BLOGUE. «L'union fait la force». Le dicton est vieux comme le monde. Et de nombreux exemples semblent l'appuyer : pensons simplement aux Rolling Stones, dont aucun des membres n'a réussi à faire en solo un album historique alors que tous unis, ils forment l'un des plus grands groupes de rock du monde. Mais voilà, ne s'agirait-il pas là que d'exceptions remarquables, qui donc ne confirmeraient en rien la règle?
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C'est justement ce que se sont demandés trois chercheurs allemands de l'Université de Duisburg-Essen, à savoir Jeannette Brosig-Koch, professeure d'économie, et deux de ses étudiants, Timo Heinrich et Christoph Helbach. Le fruit de leur travail se trouve dans une étude intitulée Does truth win when teams reason strategically? Une étude passionnante que je m'empresse de partager avec vous…
Ainsi, il a été demandé à 45 étudiants de participer à un petit jeu de stratégie, concocté par Mme Brosig-Koch. Les règles du jeu étaient très simples. Un trésor est enfoui au fond d'une galerie souterraine, qui n'a qu'un seul chemin et qu'une seule entrée. L'ennui, c'est que des rochers bloquent le passage. Il s'agit donc de les retirer pour accéder au trésor.
Comment s'y prendre? Chaque joueur joue contre le même adversaire, soit l'ordinateur. Sur l'écran, chacun voit le nombre de rochers (des cubes rouges) qui bloquent le passage. Chacun joue à tour de rôle, et peut retirer de 1 à 4 rochers d'un coup. L'objectif est de ne laisser à la toute fin qu'un rocher, de telle sorte que l'autre devant jouer et retirer le rocher, on est ensuite le premier à accéder au trésor. Stratégique, n'est-ce pas?
Fait important à noter, les participants n'étaient pas tous placés dans les mêmes conditions de jeu. Une moitié (21 personnes) d'entre eux jouaient individuellement contre l'ordinateur. Et l'autre (24 personnes) étaient en équipes de deux pour affronter l'ordinateur.
Résultats? Fort intéressants…
> En individuelle, les participants ont gagné 41,3% des parties.
> En équipe, les participants ont remporté 57,6% des parties.
> En conclusion, les équipes étaient nettement plus fortes que les individus.
Maintenant, comment expliquer au juste une telle différence? Pour en avoir une idée, les trois chercheurs allemands ont procédé à une expérience astucieuse. Ils ont créé une équipe virtuelle à partir du profil des joueurs qui ont joué en individuelle, une équipe virtuelle reflétant la performance qu'aurait eue la combinaison de deux de ces individus moyens, sachant qu'on est plus fort à deux que tout seul face à l'ordinateur. Et ils ont fait jouer 100 000 parties à cette équipe virtuelle.
Le nouveau résultat? Accrochez-vous bien…
> L'équipe virtuelle a gagné 47,9% des parties.
> En conclusion, l'équipe réelle était nettement supérieure à l'équipe virtuelle.
Autrement dit, et c'est en cela que cette étude est fascinante, quand deux personnes unissent leurs talents, elles transcendent leur talent respectif. C'est-à-dire que leurs talents font plus que simplement s'additionner, ils s'accroissent encore davantage. Ils vont au-delà de ce que chacun peut apporter individuellement! CQFD.
Enfin, Mme Brosig-Koch et MM. Heinrich et Helbach sont allés un peu plus loin, en remarquant que l'avantage de l'équipe sur l'individu allait croissant à mesure que le jeu se complexifiait ainsi qu'à mesure qu'il durait dans le temps. Mieux, cela se vérifiait aussi par rapport à l'équipe virtuelle, mais à condition que le jeu soit d'une durée vraiment longue.
Que retenir de tout cela pour qui se pique de management? Deux choses, à mon avis…
> Misez toujours sur l'équipe. Comme on vient de le voir, l'union fait vraiment la force. Si bien que le jour où il vous faut relever un défi complexe, mieux vaut confier cette mission à une petite équipe de personnes douées que tout miser sur le talent d'un employé réputé exceptionnel. Car de l'union des personnes douées surgira une force nettement supérieure à celle du fameux "prodige".
> Ouvrez-vous davantage à autrui. Soyons honnêtes, il arrive que l'on regarde de haut les autres, surtout lorsqu'on a l'impression d'exceller dans un domaine particulier. C'est un réflexe normal, disons plutôt humain : nous sommes, vous comme moi, victimes de notre terrible ego. Le hic? C'est qu'on a alors tendance à rejeter les offres de services de ces mêmes personnes, ne voyant pas en quoi elles pourraient nous être utiles. Or, cette attitude omet le fait – maintenant avéré – que notre union avec autrui peut contribuer à transcender le talent individuel de chacun, en particulier le nôtre.
En passant, le philosophe français Alain aimait à dire, pince sans rire : «L'union fait la force. Oui. Mais la force de qui?».
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