et de se dire : «Je pense que je peux le résoudre», et de se mettre au travail. Si l'on sent qu'on progresse, c'est le signe que l'on est sur la bonne voie, qu'il faut rester concentré et persévérer, et peut-être qu'il est temps de prendre du café. Car la solution est à portée de main.
CQFD.
En passant, Bill Watterson a dit dans l'album Complètement surbookés! de Calvin et Hobbes : «La créativité, ça ne s'ouvre pas comme un robinet, il faut l'humeur adéquate»…
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